Clause F: une hausse de loyer de 327$ pour une mère monoparentale à Beauharnois

Une locataire de la ville de Beauharnois, en Montérégie, a reçu un avis d’augmentation de loyer de 327$ par mois, alors que celui de sa voisine ne serait que de 68$.
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Karine Massie, mère monoparentale de trois enfants, est restée sans mots devant le courriel reçu de la part du propriétaire de l'immeuble où elle habite le 2 janvier dernier.
Sans explication, le Groupe Immoplex inc., une entreprise basée à Vaudreuil-Dorion, lui a annoncé que le loyer de son petit cinq et demie dans un demi-sous-sol passerait de 1170$ à 1497$ (une augmentation de 28%) le 1er juillet prochain.
En raison de la clause F de son bail qui a été cochée, l’assistante dentaire est contrainte d'accepter l’augmentation et de rester ou encore de refuser et de partir.
Cette section du bail permet en effet à un propriétaire qui possède un immeuble construit il y a moins de cinq ans d’augmenter le loyer comme bon lui semble. Dans le cas de Karine Massie, elle est la première locataire de son logement.
Si on calcule, pour un an, la locataire devrait assumer près de 4000$ d’augmentation. «C’est complètement démesuré», s’est indignée Karine Massie. Dans un immeuble neuf, elle s’explique mal comment cette augmentation peut être justifiable, alors qu’aucune nouvelle rénovation n’a été faite.
Le plus choquant dans cette histoire? Sa voisine aurait reçu un avis de hausse de loyer de 68$ seulement. Pourtant, Karine Massie habite dans un logement de la même grandeur et est arrivée seulement un mois après elle dans l’immeuble de 24 logements.
Elle a aussi remarqué que, dans le même immeuble, des appartements de la même superficie étaient loués à un prix inférieur au sien.
Avec la recommandation de son comité logement, elle a quand même décidé de signifier son refus auprès du propriétaire, sachant toutefois que cela ne risque pas d'avoir un grand impact au bout du compte.
«C’est de l’acharnement sur moi»
Karine Massie en est venue à la conclusion que son propriétaire utilise la cause F à son avantage pour la mettre dehors. La mère de famille, qui dort avec sa fille par manque de place, dit ne pas s’être gênée pour faire valoir ses droits à plusieurs reprises, ce qui aurait peut-être déplu au propriétaire.
Entre autres, la gestionnaire de l’immeuble lui a demandé à quelques reprises d’arrêter de fumer la cigarette sur son balcon. Or, selon la locataire, cette interdiction ne devrait concerner que l’intérieur de l’appartement.
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«Ça a commencé le jour un, où je suis déménagée. C’est de l’acharnement sur moi... c’est comme si c’est moi qui allais maintenant payer pour les augmentations de tout le monde», déplore celle qui dit avoir toujours payé son loyer à temps.
La locataire n’a surtout pas envie de déménager pour une deuxième fois en moins d’un an. «C’est échangé quatre trente sous pour une piasse», image-t-elle.
La famille s’est même éloignée de sa ville d’origine, Châteauguay, pour aller vers la campagne en croyant que les loyers allaient être plus bas.
La gestionnaire de l'immeuble, Lysianne Bibeau, a indiqué avoir «transmis [notre] message à ses supérieurs», sans donner suite à notre demande d'entrevue.
Des augmentations qui diffèrent d’un locataire à l’autre
Marc Charbonneau, un père de famille de deux enfants qui habite le même immeuble, croit lui aussi que la cigarette pourrait expliquer la forte augmentation de loyer que les propriétaires souhaitent imposer à Karine Massie.
«Ils font cela aux personnes qui font du trouble dans le bloc pour qu’ils partent», avance le père de famille, qui préfère aller fumer ses cigarettes dans la rue devant chez lui.
Pour sa part, il affirme avoir reçu une augmentation de seulement 55$ (4%) pour son 5 et demie, ce qui fera passer son loyer de 1305$ à 1360$. Trois voisins ont reçu une augmentation semblable à la sienne, soutient-il.
Ce ne sont toutefois pas tous les occupants de l’immeuble qui ont la même chance. Laurie-Anne Duchesne a reçu un avis d’augmentation de loyer de 135$ (10%), qui passerait de 1290$ à 1425$.
Non-fumeuse, la mère de famille monoparentale de deux enfants en bas âge reçoit parfois des amis qui vont fumer sur le balcon, mais elle s’explique mal que cela puisse avoir une aussi grosse influence sur l’augmentation du loyer.
«Je trouve ça intense. En plus [les proprios] n’arrêtent pas de nous couper le courant pour la construction du nouveau bloc en arrière», déplore la tatoueuse qui, malgré l’augmentation, a décidé de rester dans son appartement. «Le loyer est plus cher qu’une hypothèque. Ça n’a juste pas d’allure.»
Un autre locataire du même immeuble, Luc Gagné, n’a même pas attendu de recevoir l’avis d’augmentation de loyer pour céder son bail. Depuis des mois, il doit vivre avec un trou au plafond qui a été provoqué par un dégât d’eau dans le logement voisin et qui n’a jamais été réparé.
«Ils [les propriétaires] ne sont aucunement à leur affaire. J’ai demandé un dédommagement de loyer et je n’ai jamais rien reçu», regrette-t-il.
Des dizaines d'appels à Beauharnois
L’agente de liaison communautaire pour le comité logement de Beauharnois, Sylvie Béland, indique que l’organisme a reçu une dizaine d’appels depuis le mois de janvier concernant la clause F, seulement pour cette ville de 14 000 habitants.
Pour ces familles qui sont touchées par cette section du bail, il sera bien difficile de trouver un plan de rechange, puisque le taux d’inoccupation avoisine le 0,2%, indique Mme Béland, en se fiant au dernier rapport de la SCHL.
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«Des locataires reçoivent de bonnes augmentations de loyer de leur propriétaire avant même que le compte de taxes municipales ne soit sorti», ajoute-t-elle. Le nombre d’appels à l'aide a même augmenté de 35% l’année passée, et l’agente de liaison communautaire se doute que ce nombre grimpera avec la crise du logement qui se poursuit.
Ce sont d’ailleurs 130 personnes qui sont en attente pour un logement social à Beauharnois, précise Mme Béland.
Acquérir des terrains pour y construire du logement social
Le maire de Beauharnois, Alain Dubuc, a commenté prudemment le cas de Karine Massie, ne connaissant pas tous les détails. «À première vue, ça me paraît abusif une augmentation de 327$», juge-t-il.
M. Dubuc connaît le problème du manque de logements abordables dans sa municipalité. Les nouvelles constructions sont souvent au prix du marché et elles se remplissent rapidement, alors que plusieurs habitants des grandes villes, comme Montréal, viennent vivre à Beauharnois pour trouver un logement moins cher, explique-t-il.
Pour remédier à la situation, le nouveau maire suggère d’acquérir des terrains pour les vendre aux organismes qui construisent du logement social, comme des coopératives d’habitation, ou d'encourager le gouvernement à y installer des habitations à loyer modique (HLM).
«Il faut cependant travailler sur d’autres choses que juste des HLM, parce qu’on va attendre longtemps après le gouvernent», pense-t-il.