Flambée du prix du blé et guerre en Ukraine: des conséquences catastrophiques à venir | 24 heures
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Flambée du prix du blé et guerre en Ukraine: des conséquences catastrophiques à venir

L’est du globe se livre à une course contre la montre. Si les céréales ne sont pas semées en mai en Russie et en Ukraine, une pénurie mondiale aux répercussions désastreuses est à prévoir dans la prochaine année dans toute l’Europe et dans les pays plus démunis du Moyen-Orient et de l’Afrique. 

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Pour la première fois en 30 ans de carrière, l’analyste principal des marchés à l'organisme Producteurs de grains du Québec, Ramzy Yelda, anticipe carrément une pénurie de grains. 

«Dans les dernières années, quand on parlait de pénurie, c’était une manière de parler relative. Là, on parle de pénurie de manière absolue», admet le spécialiste en entrevue au 24 heures

À elles deux, la Russie et l’Ukraine représentent un tiers du commerce mondial du blé et un quart de celui du maïs. C’est pourquoi l’incertitude de la guerre en Ukraine plane sur les marchés mondiaux et principalement sur le cours du blé, en hausse presque constante depuis le 23 février dernier, date de l’invasion russe de l’Ukraine.  

Pénurie mondiale à venir

Les exportations de la Russie et de l’Ukraine freinées par la guerre, le prix du blé grimpe en flèche et prive le marché mondial de l’un des plus grands exportateurs de maïs et de blé de la planète. 

Ainsi, si le maïs n’est pas semé en mai, comme c’est le cas chaque année, c’est le début de l’année 2023 qui souffrira du manque de récoltes. 

«Si ce n’est pas semé dans quelques semaines, ça veut dire que lors de la prochaine année-récolte, environ 30 millions de tonnes d’exportation de maïs et 30 millions de tonnes d’exportation de blé disparaitront du marché», prévient Ramzy Yelda. 

Une étagère de pains vide dans une épicerie de Tunis, en Tunisie.

AFP 

Une étagère de pains vide dans une épicerie de Tunis, en Tunisie.

Plusieurs pays bientôt à sec  

Devant la hausse vertigineuse du prix du blé, des grands importateurs au Moyen-Orient et en Afrique, dont l’Égypte, l’Algérie, la Tunisie, le Nigeria, le Maroc et le Soudan, pourraient bientôt être à sec. 

Certains de ces pays souffrent déjà d’importantes sécheresses et, pour plusieurs, le pain et le couscous – de la semoule de blé – font partie intégrante de leur alimentation, sans compter les besoins alimentaires de leur bétail. 

Selon Ramzy Yelda, la solution à court terme pour ces pays plus à risque de graves pénuries devra passer par de «l’aide financière sous forme de prêts ou de donations de pays de l’OCDE». 

«Les pays plus riches pourront continuer à importer du blé, peu importe son prix, au détriment des pays plus pauvres. Par exemple, le Japon importe 5,5 millions de tonnes de blé par année. Peu importe le prix, le Japon va toujours importer du blé», donne en exemple Ramzy Yelda. 

La guerre a mis de l'huile sur le feu

Avant même l’invasion russe, le prix du blé était déjà en forte hausse pour trois grandes raisons : la récolte désastreuse du blé dans l’Ouest canadien (le Canada étant un grand exportateur de blé), une mauvaise récolte de grains au Brésil (autre grand exportateur) et la production de blé revue à la baisse aux États-Unis. Chez nos voisins du sud, le maïs et le soja sont considérés plus payants pour les cultivateurs. 

La mauvaise nouvelle, c’est que peu de substituts peuvent remplacer les grains dans l’alimentation humaine et animale. Résultat? «On doit s’attendre à ce que le prix de la viande augmente en flèche», prévient Ramzy Yelda. 

L'employée d'une boulangerie à Tunis, en Tunisie.

AFP 

L'employée d'une boulangerie à Tunis, en Tunisie.

  

Vers une crise alimentaire?

La communauté scientifique d’ici et d’ailleurs ne cache pas son inquiétude pour l’année à venir. 2022 devrait être «une année difficile pour tout le monde sur la planète», croit Sylvain Charlebois, directeur du Laboratoire de recherche en sciences analytiques agroalimentaires de l’Université Dalhousie. 

«Avec la crise entourant le blé, ce ne sera pas drôle au Moyen-Orient, même en Europe ils vont vivre une année extrêmement difficile. Je suis inquiet, vraiment», confie-t-il au 24 heures

L’un des plus grands producteurs mondiaux d’engrais, l’entreprise norvégienne Yara International, va même jusqu’à prédire «une crise alimentaire à l’échelle planétaire» en raison des difficultés d’approvisionnement rencontrées depuis le début de la guerre en Ukraine. 

«La moitié de la planète tire sa nourriture des engrais artificiels (...) S’il n’y en a pas, certaines cultures seront réduites de moitié, s’inquiète le patron de Yara, Svein Tore Holsether, dans une entrevue accordée à la BBC. La question n’est pas de savoir s’il y aura une crise alimentaire, mais quelle sera son ampleur». 

Le Canada à l’abri de la pénurie

Étant le sixième exportateur de blé en importance au monde, le Canada est en bonne posture pour échapper à la pénurie de grains. Mais il ne faut pas se réjouir trop vite: les prix vont continuer d’augmenter en raison de l’inflation importante et de la hausse du prix de l’essence. 

«Pour le consommateur, c’est important de comprendre que dans un produit qui contient du blé, il paye surtout pour le transport, la main-d’œuvre, la marge de profit et le marketing. Ce qui va faire une différence sur le prix du produit n’est pas le grain en soi, mais la pression inflationniste et le prix du carburant», indique Ramzy Yelda des Producteurs de grains du Québec.

Et pour Sylvain Charlebois de l'Université Dalhousie, les Canadiens doivent se trouver chanceux d’avoir quelque chose à acheter dans le contexte actuel. 

«En Amérique du Nord, on produit beaucoup de denrées, donc on devrait être correct si dame nature coopère, mais, en gros, il y a de quoi s’inquiéter.» 

-Avec Andrea Lubeck 

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