Le nombre d'évictions «forcées» a explosé de 508% dans les régions en un an, selon un organisme

Le nombre d’évictions «forcées» est passé de 93 à 566 dans toutes les villes en dehors de Montréal et Québec dans la dernière année, une explosion de 508%, révèle un nouveau rapport du Regroupement des comités logements et associations de locataires du Québec (RCLALQ).
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«Les voyants sont au rouge dans toutes les régions du Québec», a déclaré l'association qui milite pour la défense des droits des locataires, au moment de présenter mardi matin son rapport Déloger pour s’enrichir. Ce dernier vise à mettre en lumière les évictions «forcées» que connaissent certains locataires. L'organisme inclut dans cette définition les reprises de logement, les évictions, les «rénovictions» (éviction sous prétexte de travaux majeurs) et les pressions indues de la part des propriétaires.
Le nombre de cas d'évictions «forcées» serait passé de 1243 en 2021 à 3110 en 2022, une augmentation de 150% en un an, d'après les chiffres compilés par le RCLALQ. «C’est la plus forte hausse que nous ayons jamais enregistrée dans une compilation annuelle», indique le rapport, en raison notamment de ce phénomène qui s’étend partout au Québec.
Selon le RCLALQ, la crise du logement n'est pas sur le point de ralentir, bien au contraire: elle s’étend maintenant en dehors des grands centres urbains comme Montréal et Québec. 24 heures constatait déjà dans un dossier paru en juin dernier que l’absence de logements était critique dans plusieurs villes en région comme Rouyn-Noranda et Rimouski, avec des taux d’inoccupation frôlant le 0%.
Pour le porte-parole du RCLALQ, Martin Blanchard, ce rapport illustre que la spéculation immobilière s’est déplacée en région dans les dernières années. Et ce n’est que la pointe de l’iceberg: «Nos chiffres sont conservateurs: on ne parle pas de toutes les régions, car les comités logements n’ont pas assez de ressources pour récolter ces données», explique-t-il.
En effet, le RCLALQ ne possède les données que pour Valleyfield, Beauharnois, les rives-sud de Montréal et de Québec, Brome-Missisquoi, Granby et Appalaches-Beauces Etchemin.
Avec le manque de logements abordables sur le marché actuel, le RCLALQ exige qu’un suivi soit effectué par le TAL un an après chaque reprise de logement ou éviction pour éviter les abus. L'organisme souhaite aussi la création d'un moratoire pour renforcer le mécanisme de protection des locataires.
Voici quelques autres données du rapport :
-À Granby, le loyer moyen d'un locataire au moment de recevoir un avis d'éviction est de 650$. Le loyer moyen pour un appartement de la même grandeur est à 1213$ sur le site Kijiji.
-Partout au Québec, les reprises de logement au Tribunal administratif du logement (TAL) sont passées de 344 à 834 entre 2020 et 2022, une augmentation de 142%.
-Partout au Québec, les cas de «rénovictions» sont passés de 148 à 443 entre 2020 et 2022, une augmentation de près de 200%.
-Les demandes d’éviction au TAL pour agrandissement, subdivision et changement d’affectation sont passées de 99 à 185 entre 2020 et 2022, une augmentation de 87%.
Des conséquences importantes
Le rapport souligne aussi les conséquences qu'une éviction «forcée» peuvent avoir sur la vie d'un locataire. «Voici les autres impacts tragiques constatés par les chercheurs et les intervenants : itinérance, détresse psychosociale, suicide et diminution de l’espérance de vie», énumère le RCLALQ.
Lors de la conférence de presse du regroupement, trois locataires de Granby ont témoigné de leur difficulté avec un nouveau propriétaire, une situation qui leur a occasionné du stress et de l'anxiété. Ils affirment que ce propriétaire est un important investisseur immobilier montréalais qui a acheté une centaine de logements dans cette ville de la région des Cantons-de-l’Est.
Dans les derniers mois, il a offert à chaque locataire une somme d’argent pour reprendre leur bail. Le prix des logements de ceux qui ont accepté de quitter ont été augmenté de 1000$ après leur départ, selon les trois locataires. «Ce n’est pas l’argent qui compte: on veut seulement protéger nos acquis et notre logement à un prix raisonnable», s'insurge Stéphane, un des locataires.
Selon ce dernier, après le dépôt d’une mise en demeure commune, le propriétaire n’aurait maintenant plus le droit d’«harceler» les locataires pour le rachat du bail.
Incapable de se payer un logement dans les quartiers centraux des centres urbains, des locataires moins nantis quittent alors progressivement vers les régions où les conséquences inhérentes à la crise du logement se feront sentir.
Pour arriver à ses conclusions, le RCLALQ a compilé les cas de locataires qui ont pris contact avec des comités logement entre le 1er juillet 2021 et le 30 juin 2022 pour des situations de reprise de logement, d’éviction et de «rénoviction».
L’organisme a aussi compilé le nombre de demandes de reprises de logement et de fixations de loyer déposées au TAL depuis 1990.
«Des données qui ne reflètent pas la réalité»
Ce rapport ne fait cependant pas l’unanimité : moins d’une heure après sa publication, l’Association des propriétaires du Québec (APQ) a fait une sortie publique pour s’«insurger» contre ce document qui ne va que créer encore «plus de tensions» dans le marché locatif québécois, accuse-t-elle.
«Le RCLALQ utilise un petit nombre de locataires qui sont venus demander des informations afin de généraliser une situation qui n’existe que peu au Québec», juge l’APQ.
L’organisme tient à rappeler que le Québec possède les droits «les plus protectionnistes» en Amérique du Nord en lien avec l’éviction et la reprise de logement. L’APQ souligne que la contestation pour une reprise ou une éviction a augmenté de près de 150% depuis 2018, passant de 1061 à 2540.
«La possession d'un immeuble c'est comme faire son potager: on le prépare, on sème, on l'entretient et on désherbe... Mais contrairement à votre potager, au moment de vouloir récolter votre dur labeur, un mur se dresse: vous devez demander l'autorisation pour cueillir et manger vos légumes!», illustre l’APQ. Par cette image, l’association souhaite démontrer qu’il est difficile de gérer un immeuble au Québec en raison d’un cadre légal très restrictif envers les propriétaires.