Quand l’art se limite pour respecter les algorithmes

L’illustratrice Charlie Bourdeau connaît les politiques strictes d’Instagram et sait très bien ce qu’elle ne peut pas publier sur cette plateforme: des contenus explicites et des dessins d’organes génitaux détaillés, entre autres.
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«J’ai toujours fait attention, donc je ne me suis jamais fait censurer, mais ça joue beaucoup avec mon art et ce que je décide ou non de créer», explique la jeune femme derrière le compte @charliebourdeau.
Elle doit être vigilante, parce que son art coloré – qu’on retrouve à la une du plus récent numéro du 24 heures – tourne autour de la sexualité, de l’inclusion et de la diversité.
Quelques-unes de ses illustrations ont été signalées sur Instagram, mais elle ne serait pas victime de «shadow banning», à l’inverse de ce que rapportent des propriétaires de nombreux comptes semblables au sien.
«Tous les contenus liés au corps des femmes, aux personnes grosses, trans, non blanches; bref, dès que c’est hors normes, c’est très facilement bloqué ou signalé. Dès que tu ajoutes des couches de diversité, Instagram ne t’aime pas», dénonce-t-elle.
La militante de 26 ans est très engagée dans son art, qui traite de féminisme intersectionnel, de sexualité positive et qui dénonce vivement les injustices à l’égard des groupes marginalisés. Son but: «briser le tabou avec du doux», comme elle aime dire.
Des photos de corps diversifiés... et censurés
La photographe Cassandra Cacheiro, qui a cofondé le Womanhood Project, doit aussi se plier aux paramètres imposés par les réseaux sociaux pour y publier ses photos.
Sur le compte Instagram dont elle s’occupe avec sa complice Sara Hini, elle présente toutes sortes de corps et d’histoires, mais censure d’un trait les mamelons de ses modèles pour s’assurer que la photo ne soit pas supprimée.
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Nombre de femmes, connues ou non, ont posé pour Cassandra Cacheiro depuis qu’elle a commencé sa pratique il y a six ans.
Safia Nolin, Cœur de pirate, Jessica Prudencio, Alice Paquet et Yseult se retrouvent notamment sur le compte @the_womanhood_project, grâce à des portraits tout en douceur et sans flash ni artifice, que la photographe croque avec sa caméra argentique
L’un des objectifs de la Montréalaise? Prouver que la nudité est dissociable de la séduction et de la sexualité, justement. Un corps libéré de ses vêtements peut aussi incarner une forme de vulnérabilité, de fragilité, même.
«Ça m’aide dans ma propre relation avec mon corps. C’est zéro sexuel. Ça se fait dans le confort de la personne que je prends en photo. Je prends en considération ses limites, ce qu’elle a envie de faire», explique-t-elle.
Même si ses créations sont dénuées d’intentions pornographiques et qu’elle prend la peine de s’assurer qu’on ne voie jamais le moindre mamelon, Instagram bloque souvent le contenu que Cassandra partage avec ses abonnés.
«Avec le compte de Womanhood Project, on a remarqué que les photos qui sont enlevées sont souvent celles qui présentent des corps gros et des corps racisés», déplore-t-elle.
L’image d’une femme avec des cicatrices d’automutilation sur ses bras a également été la proie des algorithmes, idem pour une autre dame qui était atteinte du cancer et photographiée tandis qu’elle s’injectait un médicament.
«Automatiquement, je pense que Facebook et Instagram ont cru que c’était de la drogue», déplore Cassandra Cacheiro. L’intelligence artificielle n’est, pour ainsi dire, pas capable de faire la part des choses, d’épouser son souci de représentativité.