Ventre à louer...mais pas gratuit

Anthony Housefather, le député fédéral de Mont-Royal, a proposé il y a quelques semaines que les femmes porteuses aient la possibilité d’être rémunérées . Ainsi, il s’ajuste aux résultats de nombreuses études sur le sujet et aux témoignages, comme celui de Kathleen, une femme porteuse que j’ai rencontré, d’avis que les gestatrices pour autrui sont capables de prendre des décisions réfléchies et d’être en contrôle de leur corps.
Présentement le Code criminel recommande une peine de prison maximale de 10 ans, ainsi qu’une amende de 500 000 $, pour toute personne qui paierait une gestatrice au-delà du remboursement de frais liés directement à la grossesse, comme l’achat de jeans de maternité par exemple.
En gros, impossible à l’heure actuelle de payer une mère porteuse au Canada. La gestation pour autrui comporte tout de même un coût global, estimé entre 60 000 et 100 000 $. Cela implique les traitements de procréation médicale assistée, les frais d’avocat, d’agence et d’assurances.
Au Québec, il y a même un vide juridique, ce qui a nourri les réflexions de Kathleen, qui a porté l’enfant d’un couple d’amis en 2016 et qui se définit comme une «mamarraine». Elle voulait penser à toutes les éventualités moins heureuses d’une gestation pour autrui sans cadre légal: si le fœtus présentait une malformation, par exemple, ou si ses amis changeaient d’idée.
Contrairement aux autres provinces canadiennes, un contrat passé entre une femme porteuse et des parents d’intention n’a aucune valeur légale au Québec, ce qui est remis en question par le Conseil du statut de la femme du Québec et la Coalition des familles LGBT. La CF-LGBT tient des ateliers tous les six mois pour accompagner les participants dans leur démarche de coparentalité.
Mona Greenbaum, la directrice générale de l’organisme, déplore le fait que le Québec ne se base pas sur les lois familiales des autres provinces canadiennes. Elle conseille également aux participants d’éviter d’aller à l’étranger, comme au Mexique ou en Inde, pour trouver une femme porteuse.
Mona Greenbaum rappelle qu’un encadrement légal protégerait tout le monde. Même si les mauvaises expériences sont rares, elle se souvient d’un cas où un couple s’était séparé avant que la gestatrice pour autrui donne naissance. Le couple ne voulait plus de l’enfant, et la gestatrice avait dû le confier à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). En 2012, un cas troublant avait aussi été rapporté par l’émission J.E. Un couple avait choisi de rejeter les enfants qu’une jeune gestatrice portait pour eux, huit semaines après une entente sans cadre légal. Le couple se croyait infertile, après 14 ans d’essais, mais la femme était finalement tombée enceinte de jumeaux, comme la gestatrice. Le couple a toutefois aidé la gestatrice à trouver d’autres parents adoptifs.
L’exploitation: une problématique à l’international, pas au Québec
«Ce qui se dit au niveau de la gestation pour autrui en ce moment horrifie nos membres. Ils sont blessés, bouleversés. Certaines choses mentionnées dans les journaux sont pertinentes, par rapport à l’international. La notion de choix y est moins présente que la survie financière, ce qui peut être propice à des manipulations et à de l’exploitation», convient Mona Greenbaum.
Toutefois, au Canada, les agences se donnent comme mandat de vérifier que l’argent n’est pas le motif principal à de porter l’enfant d’un autre couple. «Les agences vont accepter des gestatrices qui ont déjà eu un enfant. Qui ont aimé être enceintes et qui veulent aider. Même pour celles qui veulent gagner des sous, la motivation principale est vraiment d’aider une autre personne. Les recherches sur la gestation pour autrui le confirment», assure la directrice générale.
Une étude publiée en 2008 dans le journal Social Science & Medicine lui donne raison. The social construction of surrogacy research : An anthropological critique of the psychosocial scholarship on surrogate motherhood avance que les motivations les plus communes des gestatrices sont de nature altruiste, car elles sont guidées par l’empathie qu’elles éprouvent pour les couples infertiles et l’envie de participer à quelque chose de spécial. Dans The long-term experiences of surrogates: relationships and contact with surrogacy families in genetic and gestational surrogacy , une étude de l’Université de Cambridge datant de 2013, 34 femmes porteuses ont été interviewées, environ sept ans après leur gestation pour autrui. La majorité avait gardé contact avec les familles avec qui elles avaient conclu un arrangement. Et c’est ce qui est marquant dans cette étude, où aucun regret n’est exposé: ce sont les liens interpersonnels provoqués par cette action qui valident souvent celle-ci.
La plupart des gestatrices interrogées, du Royaume-Uni et des États-Unis, où une grossesse est évaluée entre 95 000 et 280 000 dollars américains, ne porteraient pas l’enfant d’autrui sans aide financière. Aucune ne croit que les enfants ou les grossesses ne sont pour autant des commodités à acheter ou à vendre.
L’adoption impossible ou rejetée par préjugés
Mona Greenbaum mentionne que, lorsque l’adoption est offerte comme possibilité qui permettrait de ne pas avoir recours à une femme porteuse, les agences d’adoption internationale n’acceptent pas les couples de même sexe. Au Québec, l’avortement est accessible, alors il y a de moins en moins d’enfants québécois à adopter. «Ça peut aussi sembler très lourd comme processus. Il faut accepter que les centres jeunesse et la DPJ soient impliqués quelques années dans leur vie, l’adoption se finalisant parfois au bout de 5 à 7 ans.» Mona Greenbaum rappelle aussi que l’adoption n’est pas exempte de jugements: «Le lien génétique est valorisé. Nous voulons une mini copie de nous. Même si, lorsqu’on a des enfants, on se rend compte qu’ils ne sont pas du tout des mini copies.»
Porter l’enfant d’un couple d’amis
Lorsque ses amis, en couple depuis 18 ans et parrains de sa fillette, ont demandé à ce qu’elle porte leur enfant, Kathleen a d’abord refusé. Elle y a réfléchi pendant de nombreux mois, puis elle a profité d’un séjour de dix jours en retrait du monde, pour penser à l’impact d’une telle aventure sur elle-même et sa propre fille. «Face à leur désir sincère et vital de fonder une famille, mon cœur s’est ouvert. J’étais consciente du deuil que j’allais devoir vivre par la suite, mais ça ne changeait rien à ma décision de faire ce don de moi», explique-t-elle. La gestation s’est faite en toute légalité: Kathleen n’a reçu aucun montant d’argent du couple d’amis. Elle n’aurait sans doute pas eu la possibilité de le faire, si elle n’avait pas été, alors, en période de transition, aux études.
«Couper le cordon par symbolisme»
La grossesse s’est déroulée joyeusement, malgré le décès de la mère de l’un des pères. Quelques semaines avant l’accouchement, les deux hommes sont venus vivre dans la maison de Kathleen. Celle-ci a accouché chez elle, dans une piscine, entourée de deux sages-femmes, d’une accompagnante à la naissance et des deux pères. «J’ai moi-même coupé le cordon par symbolisme. Il m’a été merveilleusement facile et spontané de leur tendre leur bébé », raconte-t-elle, avant d’évoquer un deuil temporaire. Elle a allaité le bébé deux semaines, pour la santé de l’enfant, mais aussi parce que «nous avions besoin de ce temps pour se dire au revoir». Il ne sera jamais caché à l’enfant comment il est venu au monde, et Kathleen reste très liée à cette famille qu’elle a aidé à former.
Le débat qui a lieu présentement sur ce que la chroniqueuse Denise Bombardier appelle «la commercialisation du corps féminin , cet esclavage moderne revu et corrigé au nom du droit absolu à l’enfant», attriste Kathleen. Devenue accompagnante à la naissance depuis, elle croit qu’avoir été femme porteuse l’a aidée. Elle souhaite que les autres femmes désireuses de vivre cette aventure puissent la réaliser, en toute légalité, que ce soit par gestation pour autrui financée ou pas: «Si vous pouviez simplement essayer de comprendre comme c’est beau, comment toutes les personnes concernées dans cette histoire ont grandi. Il est faux de croire que le point décisionnel serait l’argent. Il y a tellement de moyens plus faciles de faire de l’argent! Il me semble que cela devrait aller de soi, que la porteuse soit dédommagée, pour le temps consacré à offrir une famille à d’autres. Il me semble normal de s’assurer que cette personne n’ait pas de stress financier. Je suis peut-être utopique, mais je crois encore que sur cette planète, des sentiments comme la compassion, l’entraide, la liberté et l’amour peuvent se vivre et se partager.»