18$ de l'heure pour vivre dignement: à quand le revenu viable plutôt que le salaire minimum?

Avez-vous déjà entendu parler du revenu viable? Il s’agit du salaire qui permet d’atteindre un niveau de vie digne et sans pauvreté selon la région que l’on habite. Bien que le salaire minimum augmente d’année en année, il ne suit plus la hausse abrupte du coût de la vie. Le revenu viable pourrait, en théorie, être une solution aux Québécois plus vulnérables.
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Pour être en mesure de payer toutes ses factures et de vivre dignement, un Québécois devrait pouvoir gagner un salaire horaire minimum moyen de 18$ au Québec, selon les estimations des chercheurs de l’Institut de recherche et d’information socioéconomiques (IRIS) qui analysent la question depuis plusieurs années.
«Au Québec, environ une personne sur cinq vit sous le seuil du revenu viable», signale Julia Posca, chercheuse à l’IRIS.
Même si le salaire minimum est passé de 13,50$ à 14,25$ l’heure en mai dernier, il est encore «loin d’être suffisant pour atteindre le niveau de revenu viable», selon la chercheuse.
Passer d’un salaire horaire de 14,25$ à 18$ fait d’ailleurs toute la différence. Alors qu’un employé à temps plein qui travaille 40 heures par semaine au salaire minimum gagne 28 500$ annuellement, il toucherait plutôt 36 000$ si son salaire horaire était de 18$.
Un salaire minimum de 18 $ l’heure, c’est d’ailleurs ce que réclame la coalition Minimum 18, qui regroupe des acteurs des milieux communautaires et syndicaux de la province.
«Nous sommes d’avis qu’une hausse du salaire minimum à 18 $ l’heure constitue le meilleur moyen pour prémunir [les travailleuses et travailleurs à faible revenu] contre la hausse actuelle du coût de la vie», peut-on lire dans le manifeste de la campagne.
Comment en arrive-t-on à 18$ l’heure?
Mais attention, ce ne sont pas tous les Québécois gagnant 18$ l’heure qui peuvent aspirer à vivre dignement: le revenu viable varie en effet selon les régions et le coût de la vie.
«C’est un gros saut par rapport au salaire minimum, mais ça demeure un revenu très modeste qui n’est pas suffisant dans toutes les régions du Québec», nuance Julia Posca.
À titre d’exemple, le revenu viable calculé pour une personne seule est de 25 128$ à Saguenay comparativement à 34 814$ à Sept-Îles. À Montréal, il est de 29 577$ pour une personne seule, alors qu’il s’élève à 65 033$ pour deux adultes avec deux enfants fréquentant un CPE.
Ce calcul se base sur un panier de biens et de services de base incluant l’alimentation, les vêtements, le logement, le transport et les frais de santé.
Le salaire minimum est «arbitraire»
Au Québec, le gouvernement fixe le salaire minimum pour qu’il se situe à 50% du salaire horaire moyen. C’est pour cette raison que le salaire minimum a augmenté plus rapidement au cours des dernières années.
La décision de garder le salaire minimum à la moitié du salaire horaire moyen demeure néanmoins «arbitraire», selon Julia Posca.
«Le gouvernement pourrait tout à fait décider que le salaire minimum est déterminé selon le revenu viable. Il n’y a rien qui l’empêche de le faire si c’est son objectif de combattre la pauvreté.»
Contrairement au salaire minimum, qui repose uniquement sur une moyenne, le revenu viable prend en compte «le revenu disponible nécessaire pour couvrir les besoins primaires d’une famille en plus d’avoir une marge de manœuvre», fait-elle valoir.
Malgré les critiques, le ministre du Travail, Jean Boulet, ne sentait pas le besoin l’an dernier d’augmenter de manière importante le salaire minimum au Québec. En entrevue avec La Presse Canadienne, il affirmait que la province faisait bonne figure par rapport au reste du Canada pour ce qui est du revenu disponible, grâce notamment aux services de garde subventionnés et au crédit d’impôt pour solidarité.
En juin dernier, le gouvernement du Québec a annoncé la mise en place du Programme de revenu de base. Cette initiative offrira, à compter du 1er janvier prochain, des prestations plus généreuses aux personnes ayant des contraintes sévères à l’emploi.
L’Ontario, précurseur en matière de revenu viable
Depuis 2020, l’organisme à but non lucratif Ontario Living Wage Network, qui milite pour que le salaire minimum de la province reflète le coût de la vie, certifie des entreprises qui rémunèrent leurs employés selon le revenu viable.
D’autres organisations du même type sont apparues en Alberta et en Colombie-Britannique. Si le phénomène est encore très timide au Québec, des employeurs s’y intéressent de plus en plus.
«De manière anecdotique, l’IRIS se fait contacter périodiquement, presque toutes les semaines, par des organisations et des entreprises qui sont curieuses d’en savoir plus sur le revenu viable. Elles se demandent surtout comment on calcule ça», confie Julia Posca de l’IRIS.
«Est-ce que c’est marginal? J’aurais tendance à dire que oui», nuance-t-elle.
La pénurie de main-d'œuvre aide à la cause
Pour la chercheuse, le contexte actuel de pénurie de main-d’œuvre est une conjoncture favorable pour offrir un salaire au-dessus du salaire minimum, question de stimuler l’attraction et la rétention du personnel.
«Si on [avait] en plus une composante régionale pour le salaire minimum qui tenait compte du coût de la vie et de l’objectif de sortir de la pauvreté, là on aurait un outil qui permettrait de s’assurer que les entreprises offrent un salaire décent à leurs employés», explique-t-elle.
En 2021, 205 400 Québécois étaient rémunérés au salaire minimum, soit 4,8% des emplois. Ce chiffre, à la hausse entre 2004 à 2018, a diminué de 32% au cours des trois dernières années.
«Il y a 200 000 personnes au salaire minimum, mais il y a 800 000 personnes payées en bas de 15$ de l’heure. Ça commence à faire beaucoup de travailleurs qui sont au bas de l’échelle», déplore la chercheuse.