Le Portugal est populaire chez les Nord-Américains et ça fait bondir le coût de la vie

Un nouveau départ, du télétravail sur le long terme ou le coût de la vie abordable: voilà autant de raisons qui poussent bon nombre d’étrangers, dont les Nord-Américains, à aller s’établir au Portugal depuis quelques années. Cette popularité ne fait toutefois pas l’affaire de bien des Portugais, qui voient tranquillement leur pouvoir d’achat diminuer et les factures grimper.
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Le Portugal est encore aujourd’hui perçu comme l’une des destinations les moins chères d’Europe. Si un bien vous coûte 1,25$ au Canada, il ne vous en coûterait que 0,57$ au Portugal, selon la base de données World Bank. Et avec la hausse du coût de la vie que l’on connaît, le Portugal semble être une destination de choix pour y acheter un bien immobilier et y vivre au quotidien. Mais les effets pernicieux de cette popularité n’ont pas tardé à se faire sentir.
C’est du moins ce qu’a observé Marco Duarte-Emmanuel, un Torontois dans la vingtaine qui habite le Portugal depuis maintenant un an.
«L’année dernière, ce n’était pas encore si mal. Les ventes de maison allaient bon train et l’alimentation était encore très abordable comparativement au Canada. Mais tout a changé au cours des six derniers mois où beaucoup de Canadiens et d’Américains ont déménagé ici», a confié l’homme né de parents portugais.
Excédé par la pandémie, le jeune homme a eu envie d’un nouveau départ en devenant agent immobilier au Portugal. Depuis, il est confronté à la frustration de plusieurs Portugais incapables d’accéder à la propriété ou même de dénicher un appartement abordable.
«À Aveiro [une ville de 80 000 habitants non loin de Porto], bonne chance pour trouver un appartement à une chambre à 400 ou 500 euros. Ils sont maintenant entre 800 et 1200 euros à cause de la demande créée par les nouveaux arrivants ou même les travailleurs [numériques] qui s’installent au Portugal tout en gardant leur emploi au Canada», déplore celui qui a choisi d’occuper un emploi au Portugal.
À la question à savoir s’il envisage de revenir au Canada un jour, Marco Duarte-Emmanuel répond qu’il est en quelque sorte «coincé au Portugal».
«Même si je voulais retourner au Canada, je n’aurais pas les moyens suffisants pour louer un logement et encore moins pour acheter une maison. Et ça, c’est sans parler des dépenses quotidiennes comme la nourriture. Oublie ça.»
Des maisons «hors de prix»
La Québécoise Mélanie Cagnon, qui habite le Portugal depuis 2003, a été aux premières loges de la hausse de la demande sur le marché immobilier. Celle qui a acheté une propriété près de Lisbonne il y a quatre ans serait incapable de la racheter aujourd’hui, sa valeur ayant presque doublé.
Les maisons «sont devenues hors de prix» et ce sont les Portugais qui en sont les premiers touchés, dit-elle.
«Les salaires des locaux sont très bas. Les nomades numériques vont mieux s’en sortir que les résidents portugais, comme ils ont généralement des revenus au-dessus de la moyenne», s'inquiète la femme qui travaille en gestion d’événements.
En 2021, le salaire moyen annuel d’un travailleur portugais était de 29 720$ US, alors que le salaire moyen d’un travailleur canadien était de 54 300$ US, selon des données de l’OCDE.
Un «embourgeoisement» qui déplaît aux locaux
Près de 700 000 citoyens étrangers vivaient au Portugal en 2021, un chiffre qui a augmenté de 40% entre 2011 et 2021. Parmi ces étrangers, 11 000 étaient originaires d’Amérique du Nord, une augmentation de près de 30% par rapport à 2020, d’après les données du Service portugais de l’immigration et des frontières.
Et la popularité du Portugal ne s’explique pas que par son abordabilité, soutient Inês Messias, une journaliste de 24 ans basée à Lisbonne.
«En 2011, le pays a traversé une grande crise économique et a beaucoup misé sur le tourisme pour s’en sortir. Plusieurs compagnies se sont mises à investir et à voir le potentiel d’embourgeoisement», a-t-elle expliqué au 24 heures.
La journaliste montre aussi du doigt les «Golden Visas». Ce programme d’investissement créé en 2012, dont l’objectif est d’attirer les capitaux internationaux, permet de devenir un résident permanent portugais en cinq ans seulement, en passant au minimum une semaine par année au Portugal.
Le gouvernement portugais a également fortement encouragé les étrangers à venir s'y installer pour vivre et travailler, tout en profitant d’avantages fiscaux très intéressants, souligne Inês Messias.
En raison de ces incitatifs, plusieurs villes se sont embourgeoisées, dont Lisbonne et Porto, déplore-t-elle. À son avis, le logement n’est «plus un droit» et est plutôt devenu un «bien».
«Les grands investisseurs expulsent les pauvres, afin qu’ils puissent construire des condos de luxe, qui sont vendus à des étrangers avec plus de pouvoir d’achat, résume-t-elle. Si vous avez de la difficulté à joindre les deux bouts dans votre pays, vous ne devriez pas aller en exploiter un autre, simplement parce que le coût de la vie est plus abordable. Ici, les gens luttent aussi.»
Un point de vue partagé par São Miguel Silva, une consultante en politique internationale de 50 ans qui habite Lisbonne depuis toujours.
«Plusieurs locaux doivent quitter les grands centres au moment où les prix des maisons augmentent. C’est très agaçant parce que ça altère non seulement la qualité de vie des résidents des villes, mais la qualité de la relation locaux/expatriés.»
Encore très abordable pour les Québécois
Jorge Do Val, un Portugais d’origine installé au Québec avec sa famille depuis 19 ans, a décidé de tout vendre et de recommencer sa vie au Portugal avec ses enfants de 10 et 16 ans. Sa femme – d’origine portugaise et habitant le Québec depuis 43 ans – a quant à elle eu l’autorisation de son patron pour travailler de l’étranger.
L’homme de 45 ans a acheté une maison l’année dernière dans la ville portuaire de Portimao, au sud du pays, dans la région de l’Algarve. Le duplex entièrement rénové a coûté à lui et sa femme 193 000 euros, soit l’équivalent de 260 000 dollars canadiens.
«Pour une maison de 1300 pieds carrés en plein centre, c’est très abordable. C’est sûr que les Portugais peuvent trouver ça cher, mais pour des Québécois qui ont un peu d’argent, on peut très bien s’établir ici.»
Et malgré une hausse des prix, le panier d’épicerie est toujours bien moins cher au Portugal qu’au Québec, remarque Jorge Do Val. «J’étais habitué de dépenser environ 250$ par semaine en épicerie et maintenant, j’en paye la moitié. C’est presque rien», s’étonne-t-il.