Compenser les GES des vols en avion grâce aux crédits carbone : une fausse bonne idée? | 24 heures
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Compenser les GES des vols en avion grâce aux crédits carbone : une fausse bonne idée?

Image principale de l'article Compenser les GES avec les crédits carbone
Photomontage: Marilyne Houde

Plusieurs compagnies aériennes vous proposent désormais de compenser vos émissions de gaz à effet de serre (GES) au moment d'acheter votre billet d’avion. Est-ce une mesure efficace et durable? Oui... et non. Plusieurs éléments sont en prendre en considération pour prendre une décision éclairée.  

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Plutôt que de diminuer ses trajets en avion, Emmanuel Bernier préfère compenser ses émissions de gaz à effet de serre (GES). Pour lui, «c’est le meilleur des deux mondes».  

«Je peux continuer à voyager tout en réduisant ou en compensant complètement les effets néfastes de mes vols», précise celui qui réalise deux voyages en avion chaque année, en plus de voyages à l’intérieur du Québec par d’autres modes de transport. 

L’étudiant de 34 ans fait affaire avec l’entreprise Compensation CO2 Québec, qui lui permet à la fois de calculer ses émissions de GES et d’acheter des arbres que l’entreprise plante au coût de 4$ chacun. Un certificat est remis pour chaque vol compensé.  

«L’année passée, je suis allé en Italie. J’ai compensé mon voyage en plantant 8 arbres, ce qui a permis de séquestrer environ 1,68 tonne de CO2», illustre-t-il. 

Depuis qu’il a découvert cette avenue en 2020, un peu avant la pandémie, Emmanuel a fait planter 38 arbres en tout. 

Qu’est-ce que c’est, un crédit carbone? 

Les crédits carbone, aussi appelés crédits compensatoires, sont une unité de mesure équivalente à une tonne de CO2. En achetant un crédit carbone (généralement entre 15 $ et 60 $ la tonne), comme l’a fait Emmanuel Bernier, on investit dans des projets visant à réduire les GES dans l’atmosphère.  

Plusieurs types de projets de compensation carbone sont offerts aux particuliers comme l'énergie renouvelable, la captation de méthane et la lutte contre la déforestation. Le plus répandu demeure toutefois la plantation d'arbres: pendant sa croissance, l’arbre capture le carbone dans l’air et l’emmagasine dans son tronc. 

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Une portée difficile à évaluer

Si le concept semble séduisant en théorie, il l’est un peu moins en pratique. C’est qu’à l’heure actuelle, peu de normes entourent la vente de crédits carbone aux particuliers. 

«La qualité des crédits est très variable, estime Charles Séguin, professeur au département des sciences économiques de l’ESG UQAM. C’est difficile pour le consommateur de connaître la qualité d’un crédit carbone proposé par les compagnies aériennes au moment de l’achat du billet parce que c’est peu réglementé par les États.» 

La notion de permanence – soit l’efficacité à long terme de notre geste – est aussi à prendre en compte. Quand on achète un crédit carbone, on ne compense pas nos émissions instantanément. Un arbre prendra des décennies à capturer la quantité de CO2 émise dans un cours laps de temps.  

L'achat de crédits carbone n’est tout simplement pas suffisante à long terme pour limiter les effets de l’industrie du tourisme sur le climat, d’après Pascale Marcotte, professeure titulaire et directrice du certificat en tourisme durable de l’Université Laval. 

«Il faut que le changement de comportement autour du voyage se fasse au-delà de l’achat des crédits compensatoires. C’est un peu comme quand on achetait une indulgence à l’église à l’époque pour qu’un pêché soit pardonné. Il y a de la bonne volonté, mais ça ne fonctionne pas complètement», compare-t-elle.

AFP

Compenser tout en étant avisé 

Si vous devez voyager, les crédits compensatoires peuvent aider en partie à réduire votre impact. 

Compenser ses GES émis pendant un voyage en avion peut être un geste concret pour le climat, à condition de bien étudier les variables des options qui s’offrent à nous. 

Selon le professeur Charles Séguin, il est important de miser sur les crédits qui se vendent entre 20$ et 30$ la tonne de CO2. Généralement, moins le crédit est cher, plus la qualité du produit sera moindre.  

Ensuite, mieux vaut savoir à quel endroit les arbres seront replantés. 

«Si on est dans des pays plus proches que nous, comme en Amérique du Nord, le cadre légal peut être plus favorable à ce qu’on s’assure que les arbres qui seront plantés le seront pour une longue période de temps», ajoute l'expert en développement durable.  

Si vous ne souhaitez pas acheter directement de crédit carbone auprès de votre compagnie aérienne, vous pouvez vous tourner vers un fournisseur de crédits carbone comme Planetair, Carbone boréal ou Ecotierra, par exemple. Une enquête réalisée en 2020 par Protégez-vous leur a respectivement décerné les meilleures notes en se basant sur plusieurs critères dont la pérennité des opérations.  

«Il faut que l’organisme avec lequel on fait affaire ait une certaine perspective à long terme. Si l’entreprise fait faillite ou que l’arbre finit par être coupé ou qu’il y a un feu de forêt par exemple, le carbone retourne dans l’atmosphère. C’est possible que la compensation ne soit que temporaire», avertit Charles Séguin. 

Et si l’État s’en mêlait? 

La décision d’acheter ou non un crédit carbone pour compenser ses GES ne devrait pas revenir au consommateur, selon le professeur.  

«Si les émissions de gaz à effet de serre du transport aérien étaient incluses dans un système de tarification de carbone étatique, ce ne serait plus nécessaire pour le consommateur de se poser la question.» 

Si cette réforme a lieu, elle ne se fera pas sans heurts pour les consommateurs: il faudra s’attendre à ce que les billets d’avion coûtent plus cher.  

«Il faudrait alors que le consommateur se pose la question: compte tenu de mon budget, est-ce que je peux continuer à voler autant?», conclut Charles Séguin. 

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