Prochaine station, gentrification - les loyers et évictions augmentent à Saint-Michel

Avec les évictions et les reprises de logement qui sont cinq fois plus nombreuses en deux ans, le prix des loyers qui a augmenté de 30% depuis 2010 et le prolongement de la ligne bleue à venir, peut-on penser que le quartier Saint-Michel sera le prochain quartier embourgeoisé de la métropole?
• À lire aussi: Surchauffe immobilière: voici le montant requis pour une mise de fonds dans chaque région du Québec en 2022
C’est carrément déjà commencé, selon Chloé Reiser, docteure en géographie et aménagement de l’Université de Montréal, qui a fait sa thèse sur les parcours de logement des familles immigrantes à Saint-Michel et à Parc-Extension en lien avec les transformations du marché locatif. «De plus en plus, la gentrification évolue vers des quartiers péricentraux de Montréal, qui ont des populations immigrantes et plus vulnérables», explique-t-elle.
Le quartier Saint-Michel est reconnu pour être dans les quartiers les plus abordables à proximité d’une station de métro. Mais la situation est en train de changer.
Selon les données de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), le loyer moyen dans le quartier Saint-Michel est passé de 543$ à 702$ depuis 2010, une augmentation de 29%. Ce sont les studios qui ont le plus augmenté dans le marché locatif du quartier en passant de 424$ à 613$, une augmentation de 45%.
Ces prix peuvent être surprenants pour quelqu’un en recherche de logement, puisqu’il est très difficile aujourd’hui de trouver un loyer à un prix aussi bas dans ce quartier. C’est normal : les chiffres de la SCHL incluent autant les appartements loués depuis plusieurs années (dont le coût augmente lentement) que ceux qui sont disponibles sur le marché.
• À lire aussi: Des associations de propriétaires veulent abolir les cessions de bail
Évictions et reprises de logement
L’organisme Bureau Info Logement de Saint-Michel a recensé cinq fois plus de dossiers d’évictions et reprises de logement en deux ans à peine, passant de 13 dossiers en 2019-2020 à 60 dossiers pour l’année 2021-2022. Une situation qui a de quoi inquiéter la chargée de projet de l’organisme, Céline Camus, qui gère tous les dossiers seule pour le moment.
Selon elle, le projet de prolongement de la ligne bleue amène des bienfaits pour la population locale, mais aussi certaines inquiétudes quant à la hausse des loyers, surtout dans le secteur de François-Perreault au sud du quartier. Il est à proximité de quartiers déjà embourgeoisés comme Rosemont et Villeray.
«Quand je suis arrivée dans le quartier, on m'a expliqué que les atteintes au parc locatif [reprises, évictions] étaient moins un sujet chez nous. On ne va pas se mentir : Saint-Michel est historiquement un quartier déshérité peu attractif», confie Céline Camus.
Or, c’est de moins en moins le cas. Yasmine Belam, chargée de concertation en habitation pour la table de quartier Vivre Saint-Michel en santé, s’occupe de créer des ponts entre les différents partenaires en logement. La jeune femme a grandi dans le quartier avant de le quitter pendant 20 ans et d’y revenir pour y travailler.
«Le quartier a beaucoup changé. [...] Ça aurait été un peu naïf de croire que la gentrification n’arriverait pas à Saint-Michel», juge Yasmine Belam.
• À lire aussi: Crise du logement: quatre mesures que pourrait adopter le gouvernement dès demain
30% de la population à faible revenu
Celle qui est d’origine algérienne indique que des alternatives en logement social dans le quartier existent, comme 14 coopératives d’habitation, 7 OBNL d’habitation et 880 logements HLM, mais que «le manque à gagner est assez immense».
«Alors que plus de 30% de la population vit sous le seuil du faible revenu, c’est seulement 8% des ménages locataires qui ont un logement subventionné», précise-t-elle, en citant le recensement de 2016.
La mairesse de Villeray–Saint-Michel-Parc-Extension, Laurence Lavigne Lalonde, reconnait que le quartier doit jongler de plus en plus avec l’embourgeoisement de Saint-Michel.
«Pour habiter dans ce secteur-là, c’est un quartier qui a beaucoup évolué pendant de nombreuses années. En ce moment, on voit réellement que c’est une transformation qui s’opère : des nouveaux commerces, des nouveaux résidents et des nouvelles familles», juge-t-elle.
Elle s’est dite inquiète en prenant connaissance des chiffres du Bureau Info Logement. «On ne voit pas ça d’un bon œil. Ceci étant dit, il y a quand même quelque chose de bien dans le sens où les gens sont capables de se retourner vers un comité logement lorsqu’ils ont un problème.»
Mme Lavigne Lalonde espère que la mise en place de mesures comme l’achat de terrains ou d’immeubles avec le droit de préemption, qui permet à la Ville de Montréal d’acheter en priorité sur tout autre acheteur afin d’y réaliser des projets, et d’un nouveau registre des baux des loyers par la ville vont mettre un frein à ce phénomène.
«On aimerait ça que le gouvernement du Québec fasse sa part pour nous accompagner», déplore-t-elle, en insistant sur le fait que ce dernier doit investir pour la construction de logements sociaux afin de contrer l’embourgeoisement.
• À lire aussi: Québec admet qu'il y a une crise du logement: ces 3 histoires auraient dû lui mettre la puce à l'oreille
L’embourgeoisement, c’est quoi?
Comment définit-on l’embourgeoisement? L’Office québécois de la langue française (OQLF) indique que cela représente une «transformation socio-économique d'un quartier urbain ancien engendrée par l'arrivée progressive d'une nouvelle classe de résidents qui en restaure le milieu physique et en rehausse le niveau de vie».
Ça part parfois de bonnes intentions : les politiques pour améliorer la qualité de vie dans des quartiers traditionnellement délaissés les rendent plus intéressants aux yeux des promoteurs immobiliers, et accentuent la gentrification, comme on l’a vu à Saint-Michel dans les dernières années.
«On voit que la réalisation du parc Frédéric-Back a mené à une augmentation des prix [des loyers] et une gentrification aux abords du parc», donne en exemple la docteure en géographie et en aménagement Chloé Reiser. Cet espace qui était autrefois un dépotoir a été transformé en immense parc.
La hausse des prix des loyers qui vient avec l’embourgeoisement a comme conséquence de rendre certains logements et commerces inaccessibles à la population qui vivait sur place avant l’embourgeoisement. Ces gens se voient parfois contraints de quitter le quartier pour aller vivre ailleurs, là où les prix sont moins chers.
Ce phénomène a touché un grand nombre de quartiers ouvriers montréalais comme le Plateau-Mont-Royal, Verdun, Pointe-Saint-Charles et même Hochelaga-Maisonneuve
Le quartier Saint-Michel
Stations de métro : Fabre, D’Iberville, Saint-Michel
Grandes artères : boulevard Saint-Michel, boulevard Pie-IX, autoroute Métropolitaine, rue Jean-Talon
Contient le parc Frédéric-Back
Districts électoraux municipaux : Saint-Michel (au nord) et François-Perrault (au sud)
Population : 73 702 personnes*
Revenu médian d’un ménage (2015)
Secteur Saint-Michel : 42 227 $
Secteur François-Perrault : 42 600 $
Proportion de population immigrante*
Secteur Saint-Michel : 51%
Secteur François-Perrault : 42%
*Recensement de 2016
L’évolution des prix des logements dans le quartier Saint-Michel d’octobre 2010 à octobre 2021
Studio: 424$ à 613$. Une augmentation de 189$ (45%).
3 1⁄2: 489$ à 625$. Une augmentation de 136$ (28%).
4 1⁄2: 553$ à 736$. Une augmentation de 183$ (33%)
5 1⁄2 et plus: 752$ à 830$. Une augmentation de 78$ (10%).
Moyenne totale: 543$ à 702$. Une augmentation de 159$ (29%).