Voici pourquoi l’idée de fermer le chemin Roxham n’est pas réaliste | 24 heures
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Voici pourquoi l’idée de fermer le chemin Roxham n’est pas réaliste

Image principale de l'article Pourquoi l’idée de le fermer n’est pas réaliste?
Antoine Lacroix

Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, demande au gouvernement de Justin Trudeau de fermer le chemin Roxham d’ici 30 jours. Mais est-ce vraiment réaliste de penser fermer ce passage?

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«Un pays à des frontières. Le premier ministre est responsable pour les frontières et il devrait fermer le chemin Roxham d’ici 30 jours», a tranché M. Poilievre dans un point de presse impromptu au parlement, mardi. 

La sortie du chef conservateur survient au moment où le premier ministre du Québec accentue la pression sur Justin Trudeau pour qu’il trouve une solution à l’afflux de migrants au chemin Roxham.

François Legault a effectivement réclamé, plus tôt cette semaine, qu’Ottawa paie son dû au Québec et redirige les demandeurs d’asile vers d’autres provinces. Il a également demandé à Justin Trudeau «d’en faire un enjeu prioritaire» lors de sa rencontre avec Joe Biden et de renégocier l’Entente sur les tiers pays sûrs avec les États-Unis.  

Qu'est-ce que le chemin Roxham? 

Le chemin Roxham traverse la frontière canado-américaine en Montérégie. Il s’agit du point principal d’entrée irrégulière terrestre au Canada. En 2022, il a vu passer près de 40 000 demandeurs d’asile.

C’est quoi, au juste, l’Entente sur les tiers pays sûrs? 

En bref, cette entente, entrée en vigueur en 2004, oblige les demandeurs d’asile à présenter leur demande dans le premier pays sûr où ils arrivent (sauf exception). Si, par exemple, une personne passe par les États-Unis – considérés comme un pays sûr – pour demander l’asile au Canada, elle risque de voir sa demande être refusée. Elle doit plutôt la présenter aux États-Unis.

À l’heure actuelle, cette entente ne concerne que les postes frontaliers officiels. C’est donc pour contourner cette entente que des demandeurs d’asile empruntent des passages irréguliers, comme le chemin Roxham. 

Ce que souhaite le gouvernement Legault, c’est que toute la frontière soit protégée par cette entente, pas seulement les passages officiels. Des experts en immigration nous expliquent pourquoi cette demande a (très) peu de chances de se réaliser. 

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Les États-Unis n’ont aucun avantage à accepter ces conditions

«Les États-Unis n’ont pas réellement intérêt à renégocier l’entente», soutient Baptiste Jouzier, doctorant de l’Université Laval et spécialiste en droit international de l’immigration. 

«Ça leur mettrait une pression supplémentaire, car les personnes qui transitent par le Canada à l’heure actuelle – par exemple, par le chemin Roxham – deviennent de la responsabilité du Canada.»

Protéger une frontière de 8891 km exige beaucoup de ressources

«J’aimerais qu’elle nous dise comment elle va opérationnaliser tout ça», lance la professeure au Département des sciences juridiques de l’UQAM Ndeye Dieynaba Ndiaye. 

«Est-ce qu’on va déployer des ressources humaines tout au long de la frontière?», demande la spécialiste en droit de l’immigration. «À ce moment-là, il y a un problème de faisabilité.»

Les deux chercheurs rappellent aussi que de renvoyer des demandeurs d’asile vers les États-Unis engendre des frais. Ils excluent également la construction d’un mur à la frontière, une solution qui ne s’est jamais montrée bien efficace dans l’histoire. 

Photo d'archives, Martin Alarie

Ça ne ferait que déplacer l’irrégularité

«On cherche toujours à supprimer l’illégalité, l’irrégularité, mais on la déplace», affirme Baptiste Jouzier, qui fait référence aux modèles de contrôle des frontières canadien et européen. En Europe, l’équivalent de l’Entente sur les tiers pays sûrs s’appelle le règlement de Dublin. Et comme pour l’entente entre le Canada et les États-Unis, il n’est pas infaillible. 

«Les personnes ont essayé de ne pas se faire enregistrer dans le pays de première entrée pour qu’on ne puisse pas savoir qu’elles ont transité ici», ajoute le chercheur. Ces personnes en situation d’irrégularité finissent par disparaître dans la nature et vivent sur le territoire en se cachant des autorités. Une situation qui peut les mettre dans une position très précaire et dangereuse.

L’Entente sur les tiers pays sûrs est déjà sous la loupe du droit international et du Canada

L’Entente a déjà fait l’objet de deux contestations devant les tribunaux canadiens en 2007 et en 2008. Des organismes comme le Conseil canadien pour les réfugiés et Amnistie internationale contestent également cette entente, jugeant que les États-Unis ne peuvent plus être considérés comme un pays sûr pour les réfugiés. Surtout depuis la mise en place de décrets de loi restreignant l’accès aux États-Unis pour certains voyageurs sous l’administration de Donald Trump en 2017.

Pour Ndeye Dieynaba Ndiaye, cet accord devrait tout simplement être annulé.

«Il ne s’agit pas de renégociation, mais d’une demande d’invalidation d’une entente qui contrevient aux obligations internationales du Canada en matière de protection des droits de la personne et des individus, indique la chercheuse de l’UQAM. Ces demandeurs d’asile, lorsqu’ils sont renvoyés aux États-Unis, peuvent faire l’objet de violation de leurs droits, notamment à travers des pratiques de détention.»

L’accord était encore sous la loupe de la Cour suprême du Canada en décembre, alors que plusieurs demandeurs d’asile ont porté l’affaire devant la Cour fédérale.

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