Propos de François Legault sur l’immigration et la violence: un amalgame dangereux et nuisible

Inquiet de l’augmentation des seuils d’immigration proposée par le gouvernement fédéral, François Legault a fait un lien entre immigration, violence et extrémisme, mercredi. Le genre de déclaration qui risque d’attiser la peur de l’autre, en plus de nuire à un débat essentiel, craint une experte.
De passage à Victoriaville mercredi après-midi, le chef de la Coalition Avenir Québec (CAQ) s’est inquiété du «défi d’intégration» que pose la politique du gouvernement libéral de Justin Trudeau, qui souhaite augmenter à 450 000 le nombre d’immigrants au Canada dès 2023.
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Si le débat sur les seuils d’immigration fait partie des discussions à chaque élection, François Legault a franchi un pas de plus en affirmant que certaines valeurs de la société québécoise pourraient s’affaisser sous le poids de l’immigration, menaçant ainsi le «vivre chez nous».
Des valeurs qu’il a décrites ainsi: «Les Québécois sont pacifiques. Ils n’aiment pas la chicane. Ils n’aiment pas les extrémistes. Ils n’aiment pas la violence, donc il faut s’assurer qu’on garde ça comme c’est là.»
Ses propos ont rapidement été condamnés par tous les chefs des autres principaux partis, après quoi le chef caquiste a présenté ses excuses lors d’une conférence de presse, jeudi.
«Je ne suis pas parfait. Tous les États dans le monde ont un défi d’intégration aux valeurs du pays ou de l’État qui reçoit. Maintenant, il ne faut pas nommer quelles valeurs, parce que ça pourrait créer un amalgame. Effectivement, je n’aurais pas dû nommer de valeurs», a-t-il concédé.
Un discours teinté de préjugés
Quoi qu’il en soit, en utilisant des mots aussi durs, François Legault risque de faire dévier les discussions sur les seuils d’immigration vers un débat de valeurs susceptible de renforcer les préjugés qui existent envers les nouveaux arrivants, note la professeure de sociologie et spécialiste des questions sur l’immigration à l’Université TÉLUQ Mariam Hassaoui.
«L’immigration est le cheval de bataille de François Legault depuis son arrivée au pouvoir, et il en a toujours parlé de façon négative. Mais habituellement, il parle de déclin français ou encore de laïcité. Les mots utilisés, cette fois, m’ont surpris par leur gravité. On parle maintenant de sécurité et de violence. Ça va assurément renforcer les préjugés d’une partie de l’électorat, et c’est grave», regrette-t-elle.
Mariam Hassaoui rappelle d’ailleurs aux plus craintifs que les personnes qui souhaitent venir s’installer au Québec passent par un long processus de sélection.
«Depuis 20 ans, c’est en moyenne 64% de la population immigrante qui est économique, ce qui veut dire qu’elle est scolarisée et qualifiée. De plus, un des nombreux critères pour être admis au Québec ou au Canada, c’est de ne pas avoir de dossier criminel. On sélectionne donc déjà les personnes les moins susceptibles de se criminaliser», souligne-t-elle.
Une étude portant sur la relation entre l’immigration et la criminalité au Canada, publiée en 2014 et intitulée Immigration and Crime: Evidence from Canada, indique d’ailleurs que l’afflux de nouveaux immigrants aurait au pire un effet neutre, au mieux un effet bénéfique sur la sécurité publique au pays.
Un débat nécessaire
Malgré ce dérapage, le débat sur les seuils d’immigration, actuellement de 50 000, demeure un enjeu important de cette campagne, puisque l’accueil de nouveaux arrivants a un impact sur de nombreux enjeux délicats au Québec.
Québec solidaire propose une augmentation dans une fourchette entre 60 000 et 80 000, tandis que le Parti libéral du Québec (PLQ) espère une augmentation à 70 000. Ces deux formations voient en l’immigration une piste de solution pour répondre à la pénurie de main-d’œuvre qui pourrait éventuellement affecter la qualité des services publics et ralentir le développement économique, particulièrement en région.
À l’opposé, le Parti Québécois (PQ) veut baisser ces seuils à 35 000, tout en plafonnant le seuil d’étudiants étrangers, dans l’espoir de protéger la langue et la culture du Québec. Le PQ estime aussi qu’augmenter les seuils risquerait d’amplifier le problème de la crise du logement.
De son côté, la CAQ souhaite maintenir le plafond actuel de 50 000, ce qui constituerait la capacité d’accueil de la province. Un chiffre avec lequel le chef du Parti conservateur du Québec (PCQ), Éric Duhaime, s’est dit à l’aise. Son parti n’a pas présenté de chiffres spécifiques sur la question.
Aucune étude précise ne confirme les arguments de chacun des partis. La question ne fait pas non plus l’unanimité chez les économistes.
Cependant, une chose est certaine: si le nombre d’immigrants qu’accueille le Canada augmente pendant que celui du Québec stagne ou diminue, le poids politique du Québec diminuera au Canada, puisque le nombre de sièges au Parlement canadien est déterminé au prorata de la population de chacune des provinces, rappelle Mariam Hassaoui.