Est-ce que c’est correct (des fois) de «discriminer» les hommes blancs?

L’offre d’emploi controversée de l’Université Laval, qui n’invitait que les personnes issues de groupes minoritaires à postuler pour un poste, a fait renaître le débat sur la «discrimination positive» au Québec. Mais comment l’institution en est-elle arrivée à publier une telle offre d’emploi? Est-ce que c’est correct, parfois, de discriminer les travailleurs blancs? On fait le point.
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Interdire l’accès à un poste au groupe majoritaire pour favoriser les groupes minoritaires: c’est ce que plusieurs appellent la «discrimination positive».
Or, ce terme est à proscrire, indique Marie-Thérèse Chicha, professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, car cela suppose que l’on tente de «guérir le mal par le mal».
«Les gens qui utilisent cette expression, c’est parce qu’ils ne voient pas ça d’un bon œil. Ça dénote une posture, une orientation politique contre [le principe]», renchérit pour sa part Jean-Philippe Beauregard, consultant principal chez EDDI-consultants, une firme permettant aux entreprises de rendre leurs milieux plus inclusifs et diversifiés.
Les deux experts estiment qu’il est préférable de parler de programmes d’équité à l’emploi, un principe inscrit à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec et dans la loi canadienne.
Mettre fin au privilège
Ces programmes ont pour mission de mettre fin au privilège détenu par le groupe majoritaire sur le marché de l’emploi. À l’heure actuelle, Marie-Thérèse Chicha décrit ce milieu de l’emploi comme une course à laquelle deux individus participent, un complètement libre et l’autre avec les chevilles enchaînées.
«Ces chaînes représentent l’historique d’inégalité et d’exclusion. On devine donc que celui avec les chaînes arrive en retard à la ligne d’arrivée. Pour les mettre sur un pied d’égalité, alors on enlève les chaînes du second afin qu’il coure librement. Mais il a tellement accumulé de retard qu’il se trouve tout de même désavantagé par rapport au premier», explique la chercheuse.
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«Donner de l’aide en offrant une préférence aux membres des groupes désavantagés ne correspond pas uniquement au fait d’enlever les chaînes, mais de mettre tous les deux coureurs au même point de départ pour que chacun coure librement», poursuit-elle.
Les mesures des programmes d’équité en emploi visent donc à redresser une situation causée par des décennies de pratiques d’exclusion et de dévalorisation des groupes minoritaires.
Comment en sommes-nous arrivés là?
De nombreuses études ont clairement démontré qu’à compétences équivalentes, les personnes issues de groupes minoritaires sont victimes de discrimination à l’embauche, notamment à Montréal et à Québec.
Les universités n’y échappent pas. C’est pourquoi le gouvernement fédéral a mis sur pied, en 2017, le Plan d’action en matière d’équité, de diversité et d’inclusion, qui vise expressément les chaires de recherche universitaires du Canada.
L’objectif: y améliorer la représentation des femmes, des Autochtones, des minorités visibles et des personnes en situation de handicap. On aimerait que la proportion de personnes issues de ces groupes minoritaires soit équivalente à leur proportion dans la population canadienne.
«Si on ne prend pas de mesures pour lutter contre la discrimination, notamment à l’étape initiale du processus de recrutement, elle est perpétuée par défaut. Alors on se retrouve à pousser des universités à mettre des critères qui sont limites discriminatoires», explique Jean-Philippe Beauregard.
Un échéancier serré
Si le moyen employé par les universités – qui se retrouvent avec les mains liées – peut paraître extrême, le sociologue de formation est d’accord avec sa finalité. Et de toute manière, les universités sont forcées de publier de telles offres si elles veulent atteindre les cibles de représentativité du fédéral dans les temps, souligne-t-il.
«Ce sont des changements drastiques à mettre en place rapidement, ce qui peut provoquer une frustration tout à fait compréhensible de la part des hommes blancs non handicapés exclus. Ces changements prennent du temps et il ne s’agit pas seulement de recruter des personnes issues de groupes minoritaires. Il faut aussi changer les pratiques à l’interne et ça, ça prend du temps», explique-t-il.
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Et même si les programmes d’équité en emploi donnent un coup de pouce aux personnes issues de groupes minoritaires dans le processus de recrutement, les hommes blancs demeurent encore largement avantagés, note Marie-Thérèse Chicha.
«Les chiffres ne montrent pas du tout que les hommes blancs sans handicap sont défavorisés depuis que les programmes existent. Ils restent extrêmement majoritaires dans les professions prestigieuses et lucratives», ajoute-t-elle.
Des bénéfices indéniables
L’idée n’est d’ailleurs pas d’atteindre des cibles en matière de diversité juste pour les atteindre: il y a beaucoup d’avantages – économiques même – pour les entreprises à être plus diversifiées.
«Ça apporte des bénéfices en termes économiques, ça apporte une plus grande diversité des perspectives, une plus grande capacité d’adaptation, un meilleur travail en équipe. C’est un cercle vertueux qui facilite le recrutement diversifié par la suite, et ça améliore l’image de l’entreprise», énumère Jean-Philippe Beauregard.
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Les entreprises peuvent d’ailleurs adopter plusieurs pratiques favorisant l’inclusion, comme élargir le recrutement en dehors de leurs réseaux habituels ou revoir les processus d’embauche. Elles peuvent aussi se fixer des objectifs quantifiables en matière de diversité, comme elles le font pour les ventes, par exemple.
Mais surtout, il faut que les bottines suivent les babines.
«Si on a un conseil d’administration est composé à 90% d’hommes blancs, ce n’est pas quelque chose qui va attirer les personnes provenant de groupes minoritaires. Elles veulent pouvoir se voir représentées pour comprendre qu’elles ont leur place dans l’entreprise. Et c’est vrai aussi pour les universités», insiste le sociologue.