Taxer les ultra-riches comme le propose Québec solidaire, une bonne idée?

Québec solidaire veut imposer une nouvelle taxe aux «ultra-riches». Est-ce que c'est une bonne idée? Cette mesure permettrait-elle de renflouer les coffres de l'État? On en a discuté avec deux experts, qui ne s'entendent pas sur le bien-fondé de la promesse.
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D’abord, que propose Québec solidaire?
Le parti de Gabriel Nadeau-Dubois souhaite imposer une nouvelle taxe sur les fortunes de plus d’un million de dollars en actif net, soit l’ensemble des avoirs d’une personne incluant la valeur de sa propriété (moins l’hypothèque) et l’ensemble de ses placements. Selon Québec solidaire, ce nouvel impôt génèrerait des revenus de 2,65 milliards $ par année à l’État et toucherait 5% des contribuables.
«Résultat des courses: 95% des Québécois ne paieront rien de plus. Seul le 5% le plus riche devra payer un peu plus. Ce n’est pas un impôt sur les riches, c’est un impôt sur les ultra-riches», a déclaré Gabriel Nadeau-Dubois, mardi.
La mesure prévoit un impôt de 0,1% sur les fortunes de $1 millions $ à 10 millions $, 1% sur $10 millions $ à 99 millions $ et 1,5% sur les actifs nets de plus de 99 millions $. Ainsi, une personne à l’actif net de 2 millions $ devrait payer 1000$ au fisc québécois, puisque le premier million est exempté d'impôt.
Voici les 3 avantages de cette proposition, selon Olivier Jacques, professeur adjoint en économie politique et finances publiques à l’Université de Montréal
1. C’est un revenu substantiel dans les coffres de l’État
Les revenus de 2,65 milliards $ qu’engendrerait cette nouvelle taxe seraient bénifiques pour l’économie du Québec, affirme Olivier Jacques, qui est en faveur de «l’imposition de la richesse». Les chiffres avancés par Québec solidaire devraient toutefois être vérifiés, souligne-t-il.
«Il y a beaucoup de gens dont la valeur nette a considérablement augmenté dans les 20 ou 30 dernières années, et si on veut augmenter les revenus de l’État, aller chercher les revenus où ils ont augmenté, c’est une bonne stratégie», explique-t-il.
Peut-on considérer qu’une personne avec un actif net d’un million est «ultra-riche»? Difficile de répondre. Mais pour Olivier Jacques, il est néanmoins «évident» que la mesure de Québec solidaire ne cible pas uniquement les «ultra-riches», et c’est tant mieux.
«On doit aussi comprendre que pour générer du contenu avec la richesse, ça ne peut pas se faire uniquement avec les très très riches. Si on veut générer des revenus fiscaux, il faut que plus de personnes payent.»
Pour le professeur, il est «évident» que plus de 5% de la population québécoise possède plus d’un million $ en actif net. Selon lui, le million est rapidement atteint en prenant en compte la valeur des biens immobiliers, des régimes de retraite, des REER, des CELI et des actions.
2. Personne ne s’appauvrit
Si l’impôt aux «ultra-riches» était mis en place, personne n’en serait appauvri, croit le professeur Olivier Jacques.
«Il faut arrêter de capoter avec ça. Si vous avez un million en actif, il génère plus de 1% par année. La taxe de 0,1% sur le million ne fait pas une grosse différence par rapport aux rendements de capital, même chose pour les placements.»
Le célèbre économiste français Thomas Piketty, expert en inégalités économiques, abonde dans le même sens. Selon lui, le rendement du capital est en général supérieur au taux de croissance de l’économie, ce qui explique pourquoi les inégalités entre riches et pauvres se cessent de s’accroitre.
Ce n’est donc pas un impôt entre 0,1% et 1,5% qui risque d’appauvrir les riches.
3. C’est une faible imposition
On le sait: quand les taxes augmentent, des personnes riches usent de stratégie d’évitement fiscal – voire d’évasion fiscale, qui est illégale – pour protéger leurs avoirs.
Une personne détenant une richesse nette d’un million $ n’aurait toutefois pas vraiment intérêt à aller mettre cet actif-là ailleurs pour pouvoir épargner 1000$ par an, avance le professeur. «Ce n’est pas des montants faramineux non plus mis à part pour les très très riches», affirme-t-il.
En revanche, certaines personnes possédant des fortunes bien plus imposantes qu'un million $ en actifs nets pourraient être tentées par l’évasion fiscale, qui consiste à placer ses richesses dans des juridictions où l’on est moins imposé sans pour autant déménager. «C’est évident qu’il se produirait des formes d’évasion fiscale pour réagir à cette taxe-là.»
On entend aussi parfois dire que si les riches sont plus taxés, ils pourraient être tentés de déménager dans une province voisine pour payer moins d’impôt. Olivier Jacques n'y croit pas.
«Le déplacement des personnes c’est un épouvantail, ça n’existe pas. Des études assez solides faites par des chercheurs américains ont montré qu’il n’y a pas de déplacements de riches à cause de l’impôt.»
Voici 3 limites à la proposition, selon Robert Gagné, professeur titulaire au département d’économie appliquée de HEC Montréal
1. Beaucoup de bureaucratie pour peu de revenus
Les revenus potentiels de 2,65 milliards $ représentent un peu moins de 2% du budget total du Québec, qui est de 140 milliards $. Pour le professeur Gagné, le jeu n’en vaut donc pas la chandelle.
Pour lui, la mesure fiscale proposée par Québec solidaire est pratiquement «impossible» à mettre en place dans notre système actuel, puisqu’il est très difficile d’évaluer la valeur des actifs année après année, comparativement aux revenus annuels.
«Les gens détiennent des actifs dont on a pas de valeur objective. Des propriétaires devraient faire évaluer leur municipalité chaque année? Et ceux qui possèdent une petite PME? C’est difficile à évaluer tant qu’on ne l’a pas vendue. On passerait notre temps à tout faire évaluer!»
2. On ne s’attaque pas aux «ultra-riches»
Le professeur de HEC estime qu’un actif net d’un million $ n'est pas nécessairement synonyme de richesse. Des personnes retraitées qui ont mis de l'argent de côté toute leur vie pourraient, par exemple, être visées par cette mesure.
«Québec solidaire dit que quelqu’un qui a mis de côté un million $ en actifs pour sa retraite est ultra-riche. Avec un REER d’un million, ça fait des revenus entre 50 000$ et 60 000$ par an à la retraite, ça va répondre à ses besoins de base mais ce n’est pas quelqu’un d’ultra-riche», fait valoir le professeur.
«Prenez un couple de retraités depuis 20 ans. Ils peuvent avoir des revenus de retraite modestes, mais posséder une maison qui vaut aujourd’hui 1,5 million. Ce n’est pas parce qu’ils sont riches, mais quand ils l’ont achetée il y a 30 ans elle était à 50 000$», poursuit-il.
Notons cependant que la valeur de la maison serait divisée entre les deux personnes formant le couple, puisque cette taxe s'applique à l'actif net par individu.
3. Les contribuables s’ajustent aux nouvelles règles
Québec solidaire pourrait avoir de la difficulté à réaliser les gains souhaités, étant donné que les contribuables sont naturellement portés à optimiser leur situation fiscale lorsque les règles changent en leur défaveur. L’optimisation fiscale, aussi appelée évitement fiscal, est d’ailleurs tout à fait légale.
«De la même manière que les consommateurs changent leurs habitudes quand le coût du panier d’épicerie monte, les contribuables font trouver le moyen d’optimiser leur situation fiscale pour payer le moins d’impôt possible.»
Les revenus de 2,65 milliards $ − qui représentent un idéal basé sur les estimations des solidaires − pourraient alors être revus à la baisse si ce scénario se concrétise.