Des lacs et des rivières menacés de destruction par une mine de Fermont

Des lacs, des rivières et des milieux humides sont menacés de destruction par une mine de Fermont qui prévoit y stocker des millions de tonnes de déchets. Autorisé par le gouvernement Legault l’an dernier malgré un avis contraire du BAPE, onze groupes environnementaux et des citoyens de la Côte-Nord exhortent Ottawa d’interdire le projet.
La récente accélération de la production de la mine à ciel ouvert du lac Bloom, à Fermont, augmente ses besoins en entreposage: 1,3 milliard de tonnes de résidus devront être enfouies dans un nouveau site.
Dans son étude d’impact, Minerai de fer Québec — une filiale de l’entreprise australienne Champion Iron qui a racheté la mine en faillite en 2016 avec l’aide d’Investissement Québec — plaide que «l’espace terrestre disponible» est insuffisant et exclut l’idée de remblayer la fosse qu’elle a déjà creusée.
«C’est pourtant ce que font la majorité des promoteurs de mine à ciel ouvert», affirme le directeur général de la Fondation Rivières, André Bélanger.
La solution, selon la propriétaire, est plutôt d’utiliser une zone près de la mine pour y stocker les résidus de son exploitation. Cette décision causera la destruction de huit lacs, dix rivières, en plus des milieux humides, dans un secteur fréquenté notamment par le caribou forestier, une espèce menacée.
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Le BAPE ignoré par Québec
En mars 2021, le rapport du Bureau d’audiences publiques sur l'environnement (BAPE) avait pourtant recommandé au gouvernement québécois de ne pas autoriser ce projet.
«Le BAPE a renvoyé le promoteur à la table à dessin parce qu’il n’a pas démontré que ce plan réduirait le plus possible les impacts sur les cours d’eau. Mais il est revenu avec un projet qui n’a pas vraiment été modifié. On est toujours dans un scénario qui prévoit la destruction des lacs», rappelle le porte-parole de la Coalition Québec meilleure mine et MiningWatch Canada, Me Rodrigue Turgeon.
«Le gouvernement Legault a fait fi des recommandations du BAPE et a autorisé le projet sans modifications substantielles», déplore l’avocat.
Au ministère des Ressources naturelles et des Forêts du Québec (MRNF), on assure que le gouvernement a choisi «le scénario de moindre impact».
«L’évaluation environnementale a été complétée en considérant tous les scénarios réalistes possibles. Le remblaiement de la fosse n’était pas une option envisageable puisqu’il aurait entraîné la condamnation de ressources exploitables sous la fosse», explique le porte-parole du MRNF, Stéphane Desmeules.
L’entreprise devra ainsi payer une compensation financière de 20 millions $ pour la perte définitive d’habitats de poisson et de milieux humides.
«Le promoteur s’appuie sur le fait qu’il reste un potentiel minier dans le fond de la fosse, mais il n’a jamais été quantifié et n’a surtout pas été comparé à celui du reste de la région», souligne toutefois la biologiste et directrice générale d’Eau Secours, Rébecca Pétrin. «On a demandé l’information, mais ça nous a été refusé. On a fait une demande d’accès à l’information, mais n’a pas encore reçu de réponse.»
Une zone riche en fer
La mine du lac Bloom, qui emploie près de 1000 personnes dans la région de Fermont, se situe dans la fosse du Labrador, un des plus importants gisements au monde surtout reconnu pour sa richesse en fer de haute pureté. La zone bénéficie du chemin de fer de Schefferville et du port de Sept-Îles, ce qui facilite le transport du minerai.
L’entreprise a versé à l’État québécois, en 2020, des redevances minières totalisant plus de 130 millions $, selon les chiffres du MRNF.
«On ne comprend pas pourquoi on sacrifie des lacs alors que l’industrie minière pourrait s’installer tout autour», fait valoir Mme Pétrin.
André Bélanger de la Fondation Rivières s’inquiète aussi du précédent qu’une telle décision risque de créer.
«Si la mine du lac Bloom peut détruire des lacs pour y mettre ses déchets, il n’y aura plus de raisons pour les autres de ne pas le faire, dit-il. Ça envoie le message que même si le BAPE n’est pas en accord, l’industrie peut le faire. C’est un peu moins coûteux de détruire des cours d’eau que de remplir le trou, mais on s’entend que les mines n’ont pas de difficultés financières en moment. Elles font des profits faramineux.»
La transition énergétique vers le tout électrique a fait exploser la demande mondiale de fer — un minerai nécessaire à la fabrication des batteries.
Et avec le Plan québécois pour la valorisation des minéraux critiques et stratégiques du gouvernement Legault, «le boom minier n’est pas à veille de s’éteindre», ajoute M. Bélanger
Pas d’acceptabilité sociale
Pour aller de l’avant avec le projet, le gouvernement Trudeau doit trancher: désigner des plans d’eau où vivent des poissons comme décharges de résidus miniers est une compétence fédérale.
Environnement et Changement climatique Canada (ECCC), qui a tenu des consultations publiques à ce sujet les 21 et 23 février dernier, rendra sa décision dans les prochains mois.
Personne n’est contre la mine», assure le citoyen de Moisie, Marc Fafard, qui a demandé au BAPE d’enquêter sur ce projet. Il fait partie du regroupement de citoyens de la Côte-Nord, qui, avec les 11 groupes environnementaux, exhortent le ministre fédéral de l’environnement Steven Guilbeault à freiner la destruction des cours d'eau.
«Mais la compagnie devrait plutôt voir ça comme une opportunité pour être une leader en environnement plutôt que d’utiliser plus de 150 hectares de nature pour faire un parc de déchets», précise-t-il.
«Ce n’est pas une solution de sacrifier des lacs et des rivières pour faire sauver de l’argent à la minière, qui fait de l’argent depuis longtemps avec notre territoire», estime quant à elle Laura Fontaine, membre de la communauté innue de Mani-Utenam près de Sept-Îles, qui avait présenté un mémoire lors des audiences du BAPE en novembre 2021.
«La population est préoccupée par la préservation du territoire, mais le gouvernement s’en fout s’il ne prend même pas en considération les recommandations des experts indépendants du BAPE», poursuit-elle.
Un sondage Léger dont les résultats ont été publiés en août dernier indique par ailleurs que près de neuf personnes sur 10 au Québec (89%) sont d’accord pour interdire le rejet de déchets miniers dans tout lac, rivière ou milieu écologique sensible.
Laura Fontaine rappelle que le secteur est aussi utilisé par les Innus de Mani-Utenam pour y perpétuer les traditions avec les plus jeunes.
«Une des membres de la communauté est justement partie en expédition avec mon frère et d’autres personnes afin de prouver à la minière qu’on occupe le territoire», mentionne la jeune femme.