Le plastique de retour en force grâce à la COVID-19
Le plastique a bien mauvaise presse depuis quelques années. Mais avec la pandémie, on assiste à sa revanche. Les Québécois délaissent les sacs réutilisables et consomment davantage de plastique à usage unique. Résultat : des fabricants d’emballages ont augmenté leur production de 20 %.
Depuis le mois de mars, le plastique est partout : gants, masques, visière de protection, contenants de repas pour emporter, sans oublier le grand retour du sac dans les épiceries.
«Les sacs qui étaient bannis sont revenus en force et les fabricants ont reparti leur production au plus gros de leur capacité», explique le directeur général de l’Alliance Polymères Québec, Simon Chrétien.
Emballages EB, qui fabrique des sacs pour les épiceries et les pharmacies, dit avoir augmenté ses activités de 20 % dans ce secteur depuis trois mois.
«On a livré 600 000 sacs juste à des IGA de Québec et Chaudière-Appalaches, explique le président Frédéric Lessard. C’est un 20 % d’augmentation qui a compensé le secteur industriel en baisse.»
Même constat chez Polykar, le plus important fabricant québécois d’emballages et de sacs (repas pour emporter, produits d’épicerie comme les sacs à pains).
«L’emballage alimentaire représente 50 % de notre chiffre d’affaires et on a vu une hausse d’à peu près 20 % par rapport à la situation avant la pandémie», explique son président, Amir Karim.
Sacs réutilisables interdits
En raison de la crise, plusieurs épiceries, comme Maxi, demandaient à ses clients d’éviter les sacs réutilisables. Provigo les a carrément interdits. Les frais des sacs ont été suspendus temporairement.
La mesure a entraîné une hausse du nombre de sacs en plastique, mais la sécurité demeure la priorité, souligne Johanne Héroux, directrice des communications chez Loblaw (Maxi, Provigo, Pharmaprix).
Depuis quelques jours, les sacs réutilisables sont acceptés, mais le client doit emballer ses achats.
Du côté d’IGA, on s’apprêtait après Montréal à interdire, le 19 mars, les sacs en plastique partout en province. Le projet est reporté, mais l’objectif demeure, assure la porte-parole de Sobeys, Anne-Hélène Lavoie.
Le sac réutilisable n’a pas été interdit, mais le client doit emballer ses emplettes. «Je ne vous cacherai pas qu’il y a eu une grosse diminution de l’utilisation du sac réutilisable», reconnaît Mme Lavoie.
Même politique chez Métro. Si le client apporte ses sacs, il s’occupe de l’emballage.
Habitudes bouleversées
Même si la santé publique n’a pas émis de directives sur le plastique durant la pandémie, les Québécois ont changé leurs habitudes.
«Même les consommateurs les plus responsables sont allés acheter des produits qu’ils n’avaient jamais achetés : lingettes désinfectantes, plus de produits à base de papier», souligne Fabien Durif, directeur de l’Observatoire de consommation responsable à l’École de sciences de la gestion de l’UQAM.
Agnès LeRouzic de Greenpeace croit plutôt que les Québécois ont eu le réflexe de se tourner vers ce qu’ils connaissaient et qui leur semblait plus sécuritaire.
«Mais les études démontrent que peu importe la matière, c’est la désinfection qui compte», dit-elle.
«Cette crise va durer un petit moment. Alors c’est important de se poser des questions sur le désastre environnemental qu’on cause avec cette consommation accrue de plastique à usage unique», insiste-t-elle.
– Avec Alexis Magnaval
Quelques chiffres
- Seulement 9 % du plastique au pays est recyclé, 4 % est incinéré et 86 % finit à l’enfouissement, selon rapport un Deloitte/Environnement Canada.
- Recyc-Québec calculait un taux de recyclage du plastique de 25 % en 2018. Ainsi 75 % des plastiques ont été jetés à la maison ou par le centre de tri.
Une vraie «aubaine» pour le lobbyisme
La crise sanitaire permettra de relancer le débat de la place du plastique dans la société, espère l’industrie.
«La pandémie a représenté une aubaine pour le lobby du plastique qui a été très offensif aux États-Unis et en Europe», affirme Agnès LeRouzic, de l’organisme Greenpeace.
Par exemple, l’Association de l’industrie du plastique américaine a envoyé, en mars, une lettre au département de la Santé demandant qu’il déclare le sac en plastique comme l’option la plus sanitaire et sécuritaire.
La Confédération européenne de la plasturgie a elle aussi demandé à la Commission européenne de lever toutes les interdictions des plastiques à usage à unique et de reporter celles à venir en utilisant l’argument de la sécurité.
«L’industrie du plastique a toujours dit qu’il fallait faire attention avec les sacs réutilisables, parce que ce n’est pas tout le temps propre, affirme le porte-parole de l’Association canadienne de l’industrie du plastique, Marc Robitaille. Ç’a été souligné pendant le SRAS, et là aussi parce qu’il y a un risque de contamination.»
Industrie en santé
Celui qui est aussi président de l’entreprise Omniplast et lobbyiste afin de «sensibiliser» les élus quant aux conséquences de «décisions précipitées» du bannissement des sacs plastiques est d’avis qu’il faut rouvrir le débat.
«Est-ce que les sacs en plastique jetables ou recyclables sont si épouvantables que ça? La pandémie ne démontre-t-elle pas que les sacs en plastique ont peut-être une place dans notre société?» demande-t-il.
Le président du fabricant Polykar, Amir Karim, croit que le contexte actuel confirme qu’il y a une utilité à certains plastiques.
«C’était un débat souvent très émotionnel, mais je pense que la science prendra le dessus. Il y a des raisons pour les emballages : pour l’hygiène et pour rallonger la durée de vie du produit», dit-il.
Malgré le mouvement pour bannir les plastiques, l’industrie se portait très bien avant la pandémie et représentait environ 6 milliards $ de chiffre d’affaires au Québec. Les environnementalistes ont surtout fait mal à l’image, affirme Simon Christian, directeur général de l’Alliance Polymères Québec.
Des solutions pour les nouveaux déchets
Constatant l’avalanche d’équipement de protection sur ses chantiers de travail, une entreprise a inventé un système de collecte et de destruction de ces nouveaux déchets.
«Si chaque citoyen utilise un masque jetable par jour, ça peut aller très vite... Ça peut représenter un problème de pollution extrêmement grave qui n’existait pas avant», souligne le directeur du développement stratégique chez Sanexen, Mathieu Germain.
Aux masques, s’ajoutent aussi les gants, les visières, les lingettes pour nettoyer les surfaces ou encore les mouchoirs.
L’entreprise spécialisée en réhabilitation de sites et traitement des eaux voyait poindre le problème sur ses chantiers.
Sanexen a donc créé Box-19. Un bac est installé sur un site, par exemple un commerce ou un bureau d’entreprise, pour permettre aux gens de jeter ces déchets de façon sécuritaire lorsqu’ils quittent les lieux. L’entreprise récupère le bac à la fin du mois et le désinfecte.
Elle détruit ensuite les déchets grâce à un processus d’incinération qui ne relâche aucune pollution et produit de l’énergie propre.
Folie furieuse
En trois semaines, une centaine de contenants ont déjà été livrés un peu partout au Québec, notamment sur des chantiers de construction, dans des centres commerciaux et dans certains établissements comme les commissions scolaires et édifices municipaux.
«C’est la folie furieuse. On va s’assurer de desservir tout le monde», révèle M. Germain.
Plusieurs Québécois ont aussi commencé à s’équiper de couvre-visages lavables, ce qui devrait réduire les quantités de plastique jetées.
En restauration?
D’autres solutions pourraient aussi être mises en place dans des secteurs comme la restauration, croit Agnès LeRouzic, porte-parole de Greenpeace et chargée de campagne Océans et Plastique.
Pour ce qui est des repas pour emporter, un restaurant pourrait créer un système d’abonnement.
«Vous livrez des repas à des abonnées dans des boîtes réutilisables que l’entreprise revient chercher et désinfecte», illustre-t-elle.
«Ce n’est pas vrai que le jetable est l’unique façon d’assurer la sécurité des citoyens», insiste-t-elle.
Québécois moins préoccupés
Depuis le début de la pandémie :
- 54 % des gens qui consommaient en vrac ont cessé de le faire ;
- 32,8 % consomment davantage de produits à usage unique ;
- Le nombre de personnes qui ont apporté chaque fois leurs sacs réutilisables à l’épicerie a baissé de plus de 40 % ;
Les raisons évoquées sont : le commis n’emballe plus les achats avec des sacs réutilisables (64 %), l’épicerie ne les accepte plus (57 %), la crainte de risques de transmission de la COVID-19 (45 %).
- En début de pandémie, 62,5 % des gens étaient favorables à l’élimination des sacs en plastique dans les épiceries (-12,5 points par rapport à avant la crise). Les données récentes semblent toutefois pointer vers un retour à la normale dans l’opinion publique. Même que 60 % craignent une résurgence du plastique.
Source : Observatoire de la consommation responsable de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM
Interdiction toujours prévue pour 2021
Le ministre de l’Environnement du Canada, Jonathan Wilkinson, a fait savoir à notre Bureau d’enquête qu’Ottawa avait toujours l’intention d’interdire certains plastiques à usage unique, mais la pandémie a entraîné un «léger retard» dans le processus.
«La COVID-19 a limité notre capacité à entreprendre une consultation publique», a expliqué son attachée Moira Kelly.
Le calendrier de 2021 est toutefois maintenu. Le gouvernement doit encore établir la liste des produits qui seront interdits. Il avait déjà évoqué les pailles, les sacs et les ustensiles.
«Les considérations découlant de la pandémie de la COVID-19 seront prises en compte lors de la prise de ces décisions», a-t-elle précisé.
Moins sécuritaire?
Une étude publiée en mars dans The new England Journal of médecine indique que la COVID-19 reste plus longtemps sur le plastique et l’acier inoxydable que sur le cuivre et le carton. Un virus viable a été détecté jusqu’à 72 heures après l’application sur le plastique alors que sur le carton, il n’était pas détectable après 24 heures. Fin mars, le ministère de la Santé de la Colombie-Britannique a recommandé aux épiceries de ne plus accepter les sacs réutilisables, souvent faits de plastique. Ici, l’Institut national de la santé publique du Québec n’a pas émis de directives à ce sujet.