3 choses qui permettent de comprendre pourquoi le milieu du bien-être est fertile pour les complotistes

Il n'est pas rare ces jours-ci de tomber sur une publication complotiste entre deux images de yoga sur les réseaux sociaux. On a parlé à des experts et des membres du milieu du bien-être pour comprendre pourquoi celui-ci semble être un terreau fertile pour les théories du complot, et on a dégagé trois concepts qui permettent de mieux comprendre la situation.
En voici un résumé.
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1. C’est un milieu où on se méfie parfois de la science
Les pensées non scientifiques sont souvent populaires dans le milieu du bien-être, ce qui peut aider les contenus conspirationnistes à s’y insérer même s’ils ne sont pas soutenus par des preuves, analyse un expert.
«On vend l’idée que c’est un corps malsain qui attire la maladie et non pas les virus ou les bactéries qui la causent», donne en exemple Jonathan Jarry, communicateur scientifique pour l’Université McGill.
Marianne Laliberté, une professeure de yoga qui participe à des cercles de femmes, a bien observé ce genre de propos éloignés de la science tenus par des gens qui gravitent dans ce milieu.
«Ils vont diminuer l’impact de la pandémie en disant : “Je suis plus que mon corps, si je ‘vibre’ assez haut, ça ne va pas m’affecter”. Les gens dans ces milieux-là vont se placer au-dessus de leur corps physique, ce qui amène à des croyances aberrantes. C’est un peu de la pensée magique», lâche-t-elle.
2. Les groupes spirituels sont plus touchés
Jonathan Jarry observe que dans le vaste éventail du bien-être, ce sont les groupes aux discours plus spirituels qui sont particulièrement touchés : ce phénomène porte d’ailleurs le nom de «conspiritualité», un mélange entre «conspiration» et «spiritualité».
L’expert soutient que plusieurs adeptes du complotisme croient que rien n’est ce qu’il semble être, que l’humanité est à l’aube d’une nouvelle ère de conscience, qu’elle va «s’éveiller» et démasquer ceux qui la contrôlent.
Ces thèmes ne sont pas sans rappeler des propos tenus par certains adeptes du bien-être, selon les personnes à qui nous avons parlé. Véronique (nom fictif), qui pratique le yoga à Montréal depuis 10 ans, constate ce désir de changement. Plusieurs membres de sa communauté sont en «quête de sens», selon elle.
«Il y a beaucoup de gens qui remettent en question le fonctionnement de la société, avec raison d’ailleurs. Ils critiquent le manque d’amour et ils veulent changer les choses. Ce sont du bon monde, mais ils ne savent pas toujours comment s’y prendre», note-t-elle.
3. Les différentes mouvances se parlent entre elles
On peut être surpris de voir des propos conspirationnistes dans le milieu du bien-être, puisque ce mouvement est souvent associé à l’extrême droite dans la croyance populaire. Mais les personnes réfractaires aux mesures sanitaires se trouvent aussi ailleurs dans le spectre politique, constate Marie-Ève Carignan, directrice de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents.
Selon ses recherches, au début de la pandémie, on retrouvait surtout des complotistes chez des membres de l’extrême gauche, des survivalistes et des anti-vaccination, qui sont assez présents dans les milieux du bien-être, dit-elle.
Dans les derniers mois, de nouvelles tendances se sont aussi greffées, notamment des groupes religieux, ainsi que le mouvement QAnon, rapporte-t-elle.
«Ils se sont mis en réseau dans leurs activités. Ils ont trouvé des points de convergence dans leurs points de vue. Ce sont des idéologies qui se parlent. Les anti-vaccination partagent [sur les réseaux sociaux] beaucoup de contenus de groupe d’extrême droite et vice versa», explique Mme Carignan.
Quelques nuances
Il faut toutefois faire attention à ne pas mettre tous les adeptes du bien-être dans le même panier, nuance Solange Lefebvre, professeure titulaire à l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal.
«Je pense que c’est une minorité de gens qui font [du bien-être] une spiritualité alternative ou même une vision alternative du monde», dit-elle.
«Quand ça a commencé dans les années 70-80, c’était assez flyé. C’était rattaché au New Age, à des courants spirituels très particuliers. Aujourd’hui, ça peut l’être encore, mais ça ne l’est plus nécessairement. Faire du yoga ça peut se faire sans religiosité ou même spiritualité», ajoute-t-elle, en précisant qu’il n’y a pas de données qui indiquent que le milieu du bien-être adhère davantage aux théories du complot que le reste de la population.
Maude Bernier, une autrice-compositrice-interprète impliquée dans le bien-être, dit qu’elle peut comprendre comment des croyances complotistes peuvent se développer chez ses pairs, puisqu’on peut observer dans la réalité «une certaine élite qui n’agit pas nécessairement pour notre bien-être», dit-elle.
Elle croit cependant que se proclamer «conscient» ou «éveillé» par rapport au reste de la population n’est pas la solution. «Tu perpétues la division entre toi et le monde extérieur. En accusant et en pointant du doigt, tu fais grossir la polarité.»