Faute de place, les centres d’hébergement pour femmes en situation d’itinérance doivent refuser des milliers de demandes | 24 heures
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Faute de place, les centres d’hébergement pour femmes en situation d’itinérance doivent refuser des milliers de demandes

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Photomontage: Marilyne Houde

La demande dans les centres d’hébergement pour femmes est remontée en flèche après avoir grandement diminué de 2020 à 2021. En manque de ressources, les services d’aide se résignent à refuser les demandes d’aide de près de 25 000 femmes. Et cette situation ne serait pas sur le point de se résorber. 

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De 2019 à 2020, les cinq maisons d’hébergement qui composent le Partenariat pour la prévention et la lutte à l’itinérance des femmes (PPLIF) ont dû refuser des demandes de femmes 23 674 fois. «C’est pour ça qu’on a créé le partenariat il y a cinq ans. On s’est rendu compte qu’entre nos cinq services, on arrivait à 35 000 refus annuellement.» 

Si la demande a drastiquement diminué de 2020 à 2021, les maisons sont restées à leur capacité maximale, occasionnant 15 487 refus.  

C’est à partir d’avril 2022 que la sollicitation de ces services est revenue à un niveau comparable à ceux d’avant la pandémie. D’avril à octobre, le centre d’hébergement l’Auberge Madeleine a dû refuser pas moins de 4043 femmes.

«On a l’habitude de refuser 6000 à 7000 femmes par année, alors que la maison d’hébergement compte seulement 26 lits», se désole la directrice générale de l’Auberge Madeleine, Mélanie Walsh, qui rappelle que le problème n’est pas nouveau. 

La directrice générale de l’Auberge Madeleine, Mélanie Walsh.

Courtoisie

La directrice générale de l’Auberge Madeleine, Mélanie Walsh.

L’itinérance invisible 

Le manque de fonds pour les ressources pour femmes s’explique par le fait que les projets sont orientés vers la majorité des personnes en situation d’itinérance visible : les hommes.  

L’itinérance féminine, souvent cachée, échappe souvent à cette analyse qui se base sur des mécanismes comme le dénombrement, explique Mélanie Walsh : «Il y a une raison pourquoi les femmes restent invisibles, elles ne veulent pas être affichées comme en situation d’itinérance pour des raisons de sécurité. Elles savent que si on remarque qu’elles sont vulnérables, elles pourraient être la cible de violence. Quand on utilise le dénombrement, on sous-estime le nombre de femmes qui n’ont pas de domicile fixe.» 

Ce sont surtout les femmes les plus vulnérables qui reviennent à l’Auberge Madeleine, alors qu’on les voyait peu dans les maisons d’hébergement durant la pandémie. «On reçoit beaucoup plus de demandes de femmes trans ou de femmes sous curatelles. Une grande partie de ces femmes nous contactent après un épisode de violence conjugale», explique la directrice générale.  

Elle explique cette recrudescence par l’assouplissement des mesures sanitaires, mais aussi par l’augmentation du coût de la vie et celui des inégalités sociales découlant de la pandémie. «Beaucoup de ces femmes n’ont aucun revenu. C’est extrêmement difficile pour elles de se trouver un logement abordable, mais aussi salubre et sécuritaire», déplore Mélanie Walsh. La crise du logement est aussi un facteur expliquant la demande grandissante. 

L'Auberge Madeleine, à Montréal.

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L'Auberge Madeleine, à Montréal.

Voir au-delà des chiffres 

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Le nombre de refus presque deux fois moins élevé de 2020 à 2021 n’est pas à prendre comme une bonne nouvelle selon le PPLIF. Le contexte pandémique a poussé les femmes à moins demander d’aide, sans pour autant réduire les violences dont elles sont victimes, affirme Mélanie Walsh. 

«Pendant la pandémie, les femmes se sont terrées. Avec le couvre-feu et les mesures sanitaires, beaucoup sont restées dans des situations précaires ou dangereuses. Le nombre de féminicides qui ont eu lieu depuis 2020 en témoigne.» 

Un autre facteur qui pourrait expliquer une partie de cette baisse d’achalandage est l’accès à la Prestation canadienne d’urgence (PCU) pour une portion des femmes en situation d’itinérance, ce qui leur permet de louer des chambres d’hôtel plutôt que de faire appel aux maisons d’hébergement.  

Lorsqu’il est question d’itinérance des femmes, Mélanie Walsh insiste à «voir au-delà du chiffre». Déjà incapables de répondre à la demande, les maisons du PPLIF ne pourront aider qu’une infime partie des femmes qui feront appel à elles cette année.  

«On essaie de faire des miracles» 

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L’inflation touche durement les femmes précaires, mais aussi les ressources communautaires qui leur viennent en aide. Mélanie Walsh avoue que la maison qu’elle dirige peine à joindre les deux bouts avec des budgets qui ne sont pas majorés au coût de la vie. 

«On tourne 24 heures sur 24 et on sert trois repas par jour à l’Auberge Madeleine. L’inflation du coût des aliments nous impacte de plein fouet. On essaie de faire des miracles, mais il y a trop peu de ressources.» 

La pénurie de main-d’œuvre est un autre obstacle pour répondre à la demande immense. «Les salaires dans le communautaire ne sont pas compétitifs. On a de la difficulté à recruter et à retenir la main-d’œuvre qualifiée nécessaire pour faire fonctionner le centre d’hébergement sans interruption», dit la directrice.  

Le manque de ressources non mixtes 

La meilleure façon d’aider les femmes en situation d’itinérance demeure la création de places d’hébergement non mixtes. «Elles sont très réticentes à se rendre aux ressources mixtes et les gros centres d’hébergement d’urgence. Les femmes ont souvent déjà été victimes de violence et ne s’y sentent pas en sécurité», nuance Mélanie Walsh. 

Selon le 2e portrait de l’itinérance publié par le gouvernement du Québec, le taux d’occupation des ressources non mixtes s’élève à 94 % contrairement à 67 % pour les mixtes. Dans ces dernières, les lits pour hommes sont souvent complets alors que les places pour femmes restent vacantes. 

Si le Plan d’action en itinérance de la ville de Montréal a adopté l’analyse différenciée entre les hommes et les femmes comme principe d’analyse, le PPLIF espère que cette volonté se traduira en plus d’actions concrètes dans le futur.  

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