Les allophones, une menace à la nation, vraiment?
BILLET – Monsieur le premier ministre, je me présente. Mon nom est Anne-Lovely, je suis immigrante, produit de la loi 101, et je m’exprime impeccablement en français. Et je trouve que le débat sur la langue et l’immigration non francophone qui polarise le Salon bleu, à quelques mois des élections, est une stratégie douteuse qui ne fait que diviser.
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J’ai bien vu que vous souhaitez rapatrier tous les pouvoirs du fédéral en matière d’immigration, car vous craignez que les immigrants non francophones n’apprennent pas le français. Ils constitueraient même une menace à la nation québécoise, selon vos dires.
Pour vous, les histoires d’immigrants non francophones qui ont appris le français en arrivant au Québec sont des «anecdotes», comme vous avez désigné la famille du député libéral Saul Polo.
Eh bien, comme le soulignait Rima Elkouri dans La Presse, ces gens qui apprennent avec amour le français et qui dessinent le Québec d’aujourd’hui (que vous avez le privilège de diriger) sont bien trop nombreux pour être considérés comme des anecdotes.
J’en sais quelque chose: je suis moi-même une allophone. J’ai immigré ici en 1988. Le créole est bien ma langue première et celle que j’ai la chance de parler à la maison, mais je m’exprime en français dans toutes les sphères publiques de ma vie: au travail, à l’hôpital, dans les commerces... Il y a une distinction à faire entre la langue parlée à la maison et la langue parlée dans les espaces publics.
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L'immigration est principalement francophone
Il ne faut pas oublier non plus que l’immigration francophone est déjà majoritaire au Québec. En 2020, sur 25 223 immigrants, «60,4% de l’ensemble des personnes admises déclarent connaître le français, comparativement à 49,8% en 2019», selon le Bulletin statistique sur l’immigration permanente au Québec – 2020, produit par le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration.
Et pour les immigrants qui n’ont AUCUNE connaissance de la langue française, qu’on retrouve notamment parmi les réfugiés et dans les programmes [de] réunification familiale, il existe les programmes de francisation, et la loi 101 oblige leurs enfants à fréquenter uniquement des écoles francophones.
Une menace à la nation, vraiment?
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Des néo-Québécois qui aiment le français
Des exemples de néo-Québécois qui aiment le français, il n’en manque pas.
Prenez Farah Alibay, l’ingénieure en aérospatiale canadienne qui œuvre à la NASA, d’origine indienne et malgache.
Dans une entrevue, la jeune femme de 35 ans, qui est née à Montréal mais qui a aussi vécu en Angleterre et aux États-Unis, a partagé ceci: «J’étais en sixième année la première fois que j’ai vu Julie Payette aller dans l’espace. Ça m’a fait quelque chose. C’est une Québécoise, c’est une fille, elle parle français... Ça veut dire que moi aussi je peux faire ça si je veux!»
Il y a également la chanteuse Yama Laurent. Née en Haïti, elle s’est installée au Québec en 2016. Elle a même été couronnée gagnante de l’émission La Voix. Les téléspectateurs ont été séduits par son charisme. Dans une entrevue en français qu’elle a accordée à mon collègue Bruno Lapointe au Journal de Montréal, elle s’est dite chez elle au Québec.
Dans le monde du sport, il y a le boxeur et ancien champion du monde roumain Lucian Bute. Il est l’exemple parfait du gars qui est arrivé de la Roumanie, sans parler un traître mot de français. Il a décidé de faire du Québec sa terre d’accueil et s’exprime aujourd’hui très bien dans cette langue.
Trois histoires différentes, trois origines différentes, mais un point en commun: tous s’expriment en français même si les trois sont allophones.
Des exemples comme ceux-là, il y en a des milliers et des milliers. Ce ne sont que de maigres échantillons qui ne sont pas des anecdotes, mais bien un reflet d’une immigration qui désire s’intégrer au Québec et qui honore la langue française dans leur quotidien.
Ne faites donc pas peur à la jeunesse immigrante qui a foi en l’avenir et qui désire plus que tout contribuer au Québec en mettant à profit son talent.
Rassembler pour mieux régner
Regardez autour de vous, Monsieur le premier ministre.
Pourquoi ne pas débattre plutôt des enjeux entourant l’inflation qui appauvrit les familles aux revenus moyens, du système de santé qui croule devant les yeux cernés des infirmières et de l’éducation qui a bien besoin de professeurs passionnés qui malheureusement deviennent des robots en burnout...
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Parlez-nous de bien-être de nos aînés et de nos malades, de meilleures conditions de travail pour les travailleurs de la santé et les enseignants, de places en garderie pour les jeunes mamans, de mesures sérieuses sur les questions environnementales, d'initiatives pour la santé mentale après cette dure pandémie...
Et là, on parlera d’une campagne rassembleuse, car ce n’est pas vrai qu’il faut diviser pour mieux régner.