La décroissance : seule solution à la crise climatique? | 24 heures
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La décroissance : seule solution à la crise climatique?

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Photomontage: Karine Leblanc

De plus en plus d’experts des changements climatiques, d’économistes et de penseurs préconisent la décroissance comme solution à la crise climatique. Plusieurs d’entre eux estiment même qu’il s’agit de la seule et unique solution. Pourquoi? On vous explique.

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Selon le dernier rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), l’humanité dispose de trois ans pour plafonner les émissions de gaz à effet de serre (GES) avant de les décroître dans l’espoir d’éviter les pires impacts des changements climatiques. 

Tout ce qu’on produit et consomme est responsable d’émissions de GES. De façon très simple, la solution serait donc d’arrêter de produire et de consommer.

On parle de décroissance lorsque le produit intérieur brut (PIB) d’un État diminue, donc qu’on y produit moins de biens et de services que l’année précédente. Elle peut être involontaire, comme lors du confinement lié à la COVID-19, ou volontaire.

« Quand on parlait de décroissance en économie, on se faisait traiter d’utopistes. L’utopie, c’est de penser qu’on aura une croissance infinie avec des ressources limitées », affirme François Delorme, économiste et chargé de cours à l’Université de Sherbrooke, qui croit que les mesures de décroissance doivent être ambitieuses, mais adoptées progressivement.

« On ne peut pas se sortir d’une crise en restant dans le système qui l’a engendrée », martèle pour sa part Sabaa Khan, directrice générale de la Fondation David Suzuki au Québec et en Atlantique. 

« Nous n’avons qu’une toute petite fenêtre pour permettre à nos enfants de vivre avec le même confort dont on a pu profiter. Tous les rapports le disent, maintenant il faut agir », affirme-t-elle. 

François Delorme, économiste et chargé de cours à l’Université de Sherbrooke.

Crédit photo: Université de Sherbrooke

François Delorme, économiste et chargé de cours à l’Université de Sherbrooke.

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Des solutions radicales

Cela fait quelques années que François Delorme enseigne le concept de décroissance à ses étudiants, à leur demande. « On leur répétait dans tous les autres cours que la décroissance était impossible et que seule l’avancée technologique allait nous sortir de la crise climatique. »

Selon l’économiste, le temps nous manque pour attendre une invention miracle comme un capteur de carbone efficace à grande échelle. Il faudra immanquablement changer notre mode de vie. « 2025, c’est dans moins de 1000 jours. En ce moment, on est en train de vivre avec un bras gangréné et au lieu de l’amputer, on s’obstine à mettre des pansements dessus », image-t-il. 

Mais les mesures nécessaires pour réduire la production vont bien au-delà de simplement demander aux gens de moins consommer. « C’est la responsabilité des gouvernements de mettre en œuvre des politiques pour que les gens n’aient pas besoin de consommer autant pour répondre à leurs besoins », affirme Sabaa Khan.

L’adoption du télétravail et de la semaine de quatre jours est, selon elle, un bon moyen pour réduire la consommation de ressources liée au transport et au travail. Des plafonds de production devraient aussi être imposés aux industries polluantes, comme celle des énergies fossiles. 

« Il faut se rendre jusqu’à la source de la surconsommation et avoir le courage de poser des gestes impopulaires, pour le bien commun », fait valoir François Delorme. 

Il suggère d’interdire la publicité pour freiner la consommation ostentatoire de biens, d’adopter des lois anti-obsolescence programmée et de favoriser la mise en commun de biens utiles comme les voitures ou les outils. 

Il rejoint d’autres économistes dans l’idée de taxer certains biens et d’en subventionner d’autres selon leur empreinte écologique. « Si on taxe les billets d’avion à 100 %, on y pense à deux fois avant d’utiliser ce moyen de transport très polluant. Si ce n’est pas assez, on pourrait imposer des restrictions quant aux tonnes de GES qu’on a le droit de produire annuellement. »

Sabaa Khan, directrice générale de la Fondation David Suzuki au Québec et en Atlantique

Crédit photo: Fondation David Suzuki

Sabaa Khan, directrice générale de la Fondation David Suzuki au Québec et en Atlantique

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La solidarité et le bonheur

Si la production vient à diminuer, il faut tout de même permettre aux gens de vivre dignement, soulève Sabaa Khan, qui invoque l’adoption d’un revenu minimal garanti. Les changements nécessaires pour faire face à la crise climatique sont irréalisables sans solidarité sociale, dit-elle.

« En ce moment, 10 % des plus riches produisent 50 % des émissions du monde. C’est injuste de demander aux gens plus démunis de faire le travail qui devrait être fait par les mieux nantis. »

Moins produire, moins travailler et moins dépenser peuvent prendre l’allure de sacrifices, mais ces changements pourraient être bénéfiques pour le bien-être en plus du climat, nuance François Delorme. Avoir plus de temps libre qui n’est pas pris par le travail permettrait d’être en meilleure santé et de s’impliquer davantage dans sa communauté. 

« Le PIB ne peut pas être notre seule mesure du bien-être de la population. Imaginez que le PIB monte parce qu’on a construit des prisons à travers le pays, on ne peut pas vraiment dire que les gens sont plus heureux », explique l’économiste.

Sabaa Khan et François Delorme sont tous deux d’avis que la décroissance causée par la COVID-19 prouve que, quand il y a volonté politique, il est possible d’opérer de grands changements économiques. « On a redistribué la richesse pour les gens qui ne pouvaient pas travailler pendant le confinement. On a vu que c’était possible, dit ce dernier, La crise climatique n’est pas négociable, le mur se rapproche et on va le frapper de plein fouet dans trois ans si on ne fait rien. »

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