J’ai piégé un groupe pro-vie en me faisant passer pour une jeune femme enceinte | 24 heures
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J’ai piégé un groupe pro-vie en me faisant passer pour une jeune femme enceinte

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Chaque matin, en me rendant aux locaux de la station de radio où j’anime une quotidienne, je l’aperçois. Il est là, les yeux hagards, avec sa pancarte. Il a l’air un peu fêlé, perdu au milieu du tumulte de la ville. Les gens passent habituellement près de lui sans le remarquer, d’autres sont visiblement mal-à-l’aise à cause du message qu’il trimballe sur son dos jour après jour.

Planté là, devant l’édicule du métro Berri-UQAM, le militant anti-avortement brandit sa photo de fœtus. «Je veux naitre et grandir. Ne tuons pas la beauté du monde», peut-on lire à côté.

Mais moi, c’est d’abord l’endos de sa pancarte qui m’intéresse, sur laquelle apparait un numéro. Si vous êtes enceinte et inquiète, appelez-là, ça dit. Je me demande qui appelle vraiment à ce numéro et qui peut bien être au bout du fil.

J’entre à la station avec l’intention de le découvrir. Je décide aussi d’enregistrer l’appel et de me faire passer pour Catherine, jeune femme de 24 ans œuvrant dans le domaine de la restauration rapide à la situation financière précaire.

Ça sonne, une femme répond. Le numéro me mène à l’organisme Campagne Québec-Vie, qui a pignon sur rue dans une église de Hochelaga-Maisonneuve.

J’explique ma fausse situation à la dame au bout du fil. Je lui confie vouloir parler à quelqu’un car j’hésite à me faire avorter. Elle me répond que la personne qui s’occupe de ça est absente et me demande si on peut me rappeler. Non, je veux parler à quelqu’un tout de suite. Je feins d’être en détresse et de ne pas pouvoir parler à un autre moment.

La dame improvise alors ce qui semble être une intervention pour me dissuader d’avorter. Elle commence par me demander si je suis croyante. J’explique venir d’une famille catholique même si on n’allait pas à l’église. «Croyante en la vie» ajoute-elle. S’ensuit alors une discussion où elle tente de me dissuader d’avorter et m’enjoint à garder le bébé que je fais semblant de porter en moi. Elle passe de mon indéniable instinct maternel aux douleurs que ressentent supposément les fœtus lors d’un avortement.

Au total la conversation durera environ dix minutes. J’apprendrai qu’avorter, c’est mal et que l’organisme pour lequel elle travaille peut m’offrir quelques ressources si jamais je décide de prendre la bonne décision, c’est-à-dire devenir mère même si je lui explique que ma situation est précaire et que je ne désire pas vraiment cet enfant. Vous pouvez d’ailleurs l’écouter intégralement ici. Je décide de la diffuser aux Effrontés, notre émission, un vendredi après-midi.

Suite à la diffusion, Georges Buscemi, président de Campagne Québec-Vie, décide de réagir. Nous l’avons donc invité à l’émission afin qu’il puisse donner le point de vue de l’organisme. Avant d’entrer en ondes, je vais le saluer. L’homme, même s’il défend des positions très éloignées des miennes (l’organisme se positionne contre l’avortement, le mariage gai et le droit à mourir dans la dignité), est sympathique.

Dès le début de l’entrevue, monsieur Buscemi admet que la préposée qui m’a répondu au téléphone a manqué de professionnalisme. Mais, très vite, il compare l’avortement à un meurtre et à un crime contre l’humanité. Même si je suis ébranlée et choquée par son propos, je continue de le questionner. L’homme sort de nos studios en regardant par terre. Il ne salue personne même s’il accepte de me serrer la main avant de quitter.

Vous pouvez écouter la réplique de Georges Buscemi, président de Campagne Québec-vie, ici

Mais l’histoire ne se termine pas là. Suite à notre entrevue, notre recherchiste s’est vue bombardée d’appels de la part de l’Organisme Campagne Québec-Vie. Un téléphone dans les locaux de l’organisme l’a littéralement appelée toute la nuit, des dizaines de fois. Confronté à ce sujet le lendemain matin, monsieur Buscemi nous a laissé un message téléphonique dans lequel il prétend qu’un téléphone est défectueux et que ce serait celui-ci qui aurait logé les appels à la recherchiste de l’émission toute la nuit durant. Il s’est excusé et a promis de remplacer le téléphone.

On lui donne le bénéfice du doute. Une chose est certaine, je n’ai plus revu l’homme et sa pancarte déambuler près du métro depuis ce temps-là. J’imagine qu’il doit avoir changé de poste.

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