Locataire expulsé, propriétaire intimidé: ce que l’on sait sur l’éviction dont tout le monde parle sur les réseaux sociaux

La députée de Québec solidaire Ruba Ghazal a repris dans une publication Facebook une photo de l’éviction et une capture d'écran de l’annonce de la mise en vente de l’immeuble.
Mi-janvier, un locataire du Plateau-Mont-Royal se faisait expulser de son logement, en plein hiver. L’immeuble vient maintenant d’être mis en vente pour 1 350 000$ alors qu’il avait été acheté 857 000 $ en juin dernier. Voici ce qu’il faut savoir sur cette histoire qui fait beaucoup de bruit dans les médias sociaux.
Comment cela a commencé
C’est une publication sur Facebook de la députée de Québec solidaire Ruba Ghazal qui a lancé le débat. Elle y reprend une photo de l’éviction, avec les meubles de l’ancien locataire empilés sur le trottoir, et une capture d'écran de l’annonce mise en ligne.
Cette annonce comportait une phrase qui a été modifiée depuis: «Voici votre chance d’acquérir un triplex et d’en disposer comme bon vous semble sans vous soucier des locataires.»
«On utilise un ton dégoulinant de mépris à l’endroit des locataires pour faire comprendre aux futurs “investisseurs” qu’ils n’auront pas à faire le sale boulot», écrit Mme Ghazal, dont la publication a beaucoup fait jaser dans les groupes de locataires et de citoyens.
Prise de valeur de 500 000$ en six mois
Selon l’acte de vente de l’immeuble situé rue De Brébeuf, le propriétaire et deux autres personnes avaient acquis la bâtisse en juin 2020 pour 857 000$.
Dans notre série Poing levé, nous donnions récemment la parole à Claudia Leduc, une voisine de l’immeuble, révoltée par les évictions en pleine pandémie.
Le jour de la publication de notre vidéo, Mme Leduc constatait que le bloc était mis en vente au prix de 1 350 000$. Pour elle, les intentions du vendeur ne font aucun doute.
«En six mois, il va faire 500 000$, c’est merveilleux», ironise la citoyenne, elle-même une locataire impliquée sur le front du logement.
Pour elle, «il est assez évident que c’est un cas de “flip”».
Un flip, c’est l’achat d’une propriété dans le but de la revendre rapidement et de faire du profit. Pour ça, il faut faire des rénovations ou encore que le marché soit à la hausse, ce qui est le cas en ce moment à Montréal. En clair, c’est de la spéculation immobilière.
Une telle flambée du prix n’est pas illégale, puisque l’achat et la vente d’immobilier sont soumis aux lois du marché.
Un locataire qui ne paie pas, un propriétaire intimidé
Le propriétaire et vendeur de l’immeuble, Karl Boissonneault, se défend d’être une entreprise millionnaire et avance qu’il ne fera pas de profit avec cette vente, au vu des comptes à rendre aux gens qui l’ont aidé à acquérir le bloc.
Le propriétaire dit avoir été la cible d’intimidation et de vandalisme depuis que l’affaire fait du bruit.
«J’ai reçu des menaces de mort, des gens qui disent qu’ils vont brûler le bloc. Je vis un préjudice incroyable à cause de ces réseaux sociaux et des gens qui n’ont aucune idée de la vraie version.»
La vraie version, c’est que le locataire du logement a été évincé le 14 janvier dernier au terme d’une bataille de six mois devant le Tribunal administratif du logement, communément appelé Régie du logement.
Il avait arrêté de payer son loyer et devait maintenant au propriétaire 3350$. L’expulsion a été ordonnée le 23 décembre 2020.
Un nouveau moratoire sur les évictions?
Plus que la cause de cette éviction bien précise, c’est le principe même des expulsions en plein hiver et en pleine pandémie qui révolte Ruba Ghazal.
La députée de Mercier recommande d’emboîter le pas à l’Ontario, qui a récemment suspendu les évictions. Elle donne aussi en exemple la trêve hivernale qui, en France, suspend chaque année les expulsions de novembre à mars.
Lors de la première vague de COVID-19, la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest, avait suspendu les évictions jusqu’en juillet.
«Pourquoi Mme Laforest ne remet pas ce moratoire? s’interroge la députée Ghazal. On le lui a demandé au mois de janvier et c’est silence radio.»
Contacté, le cabinet de la ministre répète que ce moratoire n’est pas envisagé actuellement.
Il faut aussi que le Tribunal nuance ses décisions en fonction du contexte, selon Ruba Ghazal.
«Par exemple, si un locataire a des problèmes de santé mentale, est-ce que le Tribunal pourrait demander une expertise?» questionne la députée.
Quant au prix de revente de l’immeuble en question, elle recommande de repenser la mécanique de marché sur le logement.
«C’est incroyable! C’est ça qui arrive quand on laisse le monopole au marché pour le logement, qui devrait être un droit.»
Rappelons qu’il est difficile, actuellement, de trouver un logement à un prix raisonnable à Montréal et dans plusieurs villes à travers le Québec. Le taux d’inoccupation est très bas, ce qui crée un déséquilibre dans l’offre et la demande et fait augmenter le prix des loyers.