Discrimination: cinq barrières à la diversité dans les milieux de travail | 24 heures
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Discrimination: cinq barrières à la diversité dans les milieux de travail

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Crédit illustration: Marilyne Houde

De plus en plus d’organisations québécoises se dotent de politiques EDI (équité, diversité, inclusion) pour lutter contre les discriminations tant à l’embauche que dans l’emploi. Si ces initiatives peuvent être de bonne foi, elles ne mènent pas pour autant à des résultats concrets. Analyse de cinq enjeux persistants qui agissent comme barrières à la diversité.  

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Les biais inconscients  

Les biais inconscients – ou biais cognitifs – sont des mécanismes de pensée qui favorisent un groupe de personnes au détriment d’un autre en se basant sur des facteurs comme l’origine, le sexe, l’âge et le physique, notamment. Dans le monde du travail, le profilage est inconscient, mais persiste à travers le temps, remarque Marianne-Sarah Saulnier, chercheuse à l’Observatoire québécois des inégalités et spécialiste en intersectionnalité.  

«Quand vient le temps de choisir des CV dans les compagnies, on remarque bien le biais racial. Il y a une méfiance à aller vers des candidats qui ne sont pas Québécois. C’est prouvé que les populations qui sont les plus marginalisées sont arabes et africaines», soutient la chercheuse. «C’est bien beau d’avoir un programme EDI, mais on a tendance, sans le vouloir, à toujours aller vers le même type de personne au moment de l’embauche.» 

Cette tendance à la discrimination à l’embauche s’est toutefois affaiblie avec la pénurie de main-d’œuvre, avance la directrice en ressources humaines Nolie Imprévert.  

«On n’a plus le luxe de faire de la discrimination par rapport aux CV. Peu importe le nom, on va aller chercher le plus de candidats possible puisqu’on veut pourvoir le poste. L’enjeu va plutôt être l’intégration.» 

Nolie Imprévert, directrice en ressources humaines.

Courtoisie 

Nolie Imprévert, directrice en ressources humaines.

Cette dernière a assisté à un changement de «philosophie» et de «vision» de la part des employeurs.  

«Avant, les CV étaient divisés en trois piles: la pile A, soit les employés clé en main pour le poste, la pile B et la pile C, où se trouvent tous les "Mohamed". Aujourd’hui, ces piles-là n’existent plus», explique-t-elle en faisant référence aux besoins accrus du marché.  

Cette tendance positive saura-t-elle durer dans le temps? «Le contexte actuel favorise les employés, mais la tendance pourrait s’inverser», s’inquiète Nolie Imprévert.   

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Une loi difficile à mettre en application 

Même si le Québec a mis sur pied la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics (LAEE) en 2001, son application par les organismes qui y sont assujettis est loin d’être optimale, souligne Myrlande Pierre, vice-présidente de la Commission responsable du mandat de la Charte et de l'application de la LAEE.  

«Les préjugés et les stéréotypes sont encore profondément cristallisés dans le domaine du travail et cela fait en sorte l’égalité réelle tarde encore. Pour des groupes comme les Autochtones, les personnes handicapées et les minorités visibles, la situation stagne depuis des années», précise-t-elle. 

Myrlande Pierre, vice-présidente de la Commission responsable du mandat de la Charte et de l'application de la LAEE.

MAXIME DELAND/AGENCE QMI 

Myrlande Pierre, vice-présidente de la Commission responsable du mandat de la Charte et de l'application de la LAEE.

Sur les 338 organismes publics soumis à la LAEE, les minorités visibles représentaient 11,2% des effectifs en date du 31 mars 2022, tandis que l’indicateur-cible à atteindre est de 16,8% d’après le rapport annuel sur les minorités visibles de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec (CDPDJ). À titre de comparaison, 13% des Québécois étaient des minorités visibles en 2020, soit environ un million de personnes. 

Pour Mme Pierre, les entreprises doivent aller bien au-delà des questions de diversité, d’équité et d’inclusion et s’attaquer à la base du problème, soit «éliminer les discriminations et les barrières qui sont à la base de la sous-représentativité de certains groupes dans les milieux de travail». Ce travail passe notamment par des formations obligatoires sur la lutte contre le racisme et des mesures pour contribuer à la progression d’emploi chez les minorités visibles. 

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Le plafond de verre 

Pour un grand nombre d’individus diplômés, il est difficile d’accéder à des postes supérieurs dans la hiérarchie d’une organisation. Cette problématique est principalement observée chez les femmes, même si elles sont plus diplômées que les hommes. En 2019, seuls 36% des postes de gestion au Québec étaient occupés par des femmes contre 64% par des hommes, selon Statistique Canada. 

«Le phénomène du plafond de verre est encore à l’œuvre pour beaucoup de personnes. Plus on monte dans la hiérarchie des organisations, plus ça devient homogène. Il faut s’assurer qu’il y ait une représentativité à tous les niveaux, pas juste à l’embauche», insiste Myrlande Pierre.  

Revoir les critères d’embauche des postes de pouvoir et encourager la flexibilité dans les tâches pourrait être un pas dans la bonne direction, assure Marianne-Sarah Saulnier de l’Observatoire québécois sur les inégalités. 

«On remarque souvent que les personnes qui occupent des postes plus importants au sein des organisations sont représentées par un même type de personne et on leur demande d’être disponibles les soirs et les week-ends. On se prive d’un bon bassin de candidats comme les femmes.» 

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L’intégration... sans inclusion 

Intégration ne veut pas dire inclusion. Et représentation n’égale pas non plus adaptation. Vous suivez? Autrement dit, accueillir un membre d’un groupe marginalisé dans ses rangs n’est pas garant de succès, tant au niveau de son intégration que de sa longévité dans l’entreprise.  

Peut-être avez-vous déjà aperçu une photo d’entreprise qui met en scène ses employés : des hommes blancs, quelques femmes et une personne en situation d’handicap, au centre. Mettre en évidence un seul individu pour donner une impression de diversité porte le nom de tokénisme.  

«Ça peut être de mauvaise foi de présenter une personne en situation de handicap sur une photo d’entreprise alors qu’il n’y a aucune politique d’adaptation dans l’entreprise. Dans ce cas-ci, représentation n’égale pas adaptation», explique Marianne-Sarah Saulnier, en ajoutant que les entreprises «veulent plus de diversité», mais «n’ont pas de cibles à atteindre». 

«Aujourd’hui, on sent que les entreprises sentent une certaine obligation à avoir une politique EDI et atteindre certains quotas, mais elles n’ont pas les outils pour la mettre en place. Elles ne savent pas vraiment ce que c’est», remarque-t-elle. 

Marianne-Sarah Saulnier, chercheuse à l’Observatoire québécois des inégalités et spécialiste en intersectionnalité.

Courtoisie 

Marianne-Sarah Saulnier, chercheuse à l’Observatoire québécois des inégalités et spécialiste en intersectionnalité.

Pas de sentiment d’appartenance 

Un ensemble de facteurs peuvent compliquer l’intégration de nouveaux employés issus de la diversité dans un nouvel environnement de travail. Les lacunes salariales, le manque de représentativité dans l’organisation ou la non-reconnaissance de l’expérience acquise dans un autre pays sont autant de raisons qui peuvent les pousser vers la porte prématurément, assure Marianne-Sarah Saulnier.  

«Ces personnes n’auront aucun sentiment d’appartenance. Elles vont quitter et la représentation au sein de l’entreprise va en manger un coup», prédit-elle. 

La barrière de la langue a elle aussi son rôle à jouer dans l’équation, indique la directrice en ressources humaines, Nolie Imprévert. 

«Même si plusieurs nouveaux arrivants parlent français, ils ne saisissent pas nécessairement toutes les subtilités de la langue comme les jeux de mots, des sons et des intonations qui sont différentes. Des Québécois vont donc avoir l’impression qu’ils sont plus lents et qu’ils ne comprennent pas rapidement, mais ce n’est pas ça du tout.» 

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Quelles solutions?

Pour Marianne-Sarah Saulnier de l’Observatoire québécois des inégalités, plusieurs solutions pourraient être mises en place pour favoriser la diversité en milieu de travail, dont celles-ci. 

1. Offrir des horaires de travail flexibles pour permettre une amélioration globale des conditions de vie et favoriser l’appartenance au sein d’une entreprise. 

2. Partager l’échelle salariale au sein de l’équipe pour éliminer les inégalités en la matière.  

3. Limiter la durée des mandats d’administrateurs pour faciliter la rotation et l’intégration de nouveaux profils.  

4. Transformer le processus d’embauche (comme en retirant les noms sur les CV) pour limiter la discrimination.  

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