Pourquoi doit-on remplir nous-mêmes notre déclaration d’impôts au Canada? | 24 heures
/portemonnaie

Pourquoi doit-on remplir nous-mêmes notre déclaration d’impôts au Canada?

Image principale de l'article À quand une déclaration automatisée?
Photomontage Marilyne Houde

La période des impôts est souvent un casse-tête pour les contribuables. Pourtant, dans d’autres pays, c’est l’État qui s’occupe des calculs des impôts. Pourquoi n’est-ce pas le cas chez nous?

• À lire aussi: Emploi: la semaine de travail de 4 jours est un vif succès au Royaume-Uni

 • À lire aussi: Télétravail : vous avez droit à des déductions d’impôts allant jusqu’à 500$

Imaginez qu’à la fin de la période des impôts, l’Agence du revenu du Canada (ARC) vous envoie leur calcul des impôts que vous devez payer ou des remboursements auxquels vous avez droit. Ce calcul aurait été effectué grâce aux informations fournies par votre employeur et vous n’auriez qu’à l’approuver ou le corriger.

Tout ça semble trop beau pour être vrai? Pourtant, c’est comme ça que ça fonctionne ailleurs. En France, la contribuable n’a qu’à envoyer une réponse au calcul de l’État. Au Danemark, le consentement du contribuable n’est même pas nécessaire pour toucher ses remboursements d’impôts.  

Au fédéral et au provincial, la déclaration d’impôts est la responsabilité du contribuable. Les informations reçues par l’ARC provenant de tierces parties sont utilisées pour vérification et non pour le calcul des montants imposables. Revenu Québec fonctionne de la même façon, avec quelques différences dans la manière dont les revenus sont imposés. 

Un système qui désavantage les plus pauvres 

Pour produire sa déclaration d’impôts, on doit faire affaire avec un comptable ou utiliser un logiciel d’impôts. En plus d’être coûteux et compliqué, le processus exclut une partie de la population qui ne produit aucune déclaration de revenus le moment venu.   

Les gens qui n’ont pas de revenus taxables ne sont pas obligés de fournir une déclaration d’impôts. Selon une recherche de Jennifer Robson et Saul Schwartz de l’université Carleton, 10 à 12% des Canadiens ne produisent pas de déclaration. 

Ces personnes sont désavantagées, car même si elles ne doivent généralement rien à l’impôt, elles sont privées de nombreuses prestations offertes par l’ARC ou Revenu Québec sur la base de la déclaration de revenus. Ces personnes ont renoncé, souvent sans même le savoir, à 1,7 milliard de dollars d’aide financière au Canada en 2015 selon Robson et Schwartz.  

• À lire aussi: Discrimination: cinq barrières à la diversité dans les milieux de travail

Le système d’imposition actuel désavantage nettement les plus pauvres, soutient Antoine Genest-Grégoire, chercheur à la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke (CFFP). «Le problème avec le système actuel, c’est qu’il y a des prestations qui servent à sortir les gens de la pauvreté qui ne se rendent pas aux gens qui en ont le plus besoin. Les gens qui auraient le plus à gagner à faire leurs impôts sont ceux pour qui c’est le plus difficile d’accès», explique-t-il.  

Une déclaration fiscale préremplie par un calcul de l’État permettrait à ces personnes de toucher leurs prestations sans qu’elles aient besoin d’entreprendre des démarches de leur côté.  

Des impôts complexes 

Pourquoi le Canada n’a-t-il pas adopté un système d’imposition automatisé? Cela a à voir avec la complexité des impôts au pays, selon un rapport du C.D. Howe Institute

Dans les pays où les impôts sont automatisés, c’est pour les personnes qui ont des situations simples, par exemple, les salariés qui n’ont qu’une source de revenus et peu de déductions. Les autres doivent généralement produire des déclarations d’impôts. 

Au Canada, la proportion des gens qui pourraient être admissibles à la déclaration préremplie selon ces critères ne serait que de 32%, selon le rapport. La complexité des impôts canadiens (et québécois) est en grande partie due au grand nombre de déductions et de crédits d’impôt disponibles dont il faut tenir compte dans le calcul. Beaucoup de ceux-ci se basent sur des circonstances particulières et non sur le revenu. 

• À lire aussi: La France versera une aide financière aux victimes de violence conjugale

Les crédits d’impôt sont généralement appréciés par les acteurs politiques, puisqu’ils sont simples à mettre en place et amènent une bonne visibilité. Néanmoins, ils ne sont pas les meilleurs mécanismes de redistribution de la richesse, affirme Antoine Genest-Grégoire: «Quand on pense, par exemple, au crédit d’impôt pour l’achat de matériel scolaire par les professeurs, c’est vraiment une manière détournée de s’attaquer au problème. On pourrait aussi très bien mieux financer les écoles.»  

En plus de son chapeau de surveillance, l’ARC et Revenu Québec se retrouvent responsable en partie de la redistribution, une tâche qui pourrait être confiée à une nouvelle agence ou à des ministères à vocation sociale. C’est ce que suggère le rapport de l’institut C.D. Howe, selon qui l’automatisation des impôts ne pourra se faire sans qu’on simplifie grandement le processus.  

Pas une tâche impossible 

Changer notre système d’imposition est un défi de taille, mais ce n’est pas impossible. Il en a été question pour l’ARC lors du Discours du Trône de 2020, mais depuis, le sujet n’a pas refait surface. Pour ce qui est de Revenu Québec, il n’a pas été question de changer le processus non plus.  

Pour certaines tranches de la population, la transition vers une déclaration préremplie pourrait même être relativement simple, comme pour les retraités ou les personnes touchant l’aide sociale. «Ces personnes reçoivent des prestations stables et connues des systèmes d’information des agences de revenus. Ça serait assez simple de calculer leurs impôts automatiquement», explique Antoine Genest-Grégoire. 

Pour le reste, c’est une question de volonté politique, selon le chercheur. «Ce n’est pas infaisable, mais il faut consacrer les ressources. Il y a de la résistance au niveau des agences parce que c’est un gros changement.» 

Il ne faut pas oublier que la préparation des impôts est une industrie. «Aux États-Unis, c’est très documenté que l’industrie du logiciel d’impôts a fait beaucoup de lobbyisme pour empêcher que le système soit automatisé ou même simplifié. Ce sont les mêmes compagnies qui œuvrent au Canada», ajoute l’économiste. 

Les personnes qui ont des situations simples et qui pourraient profiter d’une déclaration préremplie constituent la grande partie des profits du domaine de la préparation de déclaration de revenus. «On nous dit que si on automatise, on va perdre des emplois. Ce n’est pas une question de détester les comptables, mais que le système soit plus juste», nuance Antoine Genest-Grégoire.

À voir aussi:

s

Sur le même sujet

À lire aussi

Vous pourriez aimer

En collaboration avec nos partenaires