Le Camping Notre-Dame a été évacué

Des cols bleus de la Ville de Montréal ont procédé au démantèlement du campement d'itinérants installé en bordure de la rue Notre-Dame Est, à Montréal, le lundi 7 décembre 2020.
Le campement de personnes itinérantes situé le long de la rue Notre-Dame à Montréal a finalement été évacué lundi, deux jours après qu’un incendie y ait ravagé une tente, heureusement sans faire de blessés.
La Ville n’a pas lésiné sur les moyens pour démanteler le campement de fortune de la rue Notre-Dame et en évincer les itinérants qui y logeaient depuis le printemps dernier. Plusieurs centaines de policiers, dont quatre agentes à cheval et la brigade anti-émeute, ont bouclé un vaste périmètre et en bloquant la rue Sainte-Catherine de la rue Moreau jusqu’à la rue Davidson, ainsi que toutes les rues et ruelles attenantes.
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Plusieurs policiers étaient sur place depuis l'aube. «Le réveil est pas mal brutal. On nous a avisés hier [dimanche] qu'ils étaient prêts à nous évincer, on a réussi à gagner du temps jusqu'à ce matin [...] mais on ne croyait pas avoir les policiers qui sont là», a mentionné à TVA Nouvelles l'un des résidents du campement alors que le soleil se levait.
Un peu avant 9h, un premier campeur a été évincé de sa tente dans le calme. Les campeurs avaient le droit d’apporter deux sacs d’effets personnels avec eux. Le reste de leurs affaires était identifié et sera déménagé par la Ville dans un deuxième temps.
Les personnes évincées allaient être relogées au refuge CapCare, aménagé dans l'ancien YMCA d'Hochelaga.
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«J’étais sortie quand le périmètre a été établi tôt ce matin, alors je ne pouvais plus retourner à ma tente et je voyais au loin les policiers qui fouillaient dans mes affaires», racontait en avant-midi France, 61 ans, qui logeait au Campement Notre-Dame depuis plusieurs semaines.
«J’ai franchi le cordon et ils ont finalement accepté que je me ramasse. Une dizaine de policiers m’entouraient en me regardant sans m’aider. L’un d’eux me répétait de me dépêcher. J’avais quinze minutes, qu’il me répétait. J’ai été obligée de m’en aller sans savoir quel numéro ils allaient donner à mes affaires pour pouvoir les retrouver plus tard quand ils les auront stockées.»
En début d'avant-midi, une vingtaine d’employés du service d’incendie et de policiers passait de tente en tente pour les numéroter et indiquer lesquelles sont vides.
Vers 14h, les toilettes chimiques étaient en train d'être retirées du campement. Une collecte de déchets s'est mise en branle sur le site au même moment. Dans la foulée, une tente a été jetée dans le camion à vidanges, avec les autres objets que les campeurs ne souhaitaient pas entreposer.
Manifestants
Au début de l'opération, une cinquantaine de manifestants se tenaient en bordure du terrain à la hauteur de la rue Moreau, près de Notre-Dame, en soutien aux campeurs. Ils ne pouvaient toutefois pas pénétrer dans le lage périmètre mis en place par les agents du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).
Les effectifs policiers égalaient, voire dépassaient, le nombre de protestataires venus manifester leur colère contre le démantèlement forcé, a pu constater le 24 Heures.
Devant l’écran formé par le SPVM, Jérémie Lamarche regrettait de voir autant d’effectifs policiers forcer le démantèlement.
«La force policière c’est la force répressive, c’est le maintien de l’ordre social établi. On veut que les gens se conforment alors on leur impose. Sauf que la réalité c’est qu’on est tous et toutes des humains différents qui ont des besoins différents. Alors le fait d’apporter la police, c’est comme de forcer le cadre aux personnes pour qui le cadre ne correspond pas», explique le cégépien en technique de travail social.
Il se désole de l’éviction parce que selon lui, la meilleure méthode pour venir en aide à des personnes en situation d’itinérance c’est d’exposer leur réalité au lieu d’en créer un stigma. «On a deux choix, soit que l’on reconnait et qu’on s’attaque aux causes structurelles de ce problème-là ou qu’on envoie la police et qu’on sort tout le monde et qu’on essaie de les cacher ces personnes-là. Visiblement, c’est la deuxième option qui a été choisie», lance M. Lamarche.
Jonathan Sirois est sensible au démantèlement, il vient depuis un mois aider a distribué des vêtements chauds et il a fondé le groupe Facebook, UNIS pour les sans-abri.
«Moi ça me bouleverse tout ça, je vais prendre le temps de voir ce que je peux faire pour continuer d’aider», dit-il.
M. Sirois aurait préféré que l’argent du déploiement des forces policières de lundi soit plutôt investi pour la prévention d’incendie.
Jérémie Lamarche est du même avis. Il souhaite que des évènements comme ceux de samedi où une tente a pris feu ne se reproduisent pas. «Je pense que le service incendie a l’expertise pour les accompagner pour qu’ils puissent rester et qu’ils chauffent leur tente sécuritairement. Je pense que c’est la mauvaise façon de tout démolir, ils vont devoir tout recommencer», explique-t-il.
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Plusieurs organismes en colère
Des intervenants sociaux rencontrés sur place en matinée étaient fâchés de ne pas pouvoir aider les campeurs à déménager. «Ce n’est pas du tout comme ça que ça devait se dérouler», déplore Michel Monette, le directeur de Care, qui doit prendre en charge les évincés dans les locaux de l’ancien YMCA d’Hochelaga.
Une vingtaine de bénévoles venus prêter main-forte pour le déménagement se sont retrouvés bloqués en dehors du périmètre. Frigorifiés après plusieurs heures d'attente à patienter, certains étaient rentrés chez eux en milieu de matinée.
Ce n'est qu'à 13h45 que l'organisme Care s'est vu accorder l'accès au site.
Sur les réseaux sociaux, plusieurs organismes ont dénoncé la façon dont l'évacuation se faisait, critiquant particulièrement le périmètre policier qui empêchait le public de s'approcher du campement.
«Les conditions du démantèlent du campement Notre-Dame sont une honte : contrairement à ce que la ville avait dit, les intervenant.e.s qui devaient aider les sans-logis se font refuser l’accès. Il est interdit de prendre des images sans carte de presse», a indiqué le Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) sur Twitter.
«Les ministres fédéraux et provinciaux devraient être sur place ce matin pour constater le résultat catastrophique de leur inertie en matière de logement et d’#itinérance depuis des mois», a ajouté l'organisme.
Le Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM) allait dans le même sens. «Démanteler un campement est tout sauf humain et responsable», a mentionné l'organisme sur Twitter. «Il faut des alternatives à ce qui est déployé en ce moment parce que ça ne suffit pas.»
La Ligue des droits et libertés a aussi tweeté des propos semblables, invitant la mairesse de Montréal Valérie Plante à faire respecter ses engagements par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).
Week-end mouvementé
Le week-end avait été mouvementé sur ce terrain d'Hochelaga, qui appartient au ministère des Transports du Québec et où des gens sont installés depuis l'été. Rappelons que samedi, une chandelle a mis le feu à une tente, la ravageant en l'espace de quelques minutes. L'incendie n'a fait aucun blessé, mais démontrait les risques liés aux chauffages d'appoint mis en place dans les tentes à l'arrivée du temps froid.
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Dimanche en début d'après-midi, le Service de sécurité incendie de Montréal a ordonné aux campeurs de quitter la place. Jusqu'alors, la Ville avait répété à plusieurs reprises ne pas vouloir utiliser la force pour évacuer le campement, et préférait plutôt offrir de l'entreposage et diriger les gens vers des refuges et des ressources. Plusieurs ont accepté ces offres, mais des dizaines de personnes vivaient encore lundi matin au Camping Notre-Dame.
Certains campeurs encore sur place ont dit aux médias au courant des derniers jours qu'ils ne quitteraient pas les lieux sauf s'ils pouvaient aller en appartement. Plusieurs ont mentionné ne plus pouvoir payer de loyer vu le prix des logements à Montréal et le faible taux d'inoccupation sur l'île.
«J'aurais aimé que tout le monde ici soit traité de façon humaine, dignement, que chacun ici ait un HLM, c'est une urgence», a mentionné un campeur à TVA Nouvelles lundi.
Campement Notre-Dame
◆ 27 juillet : Une dizaine d’itinérants érige un campement de «huit» tentes sur le site.
◆ 21 août : Une pétition pour sauver le campement voit le jour.
◆ 25 août : On observe une quarantaine de tentes sur ce site. Le nombre grimpera jusqu’à 123 à l’automne.
◆ 27 août : Valérie Plante annonce l’ouverture de trois sites d’hébergement d’urgence, représentant 850 chambres, invitant par le fait même les itinérants du campement à s’y diriger.
◆ 24 novembre : La Ville lance une « mise à l’abri solidaire » avec des intervenants pour convaincre les sans-abri de joindre des ressources. Une soixantaine de tentes sont toujours sur place.