Vague de dénonciations: pourquoi les administratrices de la page Facebook «Dis son nom» devront révéler leur identité
Pourquoi les administratrices de la page Facebook «Dis son nom», qui avait publié le nom de 1500 présumés agresseurs l'été dernier, devront-elles dévoiler leur identité? On a demandé à deux avocats de nous expliquer la décision de la Cour supérieure du Québec.
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Contexte
Été 2020: une vague de dénonciations balaie le Québec. Des artistes comme Julien Lacroix et Kevin Parent, tout comme des personnes inconnues du public, sont visés par des allégations d'inconduite sexuelle.
La page Facebook «Dis son nom», gérée par des administratrices anonymes, publie alors une liste de présumés agresseurs, incluant les noms et les gestes qui leur sont reprochés.
En septembre dernier, Jean-François Marquis, dont le nom était apparu sur la liste, entame des procédures judiciaires contre la page Facebook. Dans le cadre du procès, il souhaite connaître l’identité des présumées victimes et des administratrices de la page «Dis son nom» (DSN), et réclame 50 000$ en dommages moraux et punitifs.
La juge Katheryne A. Desfossés vient de donner raison à M. Marquis: les administratrices de DSN, dont l'une avait déjà dévoilé son identité, ne pourront pas garder l'anonymat.
Les administratrices de DSN devront aussi donner à M. Marquis l’identité de sa ou ses présumées victimes. Il ne pourra consulter que les documents recueillis par DSN le concernant, et non l'ensemble des dénonciations, comme il le réclamait. Il aura aussi accès aux communications entre les administratrices le concernant.
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Explications
Pourquoi l'une des administratrices souhaitait-elle demeurer anonyme?
L'administratrice de la page qui souhaitait demeurer anonyme a été désignée par les initiales A. A. Elle a dit vouloir demeurer anonyme parce qu'elle a déjà subi des agressions sexuelles, «qu'elle entame son processus de guérison et qu'elle ne se sent pas assez forte, en ce moment, pour agir de manière publique».
Cet argument n'a toutefois pas convaincu le tribunal, d'autant plus que la fondatrice de la page a reconnu que Jean-François Marquis ne figurait pas parmi ses agresseurs.
Il a été demandé à l’administratrice de la page de prouver à la Cour qu’en dévoilant son identité, «elle encourt à un risque sérieux, réel et important», explique Me Marc-André Nadon, avocat pour la firme PFD avocats.
Pourquoi les dénonciatrices devront-elles dévoiler leur identité?
Selon Me Sophie Gagnon, avocate et directrice générale de Juripop, deux raisons expliquent que les victimes doivent s’identifier:
- Les administratrices de DSN ont plaidé le droit à la vie privée des dénonciatrices dont elles diffusent les allégations, mais la Cour n'a pu accepter cet argument-là. Pourquoi? Parce que les administratrices de la page ne peuvent pas invoquer ceci pour les autres, explique Me Gagnon. La décision aurait pu être différente si les dénonciatrices (plutôt que les administratrices de DSN) s'étaient présentées devant la Cour pour protéger leur anonymat, croit l'avocate.
- Selon les administratrices, DSN garantissait aux présumées victimes la confidentialité. Aucune preuve de cette promesse n'a toutefois pu être présentée devant la Cour supérieure.
Quelles répercussions?
Les deux avocats interviewés croient que ce jugement est important, advenant de nouvelles vagues de dénonciations.
Pour Me Nadon, ce jugement est rassurant, puisque personne ne devrait «diffuser» ou «permettre que soient diffusées des informations diffamatoires dans l’anonymat complet».
«Il ne suffit pas d’alléguer certaines choses. Encore faut-il les démontrer», souligne-t-il.
Est-ce que ce jugement signifie qu'une présumée victime ne pourra jamais demeurer anonyme? Pas nécessairement, précise Me Gagnon. «Ça ne veut pas dire pour autant que chacune des demandes de divulgation de l’anonymat va être accueillie», explique-t-elle.
En d'autres mots, une personne visée par des allégations anonymes qui souhaite que l'identité de son dénonciateur ou de sa dénonciatrice soit révélée n'obtiendrait pas nécessairement gain de cause.
Les risques
Pour Me Gagnon, un tel jugement montre les risques qui peuvent être associés à la dénonciation de présumés agresseurs sur les réseaux sociaux.
«Des jugements comme ça, ça fait un peu une onde de choc. Il y a une prise de conscience sur les risques associés à une dénonciation sur les réseaux sociaux», soutient-elle.
Par ailleurs, les présumées victimes de Jean-François Marquis, qui, lui, assure n'avoir rien à se reprocher, et les administratrices de DSN disposent de 30 jours pour faire appel du jugement.
– Avec l'Agence QMI