Peut-on et devrait-on utiliser l’écriture inclusive à l’université ? On fait le point | 24 heures
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Peut-on et devrait-on utiliser l’écriture inclusive à l’université ? On fait le point

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PHOTO D'ARCHIVES, AGENCE QMI

Peut-on et devrait-on employer l'écriture inclusive à l'université? Un flou persiste autour de la question, même si les établissements francophones du Québec se sont dotés de guides. On fait le point avec une experte. 

On apprenait plus tôt cette semaine que des étudiantes en sciences politiques de l’UQÀM avaient été rappelées à l’ordre en raison de leur utilisation de l’écriture inclusive dans leurs travaux. L’Université n’a pas de politique officielle quant à l’écriture inclusive, mais elle «privilégie une rédaction inclusive dans ses communications institutionnelles», précise Jenny Desrochers, directrice des communications à l’UQÀM.  

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Mais d’abord : c’est quoi, au juste, l’écriture inclusive?  

De quoi est-il question lorsqu’on parle d’écriture inclusive?  

«C’est un mélange de pratiques et de nouvelles formes qui ne sont pas encore admises dans l’usage», résume Magali Guilbault Fitzbay, conseillère linguistique et formatrice en écriture inclusive chez Les 3 sex*. 

Ces formes rassemblent la féminisation ou les formes tronquées (étudiant.es, étudiant·es, étudiant-es), la féminisation (les étudiants et les étudiantes), les formulations neutres (la communauté étudiante), des néologismes comme le pronom «iel» et de nouvelles règles d’accord (iel est heureuxse).  

«Un des premiers combats de l’écriture inclusive a été de questionner [sic] la surreprésentation du masculin dans la langue», explique la formatrice. «On peut donc questionner [sic] l’importance de l’écriture inclusive dans un contexte d’égalité homme-femme, mais il est pertinent d’aller plus loin et de se questionner [sic] sur le concept même d’inclusion.»  

L’écriture inclusive peut être aussi utilisée pour rendre visibles les personnes non binaires, par exemple.  

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Des guides, mais pas de politiques  

Les universités francophones du Québec ont créé des guides rédactionnels d’écriture inclusive pour la communauté universitaire. 

«La création de ces guides illustre bien que les universités reconnaissent leur rôle dans la prévention des violences à caractère sexuel et du sexisme. Il est important qu’une institution ayant autant de rayonnement qu’une université se demande comment encadrer l’exercice de l’écriture inclusive qui fait partie de l’usage, alors qu’elle-même la recommande», salue Magali Guilbault Fitzbay. 

À l’UQÀM, comme à l’Université de Montréal et à l’Université Laval, les guides d’écriture inclusive sont mis à la disposition de la communauté universitaire, mais ils n’impliquent en aucun cas l’emploi obligatoire de ce style rédactionnel.   

L’adoption de l’écriture inclusive est «recommandée formellement aux gestionnaires» de l’Université de Montréal, sans que ce soit toutefois obligatoire.  

Comme c’est le cas à l’UQÀM, l’emploi ou le rejet de l’écriture inclusive dans le cadre de cours ou d’évaluations dépend de la volonté du professeur.  

«Le guide existe, mais il n’est pas accompagné d’une politique d’écriture inclusive. Donc si on perd des points pour l’avoir utilisée dans un cours, on ne peut pas se défendre en disant que l’Université la permet officiellement», précise Alexandra Dupuy, candidate au doctorat en linguistique de l’UdeM.   

De telles politiques sont nécessaires pour protéger l’inclusivité et la diversité des universités ainsi que la liberté académique, croit la linguiste. 

L’Université Laval travaille en ce moment à l’élaboration d’une politique institutionnelle en matière d’équité, de diversité et d’inclusion, mais il n’est pas dit si elle y inclura l’écriture inclusive.   

Des choix qui ne sont pas fondés «sur des preuves scientifiques»  

Les guides adoptés par les universités se fondent sur les recommandations de l’Office québécois de la langue française (OQLF), qui privilégie l’usage de formulations neutres et épicènes.  

Les formes tronquées, quant à elles, doivent être utilisées seulement en cas de manque d’espace avec des parenthèses ou des crochets. Le point médian est déconseillé, tout autant que les néologismes. Ces derniers rendraient la lecture trop complexe.   

«L’emploi de formes neutres ou épicènes dérange moins, car on a eu le temps de s’y habituer», explique Alexandra Dupuy.   

Cela ne veut pas dire que les signifiants plus récents, comme le point médian, soient à bannir, selon la linguiste. «Il y a cinq ans, on ne voyait pas le pronom “iel” nulle part, et maintenant, des publications l’utilisent. C’est la même chose avec le mot “mairesse” il y a 50 ans, c’était du jamais-vu.»  

«Les quelques recherches sur le sujet indiquent que le système visuel humain reprend un rythme de lecture normal dès la deuxième occurrence de l’élément inclusif, qu’il s’agisse d’un doublet, d’une forme tronquée ou d’une formulation épicène», ajoute Magali Guilbault Fitzbay. Plus d’études devront toutefois être menées pour comprendre «les enjeux de lecture pour les personnes dyslexiques ou apprenantes du français», nuance-t-elle.  

Il n’existerait pas de consensus scientifique sur les réelles difficultés de lecture associées à certaines formes d’écriture inclusive, souligne pour sa part Alexandra Dupuy. 

«On ne peut pas empêcher la langue de changer»  

Pour Alexandra Dupuy, les universités devraient sonder leur communauté pour mettre au point des guides qui correspondent à l’usage réel de l’écriture inclusive. «Les formes neutres existent dans l’usage, mais pas seulement. Si elles ne veulent pas devenir désuètes, elles doivent se [sic] garder au courant des usages linguistiques», insiste-t-elle.   

Les universités ont d'ailleurs toujours été des lieux d’innovations linguistiques. «Les jeunes et les femmes sont des vecteurs de changements linguistiques et ce sont des populations qu’on retrouve beaucoup à l’université. Ce sont des lieux de débat d’idées et de réflexion», affirme Alexandra Dupuy.   

Et selon elle, il ne sert pas à grand-chose de standardiser l’écriture inclusive: «C’est l’usage qui finit toujours par décider», remarque-t-elle. 

«On ne peut pas empêcher une langue de changer, même si ça nous déplaît. On ne sait pas de quoi aura l’air le français dans 20 ans», rappelle la linguiste.  

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