Des chiffres alarmants: l’épuisement professionnel, la nouvelle épidémie? | 24 heures
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Des chiffres alarmants: l’épuisement professionnel, la nouvelle épidémie?

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Photomontage Julie Verville

L’adaptation constante depuis la pandémie et l’arrivée du télétravail ont poussé plusieurs jeunes travailleurs au bout du rouleau. Mais qu’est-ce qui explique cette «épidémie de burn out» depuis deux ans? On a posé la question à une psychologue spécialisée en la question et à des jeunes qui l’ont vécu. 

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Pas moins de 41% des jeunes canadiens de 18 à 34 ans disent souffrir d’épuisement professionnel, selon une vaste étude de l’organisation Recherche en santé mentale menée à la fin 2021.  

Et la situation est loin d’être plus reluisante à travers le monde: 81% des travailleurs sondés dans le cadre de l’étude Pulse of Talent 2022 de la firme Ceridian disent avoir vécu un épuisement professionnel dans la dernière année et 35% des 7000 répondants au sondage mené dans 7 pays de l’OCDE disent avoir ressenti des «symptômes extrêmes».  

Quels sont les signes? 

Ces chiffres témoignent de l’«augmentation considérable des symptômes d’épuisement» dans la population générale qu’observe la Dre Estelle Morin, psychologue et chercheuse et professeure titulaire au Département de management de HEC Montréal.  

«Quand on parle d’épuisement, on parle d’usure. L’épuisement est une conséquence de l’usure de nos capacités d’adaptation. Or, ça fait deux ans qu’on s’adapte constamment. Le contexte amplifie la nécessité de continuer à s’adapter et ça accélère la dégradation», explique la Dre Estelle Morin au 24 heures

Comment repérer les signes avant-coureurs? L’épuisement se manifeste d’abord dans l’attitude, poursuit la psychologue.  

Dre Estelle Morin, psychologue

Photo courtoisie 

Dre Estelle Morin, psychologue

«Le symptôme le plus évident est l’irritabilité. Quand on est fatigué de travailler, on a moins de patience, moins de tolérance.» S’ajoute à cela les problèmes de sommeil, comme la difficulté à s’endormir ou le réveil fréquent pendant la nuit. 

«Si ça arrive une fois dans la semaine, pas grave, mais faut voir ça sur une période de 15 jours», précise Dre Estelle Morin.  

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Finalement, la spécialiste note l’isolement et la perte de contact avec les autres. 

«La personne qui est au bout du rouleau a tendance à vouloir s’isoler et ne plus voir personne parce que le contact avec les autres est une exigence de plus.»  

«Je ne faisais que travailler» – Rachel*, 31 ans, professionnelle de recherche 

Pour Rachel, une fonctionnaire de 31 ans, c’est l’accumulation de charge mentale – tant dans sa vie personnelle que professionnelle – qui a mené à son épuisement.  

«Malheureusement, on vit dans un monde où on ne peut pas prendre un break de sa famille, on peut juste prendre une pause de son travail», confie-t-elle au 24 heures

Rachel déplore la culture du travail qui se base sur un «mode de récompense», selon elle. «Plus tu travailles fort, plus tu en fais, plus tu vas grandir dans ton travail. Mais dans la fonction publique, ça ne fonctionne pas comme ça.» 

La professionnelle raconte que le seul moyen de faire reconnaitre son travail est de s’en faire confier encore plus. Le hic: la charge de travail additionnelle ne fait que s’accumuler dans ses 35 heures de travail par semaine. Ce cercle vicieux a mené au départ en épuisement de plusieurs de ses collègues avant qu’elle n’y goûte elle-même en septembre 2020. 

«Je finissais mes journées de travail et je n’étais plus capable de rien faire. Je m’assoyais sur mon divan, j’écoutais la télé, j’allais me coucher et je travaillais le lendemain. Je faisais juste travailler parce que tout autre activité était trop énergivore», se rappelle Rachel. 

C’est en discutant de la situation avec son psychologue que le diagnostic tombe et que Rachel fige. «C’est à ce moment-là que je me suis avouée que j’étais malade.» 

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Au retour de sa pause professionnelle de deux mois, Rachel change de département au travail. «L’avantage quand tu commences une nouvelle job, c’est qu’on te laisse arriver et tu peux davantage mettre tes limites», indique-t-elle. 

Aujourd’hui, la femme de 31 ans essaie de se distancier de son travail et essaie de prévoir d’autres activités dans sa vie.  

«Y’a plus personne qui va mettre ma santé à risque. C’est le contrat que je prends avec les gens avec qui je travaille.» 

«Si je ne tombais pas en arrêt, je démissionnais» – Jean-Philippe*, 28 ans, animateur 2D 

En arrivant au sein d’une nouvelle entreprise, Jean-Philippe, un animateur 2D de 28 ans, monte rapidement les échelons. Un peu trop vite, même. 

«On m’a confié un poste de direction d’équipe qui était beaucoup plus demandant et je n’arrivais pas à communiquer à mes boss que c’était trop» 

La charge de travail s’accumule tout comme ses symptômes: difficile de se lever le matin, longues pauses en journée et peine à travailler. 

«Le point tournant a été de me dire: si je ne tombe pas en arrêt de travail, je vais démissionner. À ce moment-là, je ne m’imaginais pas faire une autre journée», confie Jean-Philippe. 

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C’est finalement au bout d’une pause d’un mois que l’animateur 2D revient progressivement au travail et demande à occuper un poste moins demandant que celui de chef d’équipe. 

«Ce n’est pas exceptionnel de faire un épuisement professionnel en animation 2D. C’est un domaine où il n’y a pas beaucoup de ressources pour la santé mentale et qui souffre de désorganisation. Tout est toujours broche-à-foin», admet l’homme de 28 ans. 

S’il va mieux aujourd’hui, Jean-Philippe déplore le peu de prévention et le manque de suivis de la part de ses patrons avant d’en arriver à un point de non-retour.  

«J’ai été capable d’avoir un dialogue avec mes supérieurs, mais ils ne se sont pas rendus compte que le rythme de travail m’affectait.» 

«J’avais peur de décevoir mes boss» – Marie-Julie*, journaliste, 30 ans 

Au début du printemps 2021, Marie-Julie, une journaliste de 30 ans, ne dort plus. Son insomnie sévère, dû à des horaires changeants, la pousse tranquillement au bout du rouleau. 

«J’étais déprimée, je pleurais tout le temps. La nuit, je me réveillais pendant de longues heures parce que je pensais à tout ce dont je n’avais pas été capable de réfléchir pendant la journée.» 

Le caractère particulièrement grisant du journalisme peut jouer de mauvais tours à ses artisans et contribuer à leur imposer une pression supplémentaire pour constamment se surpasser, selon Marie-Julie. 

«Quand tu travailles fort sur un texte, que c’est publié en Une et que ça marche fort, tu es sur un nuage. Mais c’est normal aussi qu’il y ait des semaines plus tranquilles, donne en exemple la journaliste. Je m’en mettais sur les épaules et il fallait que je prenne un pas de recul et me rappeler qu’on ne sauve pas des vies. Ce n’est pas grave si le texte ne sort pas aujourd’hui.» 

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Même si sa supérieure lui a fait comprendre que son arrêt de travail n’avait rien à voir avec sa performance au travail, Marie-Julie craignait de la décevoir. 

«Après mon premier mois en arrêt, j’ai finalement pu décrocher et j’ai vu une psy. J’ai assumé que c’était correct d’arrêter», explique la jeune femme. 

Et selon elle, la culture du travail dans les médias tend à changer pour le mieux.  

«La nouvelle génération de journalistes qui travaillent sur le web semblent avoir une vision un peu rafraîchie de l’information, mais aussi des relations de travail. Et ça, ça fait une différence sur la pression que je me mets sur les épaules au quotidien.» 

*Tous les travailleurs cités dans l’article ont souhaité changer leur prénom par crainte de représailles de leur employeur. 

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