Code switching: masquer son accent pour mieux performer au travail, ça peut être dommageable
BILLET - Connaissez-vous le code switching? C’est le fait de changer de langue ou d’accent en présence d’un groupe donné, pour mieux s’intégrer à ce dit groupe. Et au Québec, c’est une réalité que vivent beaucoup de jeunes professionnels issus de la diversité sur le marché du travail.
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Je suis née à Port-au-Prince et je suis arrivée au Québec à l’âge de deux ans. J’ai donc été éduquée ici toute ma vie, et du collège privé à mes premiers stages dans le monde des médias, j’ai dû sortir mon bon vieil accent québécois, pour fit in. J’avais l’impression que si l’accent créole se glissait dans l’une de mes phrases, mon rêve de me retrouver un jour à la télé allait partir en fumée.
Je me suis rendu compte que ce n’est pas suffisant de maîtriser parfaitement la langue française. Il faut aussi maîtriser l’accent québécois pour être «parfaitement» intégrée dans un cadre professionnel.
En publiant quelques stories sur Instagram sur le sujet, j’ai été estomaquée de lire le nombre de témoignages de jeunes professionnels qui usent quotidiennement du code switching dans leur milieu professionnel et plus souvent qu’autrement trouvent ça lourd.
Une ingénieure m’a partagé un bout de son histoire. «Je suis née en Iran et on me dit: "Ah mais, t’es née ici?". Je leur réponds que non. Et ils répondent : "Hein, t’es comme nous, tu parles comme nous!"»
Ce n'est pas pour rien. «Je suis au Canada depuis que j’ai 15 ans. Je n’avais pas le choix de pour me faire accepter au secondaire ou au travail de parler comme une Québécoise.»
«Malheureusement, quand on travaille avec le public québécois, on se sent "obligé" de parler comme eux parce qu’avec des accents, ça ne passe pas. C’est vraiment triste», m’a écrit une autre abonnée.
«J’ai fait mon stage en RH dans une clinique privée et les docteurs demandaient des assistants et secrétaire sans accent», m’a raconté une autre.
Une a renchéri en racontant son expérience, également dans le domaine des ressources humaines.
«Je peux te garantir que je n’aurais pas la même carrière si je n’avais pas modulé mon accent autant en anglais qu’en français. Aussi, c’est important de mentionner que pour plusieurs d’entre nous, ce n’est pas seulement l’accent qu’on change», m’a-t-elle confié.
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Au-delà de la langue
C'est vrai. Au fil des ans, je me suis coiffée d’une telle façon, je ne voulais pas porter de parfum ni montrer mes courbes à travers mes vêtements.
Le réputé Havard Business Review inclut dans sa définition du code switching l’apparence dont les cheveux, les vêtements, l’odeur, le body language, même ce qu’on mange à notre bureau!
Cette recherche a également relevé que les employeurs doivent être conscients des différences de leurs employés issus de la diversité pour leur offrir un milieu de travail sain et inclusif.
«Alors que le code switching est crucial pour l’avancement professionnel, il en découle des conséquences psychologiques graves. Si des leaders d’entreprises souhaitent réellement promouvoir l’inclusion et adresser l’iniquité, ils doivent commencer par comprendre pourquoi des employés ne peuvent être eux-mêmes au bureau.»
Comment être soi-même en jouant le rôle d’une autre personne pour simplement avancer? C’est une question que je me suis posée, durant les 25 dernières années.
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Le pouvoir des médias
L’animatrice très populaire des années 90 et des années 2000 Sonia Benezra était bien la seule qui roulait ses r et qui a réussi à captiver tout le Québec au fil de ses entrevues avec des stars internationales.
Mon conjoint, Jeremy Filosa, qui est d’origine italienne et animateur sportif à la radio est catégorique: s’il ne s’était pas doté d’un accent québécois pour parler de baseball ou de hockey, il n’aurait jamais décroché un micro dans une station de radio d’ici, me dit-il. Et je le crois.
Les décideurs des médias ont le pouvoir de changer la donne parce que le Québec d’aujourd’hui, ce sont les accents créoles, français, arabes, asiatiques, britanniques... Le changement se fait à travers notre culture québécoise, qui est somme toute diversifiée.
J’étais heureuse qu’Eddy King ajoute sa couleur à la télé-réalité Big Brothers.
Je suis ravie que Hassoun Camara parle de foot sur les ondes de TVA Sports.
Je suis enchantée d’entendre les contes du grand-père de Boucar Diouf à travers ses r bien sentis.
Mais, j’attends encore une nouvelle Sonia Benezra. Oui, j’attends encore...