La culture des violences obstétricales et gynécologiques existe et il faut l'enrayer, disent des experts | 24 heures
/panorama

La culture des violences obstétricales et gynécologiques existe et il faut l'enrayer, disent des experts

Image principale de l'article La culture des violences gynécologiques existe
Photomontage: Sébastien Dorion

Après des années de pression de groupes militants, le Collège des médecins du Québec a ajouté les violences obstétricales et gynécologiques comme objet de plainte et d’enquête le mois dernier, dans un système de la santé où ces inconduites semblent bien implantées. 

Avertissement: ce texte contient des détails qui pourraient ébranler certains lecteurs.

• À lire aussi: Violences obstétricales et gynécologiques: «Je me suis sentie violée, brisée, abusée»

Le Collège des médecins du Québec (CMQ) a ouvert, à l’automne dernier, une conversation avec différentes organisations qui s’intéressent aux violences obstétricales et gynécologiques (VOG) en santé reproductive. L’objectif: enrayer les abus qui surviennent — régulièrement selon les experts — lors d’examens gynécologiques, d’avortements, de poses de stérilet ou d’accouchements.

Allant du commentaire déplacé à la violence physique, il n’existe à ce jour aucune donnée pour les quantifier.

«Elles sont cependant beaucoup plus fréquentes qu’on ne le pense», souligne la professeure de droit et chercheuse au centre de droit, politique et éthique de la santé de l’Université d’Ottawa, Audrey Ferron Parayre.

En France, par exemple, l’État a reconnu en 2018 que les VOG étaient «systémiques» dans le milieu de la santé, et non pas des cas isolés.

Les nombreux témoignages recueillis par le 24 heures tendent aussi à le démontrer.

«La gynécologue m’a inséré le speculum de façon brutale et est sortie de son bureau en laissant la porte grande ouverte», raconte Laure. «Elle m’a aussi couverte de jugements quant à mon nombre de partenaires sexuels dans l'année.»

«Quand j’ai écarté mes jambes, la gynécologue m’a demandé pourquoi je me rasais et je voulais avoir l’air d’une jeune fille», affirme Sarah.

«Je me tordais de douleur, j’ai fait un choc vagal. Le médecin m’a ensuite dit que j’étais une petite nature et que je m’évanouissais à rien», lance Marie-Pierre. 

• À lire aussi: Enquête en cybercriminalité après des allégations contre la clinique d'avortement l’Alternative à Montréal

Difficile de faire une plainte

Questionné par le 24 heures, le Collège des médecins affirme réprouver «toute forme de violence et d’abus envers les patientes et interviendra chaque fois qu’il le faudra».

Pour l’heure, seul 1% des plaintes déposées au CMQ pour des violences obstétricales et gynécologiques mènent cependant à une décision du conseil de discipline, précise la professeure Ferron Parayre, qui étudie les VOG depuis plusieurs années.

Béatrice, 29 ans, qui a subi à deux reprises des VOG dans une même clinique de Montréal, peut en témoigner.

Une plainte déposée au CMQ il y a quelques années s’est soldée par «beaucoup de déception».

«Je n'ai ni la force ni le courage d'entreprendre une nouvelle fois des démarches auprès du Collège des médecins. Je l'ai déjà fait et ça donne ce que ça donne: la parole de l'une contre la parole de l'autre», déplore-t-elle.

À l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, il n’est pas possible de formuler une plainte et de lancer une enquête spécifiquement au sujet de VOG.

«Un vagin, ce n’est pas comme examiner une oreille»

Dans les dizaines de témoignages analysés, certains éléments reviennent invariablement: la froideur du personnel soignant et les actes médicaux exercés sans consentement.

«La gynécologie et l’obstétrique sont très intrusives de l’intimité», fait valoir Mme Ferron Parayre. «Du côté des soignants, on oublie de prendre en considération qu’un examen gynécologique n’est pas comme examiner une oreille.»

Le Collège des médecins a tenu à rappeler «que toute forme d’examen envahissant nécessite un consentement explicite et une communication appropriée et continue avec la patiente».

Parmi les experts et les victimes toutefois, ce n’est pas exactement le consensus.

«Ce genre de violences arrive tout le temps. Il y a quelque chose de structurel, d’admis», explique Françoise Hasty, qui travaille comme sage-femme depuis 5 ans.

«Quand tu arrives dans une unité mère-enfant, c’est comme si ce n’était soudainement plus grave de regarder la vulve d’une femme sans lui demander, de prendre ses seins sans lui demander. Leur corps appartient au personnel hospitalier pour le bien-être du bébé», poursuit-elle. «Ça vient légitimer des actes qui sont illégitimes.»

Dans le système de la santé, les femmes sont moins prises au sérieux que les hommes lorsqu’elles expriment une intensité de douleur similaire, rapportait une étude publiée dans la revue scientifique The Journal of Pain en mars 2021.

Ces stéréotypes de genre ont également des conséquences sur les traitements choisis: les femmes se font prescrire de la psychothérapie tandis que les hommes obtiennent des médicaments antidouleur.

«C’est déplorable», lance le titulaire d'un doctorat de l'Université de Montréal en pharmacologie et médecin résident en anesthésie, Mathieu Nadeau-Vallée. «On fait des anesthésies à l’hôpital pour des procédures qui font beaucoup moins mal que certains examens gynécologiques.»

«Des femmes perdent connaissance ou développent certains symptômes de stress post-traumatiques, et se mettent à éviter les soins gynécologiques», détaille celui qui est mieux connu comme le doc de TikTok. «Ce n’est pas normal d’avoir aussi mal.»

La culture des VOG

#PayeTonUtérus, #BalanceTonUtérus, #StopVOG: depuis 2014, des centaines de femmes de la francophonie ont raconté sur les réseaux sociaux avoir subi des VOG tout au long de leur vie, en France comme au Québec.

Plus récemment, le compte Instagram féministe Un gars dynamique a publié une série de témoignages de personnes qui révélaient avoir vécu des violences lors d’examens ou d’avortements dans une clinique d’avortement de Montréal.

L’administratrice du compte affirme avoir reçu plus d’une centaine de messages concernant des VOG.

«Il y a beaucoup de parallèles à faire avec les violences conjugales ou sexuelles, comme le recours aux réseaux sociaux pour dénoncer», commente la chercheuse Audrey Ferron Parayre. «Les femmes ne savent pas où se tourner lorsqu’elles sont victimes de VOG parce qu’il n’y a pas vraiment de recours effectif.»

«Quand on analyse ce qui se passe dans le système de justice, les décisions qui sont prises lors de procès pour agressions sexuelles par exemple, je n’ai pas le choix de leur donner raison d’un point de vue de juriste», convient-elle.

Pour les militantes, expertes et soignants consultés par le 24 heures, les VOG s’inscrivent donc dans le continuum des violences faites aux femmes, un peu à l’image de «la culture du viol».

On parle d’une «culture des violences obstétricales et gynécologiques».

«On minimise leur impact comme on minimise l’impact des violences sexuelles. On ne croit pas les victimes, on ne les écoute pas, le savoir appartient au soignant», fait quant à elle valoir la directrice générale Regroupement Naissances Respectées, Lorraine Fontaine, qui milite depuis plus de 20 ans pour faire reconnaître les VOG par le système de la santé.

Comme dans le concept de la culture du viol, la notion d’intention n’est pas pertinente, soutient la chercheuse Audrey Ferron Parayre. «Même si le soignant n’avait pas l’intention de commettre une violence, ce qui importe est comment elle est ressentie par la victime.»

«On n’est pas à l’abri de faire un commentaire déplacé ou un geste qui pourrait être perçu comme une violence malgré nos meilleures intentions», ajoute la sage-femme Françoise Hasty.

Quoi faire?

Plusieurs pays commencent à offrir une certaine protection aux femmes contre les violences obstétricales et gynécologiques.

En France, la loi Kouchner oblige depuis 2002 les médecins à demander le consentement des patients avant d’exercer tout acte médical. S'ils réalisent un acte de pénétration «par violence, contrainte, menace ou surprise», comme insérer un spéculum lors d’un examen gynécologique sans avertir la personne, le geste sera considéré comme un viol.

Le Venezuela a quant à lui été le premier pays en 2007 à imposer une loi pour combattre les VOG. L’Argentine, le Brésil et plusieurs états du Mexique ont suivi quelques années plus tard.

Sans légiférer, il existe plusieurs méthodes pour limiter la douleur et rendre les procédures gynécologiques plus douces.

«On peut porter un analgésique sur un nerf près du col de l’utérus pour bloquer la douleur», suggère le Dr Mathieu Nadeau-Vallée.

Des moyens naturels peuvent aussi être utilisés, indique la sage-femme et cofondatrice de l’entreprise féministe en santé reproductive Les Passeuses, Mélina Castonguay.

«Une bouillotte sur le ventre peut rendre l’expérience plus confortable. On peut proposer l’auto-insertion du spéculum guidée par le personnel soignant. L’accompagnement dans les salles d’interruption de grossesse réduirait également le recours à la sédation», énumère-t-elle. 

Sur le même sujet