Révolution dans le monde de l'art: comment des artistes d'ici profitent des NFT
Avec les NFT, un monde de possibilités et d’opportunités s’offre aux artistes numériques d’ici. Si les portes des galeries d’art leur sont pour la plupart toujours fermées, c’est la planète tout entière qui s’est ouverte à eux, mais surtout à leurs œuvres. Incursion dans le monde métamorphosé de l’art numérique.
«Un des premiers artistes à qui j’ai parlé en commençant à collectionner [des NFT] vendait des copies d’une œuvre numérique à 15 ou 20$. Dès qu’il a créé le NFT de cette même œuvre, il l’a vendue à 5000$», confie d’emblée Yannick Folla, qui possède l’une des 100 collections de NFT au monde dont la valeur est la plus grande.
Les jetons non-fongibles (JNF), ou non-fongible tokens, communément appelés NFT, sont ni plus ni moins que des certificats d’authentification numériques.
Intégrés à une blockchain, comme la cryptomonnaie, ils permettent de certifier si un «item numérique», comme un GIF ou une œuvre 3D, est l’original, ce qui était autrefois impossible avec les œuvres d’art numérique, explique le Montréalais.
Ce qui détermine le prix que pourra toucher un artiste pour son œuvre: le principe de l’offre et la demande. La rareté de l’œuvre ou l’engouement qu’elle ou l’artiste suscite est susceptible de faire monter la valeur, parfois de plusieurs milliers de dollars – ou millions même, à l’échelle mondiale.
Un game changer pour les créateurs
Pour Yannick Folla, qui collectionne des NFT depuis janvier 2021, alors que leur popularité commençait à exploser, il ne fait aucun doute: cette technologie a le potentiel de changer la vie des créateurs. Un avis que partage l'artiste et conceptrice dans le domaine des jeux vidéo Donglu Yu, qui considère les NFT comme un game changer.
«C’est essentiel pour des artistes, souvent pigistes, de pouvoir s’exprimer et montrer nos propres univers et en vivre sans que ce soit toujours pour quelqu’un d’autre», affirme-t-elle.
C'est là que réside l’un des principaux avantages des NFT: ils s’échangent en ligne et de manière directe. Sur des plateformes arrimées à la blockchain comme Nifty Gateway, Superare ou OpenSea, les artistes peuvent eux-mêmes afficher leurs œuvres et déterminer le prix de vente.
Il s’agit d’une véritable révolution dans la distribution de l’art, insiste Alexy Préfontaine, alias Aeforia, un artiste 3D montréalais.
«Dans le monde de l’art traditionnel, un artiste va créer une peinture, va s'afficher avec une galerie qui va le représenter et montrer l’œuvre dans des expositions. Mais maintenant, avec les NFT, tu n’as plus besoin d’intermédiaire qui va gérer ton travail», se réjouit-il.
L’artiste vend lui-même ses œuvres sur la plateforme Superare, sans devoir faire affaire avec une galerie.
«Dès le premier jour [où il a mis des œuvres en vente sur Superare], j'avais déjà vendu pour une belle somme qui me paraissait, à l’époque, dans ma tête, complètement astronomique. C'était à peu près 3000$.»
Alycia Rainaud, une artiste numérique qui s’est fait connaître en ligne pour ses créations sur le thème de la santé mentale, profite également de la popularité des NFT: elle peut désormais vivre de son art.
«Ça m'a donné une indépendance qui n'est pas négligeable», affirme l’artiste qui devait autrefois se contenter de vendre, à petits prix, des impressions de ses œuvres sur des t-shirts ou des objets du quotidien.
Au-delà des frontières
Les NFT changent non seulement les règles du jeu, ils permettent aussi aux artistes québécois de transcender les frontières avec leur travail. Avec les NFT, les artistes s'adressent nécessairement à une clientèle internationale.
Avec son travail, un artiste peut donc rapidement se bâtir une grosse audience. En ce sens, les NFT peuvent servir de voie rapide vers le succès, estime Yannick Folla, qui est également l’un des co-fondateurs de la 0xSociety, la première galerie physique de NFT au Canada, située sur le site historique du New City Gas.
«On n'a pas besoin de dépendre des galeries locales, puis de monter tranquillement les échelons pour espérer rentrer dans les festivals d'art», souligne-t-il.
Et le plus beau avec l’art numérique: les artistes peuvent voir leur travail exposé en même temps partout dans le monde, dans des galeries comme la 0xSociety, en plus d’afficher eux-mêmes leurs œuvres en ligne.
Les artistes montréalais du «crypto art» font d’ailleurs bonne figure sur la scène internationale, assure Alexy Préfontaine, alias Aeforia. «On est une plaque tournante de l’art numérique», lance-t-il.
Avec sa galerie 0xSociety – ainsi qu’un programme de soutien aux artistes émergents –, Yannick Folla souhaite justement qu’encore plus de créateurs québécois arrivent à gagner leur vie grâce à leur art et aux NFT.
Avec tous les designers de jeux vidéo, les designers graphiques et les spécialistes des effets spéciaux que compte Montréal, il ne manque pas de talent, souligne-t-il.
Pas juste pour l’art numérique
C’est bien beau tout ça, mais est-ce que c’est possible de vendre une peinture ou une sculpture en NFT, ou sont-ils plutôt réservés à l’art numérique? C’est tout à fait possible.
Baku, un duo d’artistes originaires de l’Estrie qui crée des tableaux de résine et de peinture diluée, en est la preuve.
«C’est un travail complet maintenant, d’avoir le volet numérique de l’œuvre à faire et d’avoir du revenu de ça aussi», raconte Dominique G. Lemire, qui explique avoir repensé sa façon de créer avec sa compagne, Stéphanie Lamontagne.
Pour chacun des tableaux qu’il produit, le duo imagine une déclinaison numérique, qui est constitué de l’œuvre numérisée à laquelle des modifications sont apportées à l’aide d’un logiciel.
«C’est comme une contrainte créative de plus à exploiter. Ça rend nos œuvres vivantes et complètes», mentionne Stéphanie Lamontagne.
Quel avenir pour les NFT... et l’art?
Même si les NFT permettent à des artistes d’être mieux rémunérés, leurs impacts sur le monde de l’art ne sont pas que positifs, soutient la professeure en comptabilité à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM (ESG) Annie Lecompte.
«On est train de basculer dans le capitalisme pur, où tout ce que je veux vendre, c’est possible de le vendre», se désole-t-elle, faisant référence aux entreprises de toute sorte qui se servent des NFT pour faire de l’argent.
La Ligue nationale de hockey (LNH), par exemple, vend les NFT de chacune de ses parties au plus offrant, alors que les images de singe à collectionner du Bored Ape Yacht Club, sorte de version hyper moderne des timbres ou des cartes de hockey, s’achètent pour un minimum de 100 000 dollars américains.
Elle souligne également que le marché des NFT est toujours risqué, puisqu’il est lié au monde de la cryptomonnaie, «un milieu qui est très volatil, encore plus parce qu'il n’y a pas de réglementation», souligne-t-elle.
Pas facile, non plus, de prévoir ce que l’avenir réserve aux NFT. D'ici une dizaine d’années, réussiront-ils, par exemple, à sortir de leur niche et à attirer un plus large public? Mélissa Fortin, elle aussi professeure en comptabilité à l’ESG, en doute fortement.
«Une œuvre, je veux la toucher, la contempler, de l’avoir seulement numérique, ça lui fait perdre de son essence», affirme-t-elle. Même si les jeunes sont davantage intéressés et attirés par le «crypto art», elle doute qu’il parvienne à devenir plus mainstream.
Malgré ses réserves face aux NFT et les doutes quant à son avenir, Annie Lecompte voudrait par ailleurs que des programmes soient mis en place pour aider les artistes d’ici à tirer leur épingle du jeu dans cet univers.
Pour elle, «légalement parlant, il n'y a pas vraiment de socle solide, alors il faudrait un programme d’éducation qui pourrait aider les artistes à défrayer les coûts, [mais aussi] les aider à se lier avec des gens qui vont programmer leurs NFT».