Moi, Kijâtai C-V., 26 ans, Autochtone, souveraine | 24 heures
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Moi, Kijâtai C-V., 26 ans, Autochtone, souveraine

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Photo: Vanessa Destiné / Montage : Charles-André Leroux

Apatride chez soi. C’est peut-être la façon la plus triste, mais aussi la plus simple de dépeindre la réalité autochtone des 300 dernières années, du moins sur le territoire canadien.

Pendant que nos gouvernements tentent de mesurer les impacts concrets de la colonisation et du génocide culturel qui s’en est suivi, des Autochtones essaient tant bien que mal de recoller les pièces d’un puzzle identitaire auquel il manque encore quelques morceaux.

C’est notamment le cas de Kijâtai-Alexandra Veillette-Cheezo. La jeune femme participera prochainement à une conférence des Nations unies portant sur les enjeux autochtones où on effleurera très probablement la question de l’identité fracturée.

« Kijâtai » ça signifie « ciel bleu dégagé » en langue anishinaabe, m’a expliqué la jeune femme de sa voix timide. C’est drôle, c’est justement le temps qu’il faisait le jour où nous nous sommes rencontrées pour qu’elle me parle un peu de son histoire.

Des histoires comme celle de Kijâtai, il y en a des milliers. Parce que pendant des dizaines d’années, les quelque 140 000 personnes qui composent les 11 nations et les 55 communautés de la province ont été contraintes au silence, n’existant qu’à travers quelques clichés éculés tels que « l’Indien sniffeux de gaz ».

Pour bien des Québécois, la réalité des Première Nations, des Métis et des Inuits se limite encore à la toxicomanie, à l’itinérance, aux suicides. La même histoire racontée chaque fois du même point de vue : celle de la majorité qui pose son regard souvent teinté d’incompréhension, voire de mépris, sur « l’Autre ».

Kijâtai est bien placée pour le savoir. Née à Val-d’Or d’une mère allochtone (blanche) et d’un père anishinaabe (algonquin), elle a vécu toute sa vie à cheval entre ses deux identités.

« Quand j’habitais à Malartic, je sentais du rejet un peu des deux côtés. Du fait que j’étais blanche et du fait que j’étais autochtone. Je n’avais pas beaucoup d’amis. C’est seulement récemment que j’ai appris à être fière de qui je suis et de me foutre de ce que pensent les autres. »

Pendant longtemps, Kijâtai a été coupée de son héritage autochtone en raison de l’absence prolongée de son père dans sa vie. Une conséquence concrète et directe des politiques coloniales canadiennes, avance la jeune femme. « Mon père est passé par les pensionnats autochtones. Il a été arraché à sa famille, il a tout perdu. À l’époque, les autorités disaient qu’il fallait effacer ‘’l’Indien’’. Mon père a perdu sa langue, sa culture, il a été incapable de la transmettre à ses enfants. »

« Je suis une survivante de ce qu’on appelle le traumatisme intergénérationnel, poursuit-elle. Mon père a développé des problèmes de santé mentale, d’autres types de problèmes. Les gens ne réalisent pas comment l’horreur des pensionnats se transmet de génération en génération. On parle de trois générations minimum : celle de mon père, la mienne et probablement celle des enfants que j’aurai à mon tour. »

Ce triste constat a longtemps nourrit une grande colère chez Kijâtai. « J’ai vécu de grosses crises identitaires. J’ai été dépressive par moment, je me suis un peu demandée c’était quoi ma place dans l’univers », relate-t-elle en évitant soigneusement de rentrer dans les détails de ses périodes les plus sombres.

Le ressentiment de Kijâtai à l’égard de la société s’est éventuellement mué en détermination. Aujourd’hui, la jeune femme de 26 ans fait partie de cette nouvelle génération qui revendique haut et fort son droit de parole.

« Ça fait peut-être neuf mois que j’ai reconnecté avec des membres de ma communauté. J’ai appris tellement de choses. Des choses qui étaient normales pour les Autochtones avant et qui ont été étouffées avec l’arrivée des colons et de leurs croyances. »

Parmi ces « choses étouffées », on retrouve la notion de bispiritualité (le « 2S » dans LGBTQ2SIA+). Il n’y a pas de définition précise au concept, mais on pourrait dire qu’il s’agit du troisième genre ou du genre neutre autochtone. Dans le cas de Kijâtai, le concept s’exprime sous forme de dualité : elle se sent à la fois un peu « femme » et un peu « homme ».

Si du point de vue de la majorité, les discussions mainstream (et enflammées) sur l’identité sexuelle sont assez récentes, chez les Autochtones, la question était réglée depuis ben, ben longtemps...sauf qu’elle a été occultée.

« Les personnes birispituelles étaient reconnues au même titre que les shamans, c’était très ouvert. Puis l’Église est arrivée dans nos communautés et a décrété qu’il y avait seulement deux genres : les hommes et les femmes...avec des rôles bien définis », explique Kijâtai.

« Je suis en train de me réapproprier les choses. En fait, je suis en train de me retrouver », ajoute-t-elle en évoquant notamment sa participation au dernier défilé de la fierté gaie, un rêve qu’elle caressait depuis un certain temps.

Kijâtai attribue aussi la réussite de son processus d’autonomisation à Wapikoni où elle travaille depuis l’été dernier. L’organisme, fondé en 2004 par la cinéaste Manon Barbeau, contribue à l’autonomisation des communautés autochtones d’ici et d’ailleurs. Il est surtout connu pour son studio mobile qui sillonne le territoire québécois et qui propose des outils de création musicale et audiovisuelle aux populations marginalisées.

« C’est fou l’impact qu’ils ont. Mon frère qui a eu quelques mauvaises passes dans la vie, qui a connu l’itinérance entre autres, a pu réaliser plusieurs films pour parler de son histoire », m’a-t-elle confiée.

C’est dans le but d’aider d’autres personnes à se retrouver que Kijâtai a décidé de s’impliquer. Chez Wapikoni, elle s’occupe de maintenir le lien entre l’organisme et les personnes impliquées dans les productions audiovisuelles, une expérience qui lui apporte une autre perspective sur les enjeux autochtones.

« À Wapikoni, j’ai entendu pour la première fois une expression que j’affectionne beaucoup : la souveraineté narrative. Ça veut dire d’être libre de raconter nous-même nos histoires. Ça aide tellement les Autochtones de parler, de se réapproprier leur voix. Je le vois autour de moi : ça permet de réaffirmer notre identité et d’assoir notre résilience. »

Question de pousser l’idée de la réaffirmation un peu plus loin, Kijâtai s’est rendue à Ottawa la semaine dernière avec une délégation d’Oxfam-Québec, partenaire de Wapikoni dans plusieurs pays, pour participer au dévoilement d’une étude des Nations unies sur l’implication des jeunes dans les processus de paix un peu partout sur la planète.

Une occasion pour elle de démystifier les enjeux touchant les communautés autochtones de la province avec une attention particulière à ceux qui touchent la communauté LGBTQ2S. En d’autres termes, c’est la chance de pouvoir parler de la minorité au sein de la minorité.

C’est aussi une bonne préparation en prévision de la 18e instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones où elle est attendue à la fin du mois.

« Je veux que les gens comprennent à quel point nous sommes forts. C’est un long cheminement se réapproprier une culture et une langue. J’admire tout ceux qui le font en ce moment, ça m’inspire. Se retrouver comme ça, c’est aussi guérir. »

Questions, commentaires, envie de jaser? Écrivez-moi: vanessa.destine@quebecormedia.com

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