L’option pourboire envahit les machines (et ça agace les clients)

Vous achetez un café au commerce du coin et au moment de payer avec votre carte de crédit, le terminal vous propose de laisser un pourboire de 10, 15, voire 20% sur votre achat de 4$. Ces nouvelles machines, qui ont pris la place du pot à pourboire, comportent des effets pernicieux qui jouent sur le sentiment de culpabilité du consommateur.
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Il n’est plus rare d’être confronté à des terminaux de paiement dont l’interface incite fortement à laisser du pourboire, et ce, même dans de petits commerces du quotidien. Le design de ces technologies, soigneusement réfléchi, influence l’utilisateur dans ses prises de décision.
«Les consommateurs sont mêlés et frustrés et ça s’est exacerbé avec la pandémie, croit la journaliste au Protégez-Vous, Stéphanie Perron. Avant, le pourboire était laissé à la discrétion du client, mais avec l’avènement du paiement sans contact, on est plus porté à payer avec une carte un pain à la boulangerie à 2,15$. Avant, on le payait davantage en argent comptant et c’était libre à nous de laisser le change dans un pot à pourboire.»
Problème d’éthique
La popularité de l’option pourboire sur les terminaux de paiement découle de la disparition progressive de la «petite monnaie», autrefois dédiée aux pots destinés au pourboire. Le hic: l’expérience de paiement via ces appareils peut carrément poser un enjeu éthique, selon Sandrine Prom Tep, professeure au département de marketing de l’ESG UQAM et experte en comportement du consommateur et en expérience utilisateur.
«Ces interfaces utilisent une technologie persuasive. On essaie de jouer sur le fait que le consommateur ne veut pas perdre beaucoup de temps, il va lire rapidement et va faire un choix rapide pour essayer de se débarrasser du processus. Tout ça joue sur l’expérience utilisateur, sur la culpabilité et sur la notion d’éthique.»
Ainsi, si le terminal de paiement propose un pourboire par défaut à 18% en haut à gauche de l’écran, il y a de bonnes chances que le consommateur sélectionne cette option par facilité, par inadvertance ou même par culpabilité de changer d’option devant le commerçant, estime l’experte.
D’ailleurs, l’usage de ces machines peut affecter négativement l’expérience d’un client ou sa perception d’un commerce, révèle une étude américaine de la Marketing Science Institute réalisée en 2021. L’étude montre que plus les options de pourboire par défaut sont élevées, moins les clients se disent satisfaits de leur expérience générale et plus le consommateur aura l’impression que le commerce souhaite exercer un contrôle sur sa prise de décision.
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Coincer le consommateur
Avez-vous déjà eu de la difficulté à vous retirer de la liste d’envoi d’une infolettre ou à finaliser votre désabonnement d’une plateforme de vidéos sur demande?
Au moment de laisser du pourboire sur un terminal de paiement, vous êtes confronté au même problème. Il s’agit d’un concept en marketing appelé «Opt-out»: plutôt que d’offrir un choix à l’utilisateur, on lui présente une option dont il doit se sortir. Ainsi, lorsqu’on demande au client «Quel pourboire souhaitez-vous laisser?» plutôt que «Souhaitez-vous laisser du pourboire?», vous devez trouver une manière de dire «non» dans les options qui vous sont offertes.
«On donne la machine aux clients et on leur dit, "si vous ne voulez pas laisser de pourboire, vous devez sauter le processus et vous devez chercher l’issue", résume Sandrine Prom Tep. On coince l’utilisateur dans une expérience client qui n’est pas à son avantage et dans laquelle il doit volontairement s’exclure dans un contexte où le pourboire est régi par les normes sociales.»