Ils se confient : la pandémie a mis à mal des musiciens québécois

Même si les salles de spectacle ont rouvert à pleine capacité depuis peu, ces deux ans de pandémie ont fait mal aux musiciens d’ici. Découragement, pauvreté, anxiété. La santé mentale et les finances des musiciens sont au plus bas. Onze d’entre eux se confient sur les épreuves auxquelles ils ont dû faire face pour continuer à gagner leur vie avec dignité, et ne pas perdre la flamme pour leur métier.
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La valse de fermetures des salles de spectacles, suivies de réouvertures éphémères et pas toujours à pleine capacité, a profondément troublé le moral et le compte en banque des auteurs-compositeurs-interprètes.
Selon un sondage commandé par la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec, 40% de leurs membres se sont senti «triste, mélancolique ou déprimé» pour une période de plus de deux semaines consécutives. Pire encore, 29% d’entre eux ont admis avoir songé à s’enlever la vie pendant la pandémie. C’est presque le tiers de ceux, au nombre de 59 sur 575 répondants, qui ont accepté de répondre à cette question.
En fait, les mesures sanitaires changeantes, difficiles à suivre, ont exacerbé toute une poignée de problèmes avec lesquels les créateurs de musique du Québec devaient déjà composer.
«Dans le milieu, c’était déjà super difficile de percer», confie Sarah Bourdon, une femme à tout faire dans son domaine, une autrice-compositrice-interprète qui travaille aussi comme choriste et recherchiste à l’émission Y’a du monde à messe. Elle a, également, déjà enseigné auprès de la relève à l’École nationale de la chanson de Granby.
«Quand tu débutes, tout est à faire. Pour que ta carrière commence à être rentable et viable, c’est 5 ans au moins. C’est une PME. Alors, de voir les jeunes qui arrivent en plus du contexte de pandémie, où il n’y a plus de show, plus rien...»
Au moment où la pandémie commençait, le rappeur Adamo, aussi connu pour être le gagnant – avec Alexandra S. - d’OD Bali, préparait une tournée pour son premier album solo, sorti au printemps 2020. «Ça m’a crissé à terre. [...] Mon moral était aussi effondré que ma carrière et mes plans», se souvient-il.
Son équipe a dû tout annuler à la dernière minute. Ce changement de cap hors de son contrôle lui a coûté gros. Adamo estime avoir perdu entre 65 000$ et 80 000$ en devant mettre fin à sa tournée.
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La vedette de téléréalité se considère chanceux d’avoir un statut de personnalité publique. Ça lui a permis de faire quelques contrats de publicité. «Fallait que je gagne ma vie, et ce n’est pas vrai que j’allais rester sur la PCU tout le long», lance celui qui avoue avoir remis sa carrière en question plusieurs fois dans les deux dernières années.
Pas que des pertes monétaires
Laurence Giroux-Do, chanteuse au sein du groupe rosemontois Le Couleur, une formation nouveau disco qui fait danser le public de Montréal à New York en passant par Paris depuis 2009, a souffert pour sa part d’une grosse panne d’inspiration. «Il y a beaucoup d’artistes pendant la pandémie qui ont écrit, qui ont créé, mais moi, ça m’a complètement éteinte», résume-t-elle.
Privée d’applaudissements, et donc d’une partie de sa paie, la vocaliste et parolière a vécu une période difficile.
«Je pense que le discours politically correct, c’est de dire qu’on ne fait pas ça pour le succès. Oui, on fait ça pour nous à la base, mais si je ne voulais pas le partager je resterais chez nous... Ça fait un peu bébé gâté de dire "je veux que vous m’aimiez", mais c’est un peu ça, quand même. On la veut, cette reconnaissance, cette validation-là.»
Même son de cloche chez Eli Rose, une autrice-compositrice-interprète qui donne dans l’électro pop et qui a été sacrée Révélation au Gala de l’ADISQ en 2020. Elle aurait dû trépigner de joie en recevant son Félix. Pourtant, c’est l’inverse qui s’est produit.
«Mon trophée, ça a été le moment le plus down de ma vie. [...] Ça faisait 15 ans que je me battais pour mon projet solo après Eli et Papillon, après des années à travailler dans l’ombre en gérance, comme directrice artistique, à écrire pour d’autres... Là, j’avais enfin mon album, mon projet et c’est sûr que la pandémie m’a empêché de surfer sur ma vague.»
Se sentir oublié
Florence K fait partie, de son propre aveu, de celles et ceux qui l’ont eu facile. Maman de deux enfants, la musicienne et autrice a justement accouché de sa fille la plus jeune pendant le confinement. Cette pause forcée lui a aussi permis de se concentrer plus intensivement sur sa famille, mais aussi ses études en psychologie, un baccalauréat amorcé parallèlement à sa carrière musicale bien avant la venue de la COVID-19.
Les répercussions négatives de la pandémie, Florence K les a surtout remarquées auprès de ses proches qui exercent le métier eux aussi. Sa mère, la célèbre soprano Nathalie Choquette, en fait partie. Sa sœur Éléonore Lagacé, artiste multidisciplinaire qu’on a notamment vue à La Voix, aussi.
«On a beaucoup privilégié les subventions aux salles et aux organisations, mais directement aux musiciens? OK, il y a eu la PCU. On a compensé pour la billetterie et les salles, pour leurs frais, mais pourquoi pas pour les musiciens?»
«Une autre chose, c’est que moi, en tant qu’artiste, comme figure de proue, ça a été beaucoup plus facile d’obtenir des contrats virtuels pendant la pandémie. Mais mon mari qui est batteur, qui n’a pas du tout le désir d’être une star... Il ne va pas aller à l’émission de Marie-Claude Barrette ou faire Bonsoir Bonsoir! On a complètement oublié les musiciens accompagnateurs professionnels. Ma mère, je l’ai vue rusher. Ma sœur aussi, avant qu’elle aille à Big Brother. J’ai même un ami saxophoniste qui est retourné aux études pour devenir infirmier!»
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Christophe Dubé, mieux connu sous le sobriquet de CRi, déplore également la gestion des instances gouvernementales. Il s’est, comme tant d’autres, senti oublié par les politiciens au pouvoir.
«Quand on fait de la musique électronique, la musique qui incite à sauter et à danser, on se sent vraiment comme les derniers des derniers. Je veux dire... Un spectacle à l’OSM, tu peux regarder ça assis, un spectacle d’opéra ou de Pierre Lapointe aussi. Mais moi, avec ma musique, un spectacle assis, ça fait juste aucun sens!»
S’étourdir dans le travail
Emma Becko est rappeuse et elle a sorti son premier disque solo au tout début de la pandémie, après s’être fait connaître au sein du duo hip hop Heartstreets. Pour oublier le stress et la morosité ambiante, elle s’est concentrée sur son projet musical. Jusqu’à frôler un épuisement professionnel.
«En décembre 2020, neuf mois après le début, la première et la deuxième vague, là j’ai presque eu un burn out. C’est vraiment fou de vivre ça dans une année où on est supposés vivre chez nous. Je suis indépendante, je suis toute seule dans mon équipe et je dois faire beaucoup pour avancer mon projet. Plus je me concentrais sur les visuels et les clips que je fais de A à Z, moins je pensais à ce qui se passait sur la Terre.»
«Je travaillais beaucoup et en plus, je me mettais énormément de pression parce que mon projet commençait à aller vraiment bien. Je voyais le nombre de streams passer à 500 000, puis à un million. Mais je m’en mettais énormément sur mes épaules et en décembre 2020, j’ai eu la plus grosse crise d’anxiété que j’ai jamais eu de ma vie.»
En essayant de consolider leurs acquis, de trouver des façons de monétiser leur musique autrement, de se «réinventer» comme on a beaucoup entendu dans l’espace public, les auteurs-compositeurs-interprètes se sont oubliés. Ils sont nombreux à avoir dû, pour payer les factures et subvenir à leurs besoins primaires, faire passer leur santé mentale au second plan.
Selon la Guilde des musiciens et musiciennes, justement, plus de 43% des répondants à leur sondage de mars 2021 présentent des symptômes de dépression majeure. C’est énorme.
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