Un chasseur autochtone dénonce le «colonialisme» de Québec
Né d’une mère innue et d'un père abénaki, un chasseur autochtone se voit contraint de choisir l'une de ses deux origines pour être autorisé à exercer son droit de chasse sur un territoire précis. Il y voit un nouvel exemple concret d’obstacle à la réconciliation.
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«C’est comme si le gouvernement nous disait: “Tu suis la culture de ta mère ou de ton père, mais tu ne peux pas être les deux”», raconte avec un soupir de découragement Gerry Paul.
Ce père de famille considère la chasse comme une activité de subsistance culturelle et spirituelle. «À travers les séances d’initiation à la chasse, je transmets à mes enfants nos coutumes, nos rituels et nos légendes», explique M. Paul. Or, depuis quelques années, il consacre plutôt ses temps libres à une bataille juridique contre le gouvernement provincial.
Accusé au criminel
À plusieurs reprises en 2015 et 2016, M. Paul a été interpellé par des agents de conservation de la faune alors qu’il chassait sur des territoires appartenant à la nation abénakise, dans le secteur d’Odanak, environ 30 kilomètres à l’est de Sorel-Tracy. On lui a remis des constats d’infraction salés, dont la somme totale s’élevait à plusieurs milliers de dollars.
Selon une entente spécifique conclue entre les conseils de bande du secteur et le gouvernement du Québec, seuls les Autochtones enregistrés sur la liste des membres abénakis ont le droit de chasser sur ce territoire. Si M. Paul souhaite que son nom figure sur la liste abénakise, il devra renoncer à son statut innu et à l'accès à ce territoire ancestral.
«Autant les lois de Québec que celles d’Ottawa font fi des mariages internations. Il est donc impossible d’être enregistré dans deux bandes. On veut nous standardiser et nous restreindre à des périmètres précis», dénonce Gerry Paul.
En prouvant son appartenance généalogique à la nation abénakise et en faisant valoir les droits ancestraux reconnus par la loi fédérale, M. Paul a convaincu le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) de retirer les accusations et d’annuler les constats d’infraction. Le chasseur déplore toutefois avoir été encore interpellé par des gardes-chasse en automne 2021.
Trois autres chasseurs, qui souhaitent garder l’anonymat puisque leur cause est devant les tribunaux, affirment avoir vécu des problématiques similaires.
Une ignorance des mœurs et coutumes
Ces situations illustrent bien l’ignorance gouvernementale des mœurs et coutumes autochtones, fait valoir l'historien Eric Pouliot-Thisdale. «Dans la vallée du Saint-Laurent, un nombre important d’Autochtones sont métissés. On ne peut pas les étiqueter de façon aussi simplette, en disant: “Si tu es enregistré dans telle bande, tu es issu de cette nation unique”», explique-t-il.
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Ce contrôle du territoire s’est affirmé en 1851, avec la création des réserves. «C’est du colonialisme qui perdure et qui rend la réconciliation difficile sur le terrain», ajoute M. Pouliot-Thisdale, lui-même enregistré comme Mohawk, mais aussi descendant des nations innue et abénakise.
L’historien estime que les gardes-chasse et les fonctionnaires devraient avoir une meilleure formation historique et légale. Il se montre pessimiste: «Les Premières Nations représentent à peine 2 à 3% de la population du Québec. Nous ne sommes clairement pas une priorité.»
Réponse du ministère des Forêts
Le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs a indiqué par courriel que la «surveillance exercée par les agents de protection de la faune [...] est une activité essentielle [...] au respect de la réglementation en vigueur et à l’atteinte des objectifs du gouvernement en matière de saine gestion de la faune».
Le ministère a assuré que «l’État tient compte, lorsque applicable, des droits ancestraux» et que «la réconciliation avec les Autochtones est un objectif fondamental».
– Le reportage vidéo en haut de page a été réalisé par Étienne Brière et Daphnée Hacker-B.