Le Tribunal administratif du logement ne fonctionne pas, changeons-le !

La réalité du Tribunal administratif du logement (TAL) a bien changé depuis sa création en 1980. Il doit désormais jongler avec les rénovictions et l’explosion des prix de l’immobilier. Une petite révolution est donc nécessaire si le TAL veut être mieux outillé pour affronter son époque. Et elle commence par ces cinq dossiers.
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1. L’insalubrité des logements
Le TAL en matière d’insalubrité est «inutile» et complètement «inefficace», constate le professeur et spécialiste en droit du logement à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Martin Gallié.
Selon une étude qu’il a coécrite en 2020 sur le parcours judiciaire des victimes d’insalubrité dans les cas de moissisure, il faut en moyenne près de 4 ans à un locataire entre le moment où il constate le problème et le moment où il reçoit un jugement en sa faveur au TAL. Bien loin des quelques mois nécessaires pour régler les cas de non-paiement, compare le professeur.
«C’est un pur scandale, tonne M. Gallié. Il y a une réforme à faire. C’est obligatoire.»
Il est à noter que pas moins de 90% des locataires abandonnent leur logement avant l'audience et la décision, voulant éviter à tout prix de subir les tords de la moisissure sur leur santé.
Et dans bien des cas, un locataire vulnérable à la recherche d’un appartement d’urgence prend la place de l’ancien locataire avant même que les travaux soient réalisés, ajoute le professeur en droit du logement.
Le gouvernement du Québec ne collecte pas de chiffres sur l’insalubrité du parc locatif, indique Martin Gallié. «C’est un mépris des classes populaires», juge-t-il.
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2. Les (trop) longs délais d’attente
Les délais d’attente sont généralement très longs avant d’être convoqué à une audience au TAL, indique l’avocat en droit du logement, Daniel Crespo Villarreal.
Toutes catégories confondues, ils sont ainsi passés en moyenne de 3 mois et demi à 5 mois dans le dernier rapport annuel du TAL publié en septembre 2021. En revanche, ces délais varient grandement d’une cause à l’autre.
Par exemple, le non-paiement de loyer sera entendu en moyenne seulement 2 mois et demi après l’ouverture du dossier, alors que la fixation de loyer prend en moyenne 13 mois. Même chose pour l’insalubrité des logements, comme il a été mentionné précédemment à travers l’étude du professeur à l’UQAM Martin Gallié, où l’attente peut aller jusqu’à quatre ans.
C’est donc surtout une question de priorisation des dossiers, soutient M.Gallié.
«Si un locataire ne paie pas 30$ de loyer, un propriétaire le poursuit et il va obtenir une audience en 3 ou 4 semaines. Mais si vous avez des coquerelles dans votre logement, et bien vous allez attendre des mois et des mois», illustre pour sa part l’avocat en droit du logement Daniel Crespo Villarreal.
«Est-ce qu’on priorise les bénéfices d’investisseur immobilier ou bien la santé de nos communautés?», renchérit Me Crespo Villarreal.
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3. Le TAL, une «machine à expulser?»
Selon son dernier rapport en date de septembre 2021, le TAL a recensé 24 000 demandes en résiliation de bail entre le 1er avril 2020 et le 31 mars 2021. Le nombre de demandes tournait plutôt autour de 40 000 les années précédentes, mais a connu une baisse de 40% au cours de cette première année pandémique.
Pour donner un ordre de grandeur, ce chiffre équivaudrait à ce que tous les résidents d’un arrondissement comme Lachine obtiennent de la part de leur propriétaire une demande de résiliation de bail à leur encontre, en une année. Un nombre trop important qui ne prend pas en compte les circonstances de non-paiement d’un ménage, juge le professeur Martin Gallié.
En effet, lors d’une audience, une preuve de non-paiement est suffisante pour résilier le bail, et le locataire n’a pas à être entendu. Une situation que déplore aussi l’avocat en droit du logement, Daniel Crespo Villarreal.
«C’est une machine à expulser. Si vous fouillez, vous allez voir des résiliations pour des dizaines de dollars...si on prend un pas de recul, ce qu’on fait, c’est de jeter avec une facilité déconcertante des gens à la rue», estime Me Crespo.
Toutes les demandes introduites en résiliation de bail ne finissent pas nécessairement par une expulsion du logement, précise le professeur Martin Gallié. Mais difficile de connaître le nombre d’expulsions dans la province, car le gouvernement du Québec ne collecte pas ce type de données.
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4. Un meilleur contrôle des fausses reprises de logement et du harcèlement
François Saillant connait les rouages du TAL depuis fort longtemps. Il a été porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) pendant 37 ans, et était présent l’année de la création de la «Régie du logement», ancien nom donné au TAL. Il a même écrit un livre sur le tribunal en 2006 lors de son 25e anniversaire.
«Quand elle est venue au monde [la régie], il y avait beaucoup de critiques concernant certains problèmes qui sont encore en place aujourd’hui», envoie-t-il d’entrée de jeu.
De son côté, M. Saillant revendique plusieurs actions depuis la création du TAL pour assurer un meilleur contrôle des évictions : un suivi rigoureux quant aux reprises de logement afin d’éviter que des propriétaires évincent pour de faux motifs. Et aussi l’abolition de l’article du Code civil 1959, qui permet l’éviction pour l'agrandissement, la subdivision ou le changement d'affectation d’un logement.
Le militant de longue date aimerait que le gouvernement légifère sur la question des rénovictions, un concept qui n’existait pas en 1980, où l’on évince un locataire sous prétexte de rénovations majeures.
Il plaide en ce sens pour une justice plus sévère sur le harcèlement d’un locataire. «Les dispositions sur le harcèlement de toutes évidences ne sont pas assez forte, car, pour te débarrasser d’un locataire, tu le harcèles», constate-t-il.
5. Certains locataires «profitent du système»
Des associations de propriétaires trouvent que le délai pour expulser un locataire en défaut de paiement est beaucoup trop long et permissif. Ils souhaitent accélérer le processus.
Un locateur doit attendre trois semaines s’il veut pouvoir entamer les démarches, mais le propriétaire doit ensuite prendre son mal en patience en attendant l’audience et puis le jugement. Ça prend ainsi en moyenne trois mois pour expulser un locataire fautif.
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Le président de l‘APQ, Martin A. Messier, estime que le système en place au Québec «protège beaucoup les locataires» et trouve ce système trop long. «On se sent souvent très mal pris par rapport à ce que les locataires ont comme droit», déplore M. Messier.
Pour la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), certains locataires profitent carrément «du système en place» et évoquent eux aussi des délais d’attente trop longs pour expulser un locataire.
*La suite ce lundi avec les solutions pour remédier à la situation