Des théories du complot s'invitent entre deux posts sur le yoga et la méditation

On peut avoir des surprises ces jours-ci en naviguant sur les comptes Instagram consacrés au bien-être, à la méditation ou au yoga : plusieurs adeptes de ces pratiques se lancent tête baissée dans les théories du complot.
Marianne Laliberté nous a confié vouloir délaisser sa communauté. La jeune femme enseigne le yoga depuis deux ans dans un centre d’escalade de Montréal. En parallèle, elle participe à des cercles de femmes, des groupes de discussion réservés à la gent féminine.
Dans ces groupes – qu’elle qualifie de plus «spirituels», voire «ésotériques» –, Marianne observe que, depuis le début de la pandémie, l’adhésion à certaines théories du complot est généralisée et que les gens le font savoir sur les réseaux sociaux.
«Il y avait déjà un discours de méfiance envers le “mal”, on parle aussi des “forces de l’ombre”. Le gouvernement, les vaccins, la 5G, même le WiFi at large sont en quelque sorte devenus la représentation de ça», rapporte celle qui s’imagine mal réintégrer ces cercles de femmes avec les mêmes participantes.
«L’activité mène à s’ouvrir et à être très vulnérable. Si je sens que nous ne sommes pas d’accord sur des idées fondamentales et des valeurs, ce sera peut-être plus difficile de retourner avec ces personnes-là», explique-t-elle.
Vanter les exploits de Trump
Véronique (nom fictif) jongle avec la possibilité de quitter définitivement le studio de yoga montréalais qu’elle fréquente, c’est pourquoi elle préfère qu’on ne dévoile pas son nom.
La femme de 67 ans pratique depuis 10 ans et elle s’est tissé un réseau d’amis dans le milieu. Depuis la COVID-19, elle ne reconnaît plus sa communauté.
«Dans le yoga, on est dans l’amour, on s’aime les uns les autres. On ne parle jamais de politique et tout à coup, on s’est mis à en parler. Les gens se sont mis à vanter les exploits de Trump», relate Véronique.
Dernièrement, elle a même vu une professeure du studio partager une photo de Jake Angeli, aussi surnommé le QAnon Shaman, l’homme au torse nu portant des cornes qui s’est infiltré au Capitole le 6 janvier dernier.
L’infiltration des théories du complot dans le milieu du bien-être se produit aussi aux États-Unis. Des publications à l’esthétique attrayante reprennent carrément des messages du mouvement QAnon, un groupe d’adeptes de théories du complot d’extrême droite qui croit entre autres que des enfants sont kidnappés par une riche élite pédophile. Ce contenu se fait qualifier de Pastel QAnon.
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La chercheuse Marie-Ève Carignan, qui scrute les médias sociaux pour analyser le comportement des groupes qui partagent du contenu complotiste, a remarqué un changement de cap chez certains influenceurs du milieu du bien-être.
«On a vu des influenceurs sur des médias sociaux populaires comme Instagram et Facebook qui partageaient à la base des contenus bien-être – par rapport à la nutrition, aux médecines, au yoga – qui ont commencé à partager des contenus complotistes», explique la directrice de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents.
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Au début de la pandémie, le milieu de la médecine alternative partageait davantage de fausses nouvelles liées à la santé, relate-t-elle. «On entendait des choses comme “il faut croire en votre propre pouvoir d’immunité”, “les rayons du soleil vont vous donner ce qu’il faut pour vous protéger”, “prenez beaucoup de vitamine C”, etc.»
Mais le discours de ces personnes s’est transformé en méfiance envers les pharmaceutiques, les vaccins et les gouvernements.
«Ça fait une suite qu’on peut comprendre, qui n’est pas surprenante, même si elle est inquiétante. Il y a eu des déviations après cela : on a vu des leaders de comptes de santé et de bien-être qui sont tombés dans QAnon de manière assez intense», témoigne la professeure à l’Université de Sherbrooke.
Solitude et anxiété
Même si Marianne Laliberté ne souhaite pas couper les ponts complètement avec le milieu, elle craint que cette division soit là pour de bon.
«C’est un peu devenu l’identité de toute une partie du milieu du bien-être : l’espèce d’“anti-gouvernement”, “anti-autorité”, “anti-pandémie”... Ça fait partie de leur approche», pense-t-elle.
Malgré cette situation, la professeure de yoga ne juge pas trop sévèrement ses anciens collègues.
«J’ai eu cette chance de ne pas avoir éprouvé d’anxiété à être confinée. J’aime bien être toute seule. Je pense que dans ces milieux-là, il y a beaucoup de gens très extravertis et sociables, qui maintenant n’ont plus accès à la compagnie des gens. Je pense que ç’a créé beaucoup d’anxiété», confie-t-elle.
Elle précise aussi que la majorité des endroits liés au bien-être, notamment l’école où elle enseigne le yoga, n’ont pas du tout sombré dans un discours conspirationniste.