Hausses de loyer de 200 et 300$ par mois: des locataires d’une petite municipalité impuissants

De gauche à droite: Camille Guénette, Émilie Provençal et Jolyane Guénette
Karim Baraké et Isabelle Therrien, sa conjointe et partenaire d’affaires, sont bien connus à Saint-Calixte, mais pas pour les bonnes raisons. Les propriétaires, qui possèdent la moitié des immeubles locatifs de cette municipalité de 7000 habitants dans Lanaudière, imposent à des locataires des augmentations de loyer qui peuvent atteindre cette année jusqu’à 300$ par mois.
La dizaine de locataires avec qui le 24 heures s’est entretenu ont dit se sentir impuissants face aux propriétaires. Depuis au moins trois ans, le couple impose des hausses de loyers draconiennes, affirment-ils.
Parmi ces locataires, Camille Guénette et sa sœur Jolyane, deux mères monoparentales de 24 et 29 ans.
À partir de juillet, la maison de ville dans laquelle elles ont emménagé il y a trois ans avec leurs deux jeunes enfants, à Saint-Calixte, leur coûtera 2150$ par mois. C’est 900$ de plus que les 1250$ que leur demandait le couple en 2019, lorsqu’elles ont signé leur bail. Il s’agit d’une hausse de 72% en à peine trois ans.
«Ça impacte ma santé directement et le stress m’affecte vraiment beaucoup. L’année passée, j’ai coulé ma session que j’allais finir. Ce n’est pas que pour ça, mais ça fait partie des raisons», regrette Jolyane Guénette.
Pour pouvoir continuer de payer leur loyer, les deux sœurs sont retournées travailler avec leur père, mettant sur pause leurs études pour devenir éducatrices spécialisées.
Des hausses justifiées, selon le propriétaire
Mais pour Karim Baraké, ces hausses sont justifiées, en raison notamment de l’inflation, mais aussi de la hausse des coûts de construction, des assurances et des taxes municipales. Le propriétaire prétend que les taxes ont augmenté de 15% à Saint-Calixte cette année.
Le 24 heures a pu consulter les relevés de taxes foncières annuelles de deux propriétés détenues par Karim Baraké et Isabelle Therrien et dans lesquels habitent deux locataires rencontrés dans le cadre de l’article. Dans les deux cas, la hausse du compte de taxes était sous le 15% avancé par le propriétaire.
Pour l’immeuble dans lequel habitent les sœurs Guénette, les taxes ont augmenté de 1,6% en 2022 (une différence d’un peu plus de 40$). Pour celui dans lequel se trouve le logement de Jean-Michel Gagnon, un autre locataire à qui nous avons parlé, la hausse de taxes est plus importante, soit 9,3% (une différence d’environ 970$).
«Si je te loue une maison de ville au prix d’il y a deux ou trois ans, ça veut dire que je te loue une maison de ville au prix d’avant la pandémie. Je te subventionne», se défend le propriétaire.
Et si ses locataires ne sont pas contents des hausses de loyer, ils n’ont qu’à partir, insiste-t-il.
Partir, les deux sœurs Guénette y ont pensé. Mais ce serait pour aller où? À Saint-Calixte, Isabelle Therrien, Karim Baraké et Promotion Immobilia Inc., l’entreprise du couple, détiennent 102 logements, ce qui serait environ la moitié de tous les logements dans la municipalité. De quoi décourager les deux sœurs. Il y aurait en effet au maximum 200 logements à Saint-Calixte, selon les estimations de la directrice générale du service d’urbanisme, Annie De Lisio.
Les propriétaires possèdent également plusieurs immeubles et des terrains dans une dizaine d’autres municipalités des Laurentides et de Lanaudière, comme Labelle, Chertsey, Saint-Jérôme et Mont-Tremblant.
Des hausses légales
Si les hausses de loyer imposées par le couple peuvent sembler exagérées, elles sont pourtant légales. Lorsque la clause F du bail est cochée, un propriétaire peut augmenter les loyers comme bon lui semble pour les cinq années suivant la construction d’un immeuble à logements.
Grâce à cette clause F, que le gouvernement du Québec a promis de revoir, Karim Baraké et Isabelle Therrien peuvent donc, encore cette année, imposer des hausses de loyer de 200$ et 300$ par mois pour les 5 1⁄2 et les maisons de ville qu'ils possèdent à Saint-Calixte.
Karim Baraké ne s’en cache pas: la clause F existe et il l’utilise. «La clause F est un mécanisme de protection pour le constructeur, parce qu’on ne sait pas. Quand on termine un immeuble, on ne connaît pas le vrai prix réel d’opération», soutient-il.
Pour Me Daniel Crespo Villarreal, avocat spécialisé en droit du logement, le couple semble toutefois recourir à la clause F pour «booster les revenus», plutôt que «pallier à des lacunes ou à des imprévus».
Karime Baraké n’a d’ailleurs pas peur de le dire: lui et sa femme sont là pour faire de l’argent. «Ça reste une entreprise à but lucratif, dit-il. On est là pour faire des profits.»
Puisque les hausses sont légales, les locataires ont peu – voire pas – de recours, précise Me Alexandre Romano, qui est lui aussi avocat spécialisé en droit du logement. «Ce n’est pas possible, en fait, de contester, souligne-t-il. Parce que la loi est très claire.»
En 2021, plusieurs locataires du couple, qui avaient envoyé aux propriétaires une lettre de refus d’augmentation de loyer, souhaitaient faire entendre leur cause devant le Tribunal administratif du logement (TAL). Les locataires ont toutefois préféré laisser tomber, craignant de devoir quitter leur logement à la suite des procédures, affirme Camille Guénette.
Un groupe Facebook nommé Recours solidaire logements Saint-Calixte et autres villes a même été créé. Il compte aujourd’hui 250 membres.
Lorsque quitter n’est pas une option
Les immeubles construits par Karim Baraké et Isabelle Therrien détonnent dans le paysage de Saint-Calixte. Si leur construction récente a pu séduire certains locataires, la lune de miel a été de courte durée.
Parlez-en à Émilie Provençal, qui va encaisser une deuxième hausse de 300$ en deux ans. La mère de cinq enfants ne peut toutefois pas plier bagage. Un de ses enfants, Alvaro, est atteint d’un trouble du spectre de l’autisme et son éducatrice se trouve dans la municipalité voisine de Sainte-Julienne. La locataire ne veut donc pas quitter la région, de peur de nuire au développement de son fils.
«Je n’ai pas le choix de rester. Je me bats pour lui», affirme la préposée aux bénéficiaires qui est en arrêt de travail depuis septembre à cause d’une dépression.
Si elle est déterminée à rester, elle ne sait toujours pas comment elle réussira à joindre les deux bouts. «L’épicerie nous coûte les yeux de la tête, déplore-t-elle. En ce moment, tout augmente, mais le salaire augmente-t-il à la fin?»
Karim Baraké affirme pour sa part que ce n’est pas aux propriétaires à servir de «rempart à l’inflation». «Quelqu’un doit payer la facture à quelque part», tranche-t-il.
Se résigner à quitter son logement
D’autres locataires préfèrent jeter la serviette.
C’est le cas de Jean-Michel Gagnon, qui habite, avec sa femme et ses deux enfants, un 5 1⁄2 dans le même immeuble que ses parents. Alors que son loyer allait passer à 1550$ par mois – il était de 975$ en 2020 –, il a décidé que c'en était assez: toute la famille quittera pour Sherbrooke le 1er avril prochain.
Trois autres ménages qui habitaient son immeuble ont fait comme lui et ont quitté leur logement, constate Jean-Michel Gagnon. «Il ne reste même pas un locataire depuis que nous sommes arrivés», mentionne-t-il.
Lors de notre passage, plusieurs logements appartenant au couple Baraké-Therrien semblaient effectivement vides, même si les logements vacants ne courent pas les rues dans cette municipalité. En 2020, le taux d’inoccupation était effectivement de 0% à Saint-Calixte, selon le plus récent rapport sur le taux d’inoccupation pour les régions rurales de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL).
Des hausses «ridicules»
Le maire de la municipalité, Michel Jasmin, reconnaît que ces augmentations sont légales, mais il les qualifie de «complètement ridicules».
«Qu’est-ce qui justifie une augmentation de 350$ ou 250$ par mois? Je ne la comprends pas», déplore l’élu. Puisque les lois relatives aux augmentations de loyer relèvent de Québec, il affirme n’avoir «aucun pouvoir» face au couple.
Le maire et son conseil municipal avaient d’ailleurs demandé au gouvernement de François Legault d'intervenir en 2021.
En février dernier, la ministre de l’Habitation, Andrée Laforest, avait justement ouvert la porte à une diminution du nombre d’années de validité de la clause F, sans donner plus de détails. Contacté par le 24 heures, son cabinet s’est contenté de répondre que des «travaux se poursuivent en ce qui concerne la clause F» et qu’aucune décision n'a encore été prise à savoir quand elle serait modifiée.
«Nous sommes très sensibles à des situations comme celles-ci», nous a-t-on indiqué par courriel.
Me Alexandre Romano croit par ailleurs qu’au moment d’adopter la clause F, des situations comme celle de Saint-Calixte n’avaient pas été imaginées et donc prises en compte.
Le député caquiste de la circonscription de Rousseau et ancien maire de Saint-Calixte, Louis-Charles Thouin, n'a pas souhaité commenter l’affaire.
− Avec Marie-Christine Trottier, Agence QMI