Des associations de propriétaires veulent abolir les cessions de bail
Peu d’options s’offrent aux locataires pour garder un contrôle sur le prix des loyers si ce n’est que de transférer son bail à une autre personne pour éviter les hausses de loyer considérables, soit la cession de bail. C’est pourtant ce mécanisme – tout à fait légal – que souhaitent révoquer des associations de propriétaires.
• À lire aussi: Crise du logement: quatre mesures que pourrait adopter le gouvernement dès demain
Au Québec, lorsqu’un locataire désire quitter son logement et se libérer de ses obligations en plein cours de bail, il a l’option de sous-louer son logement ou de céder son bail. Dans le cas de la seconde option, il doit aviser par écrit le locateur de son intention de quitter en incluant les coordonnées du nouveau locataire et le propriétaire ne peut refuser la cession à moins d’un motif «sérieux», comme de mauvais antécédents à titre de locataire ou une cote de crédit insuffisante.
Ce processus, qui est même encouragé par des associations de défense des droits des locataires, a gagné en popularité dans les dernières années en période de crise du logement. C’est qu’il permet de transférer son bail à un autre locataire en évitant de le mettre en location sur le marché et ainsi, le relouer plus cher.
Une manière d’«arnaquer» les proprios?
Des propriétaires disent se faire «littéralement berner par les locataires», soutient la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), qui souhaite carrément modifier le Code civil du Québec pour «interdire les cessions de bail si un propriétaire libère son locataire de ses obligations sans pénalité.»
«La fin d’un bail est souvent l’occasion de rénover un logement. Autrement, on tombe dans ce qu’on appelle les "rénovictions" et ça, personne n’aime ça. Laissez-nous reprendre le logement, le rénover et le remettre au prix du marché», insiste le directeur de la CORPIQ, Benoit Ste-Marie, qui dépeint la cession de bail comme un phénomène «triste» et «individualiste» qui «arnaque les propriétaires» et qui «bloque le marché locatif».
Ce dernier indique qu'après cinq années d’occupation d’un logement par un même locataire, ne pouvant augmenter le loyer de manière substantielle, le propriétaire se retrouve «à perte».
«Non seulement le propriétaire ne fait pas une cenne, mais il se retrouve avec un cashflow négatif et à la fin de l’année il a à essuyer des pertes. À la fin du bail, c’est tout à fait normal qu’on ait le droit de le remettre en location», plaide Benoit Ste-Marie.
L’Association des Propriétaires du Québec (APQ) défend la même position que la CORPIQ et souhaite vivement que le gouvernement révise la loi.
«Le mécanisme [de la cession de bail] a été prévu pour permettre au locataire de se dégager de ses obligations dont celui de devoir payer son loyer, explique le président de l’APQ, Martin A. Messier. Mais on devrait, comme propriétaires, décider nous-mêmes de dégager les locataires de leurs responsabilités sans devoir s’astreindre à un nouveau locataire choisi par un autre de mes locataires.»
Pour Martin A. Messier, un propriétaire devrait pouvoir systématiquement mettre fin au bail si un locataire choisit de quitter son logement, avant d’ajouter que les propriétaires «disposent d’une très petite marge de manœuvre pour accepter ou refuser la cession».
• À lire aussi: Québec admet qu'il y a une crise du logement: ces 3 histoires auraient dû lui mettre la puce à l'oreille
Les locataires «écoeurés» des abus
L’abolition de la cession de bail n’est pas la solution aux défis que rencontrent les locataires au moment de dénicher un logement abordable, soutient le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU).
«La cession de bail est la seule mesure dont disposent les locataires pour s’entraider et se passer leur bail étant donné qu’il n’y a pas de contrôle obligatoire des loyers», explique la porte-parole du FRAPRU, Véronique Laflamme, en ajoutant que les «locataires sont écœurés de vivre autant d’abus».
Pour le regroupement, la solution passe par l’implantation d’un registre obligatoire des loyers tout en imposant un plafond maximal d’augmentation de loyer en se fiant à l’outil proposé par le Tribunal administratif du logement (TAL).
«Que la CORPIQ dise que c’est une façon d’arnaquer les propriétaires, c’est fort. C’est fort en café, se désole Véronique Laflamme. Il y a tellement de hausses abusives de loyer lorsqu’il y a changement de locataire. La cession de bail est une forme de solidarité pour éviter ça.»
• À lire aussi: Habiter en coop : comment trouver un logement dans une coopérative d’habitation ?
Un changement de la loi à venir?
Si la cession de bail était un phénomène «rarissime» il y a dix ans, il prend aujourd’hui de l’ampleur et pour Benoit Ste-Marie, il est «évident que le gouvernement va changer la loi actuelle».
«On a un problème, il manque de logements, alors ce n’est pas le moment de tirer dans les jambes des propriétaires», dénonce-t-il, soutenant que la cession de bail va même jusqu’à décourager plusieurs personnes d’investir en immobilier.
Depuis le 21 juillet 2021, le locateur est désormais tenu, lors de la signature du bail, d'informer le locataire du dernier loyer payé en remplissant la section «G» du bail. Si le loyer demandé est supérieur au montant indiqué, le locataire peut demander une fixation de loyer au TAL.
À ce sujet, la CORPIQ réclame une modification à l’article de la loi pour que la clause la «plus importante du bail», le prix du loyer, «ne puisse pas être reniée».