La tempête parfaite qui a fait décliner l’info papier | 24 heures
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La tempête parfaite qui a fait décliner l’info papier

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Depuis une vingtaine d'années, le nombre de journaux papier publiés au Québec a fortement décliné. Le Journal de Montréal, Le Journal de Québec, Le Devoir, la Montreal Gazette et le Record sont les seuls à imprimer des éditions quotidiennes, alors qu'en 2011, il y avait 14 quotidiens imprimés. Plusieurs ont depuis décidé de passer à une formule hebdomadaire, notamment la famille des quotidiens régionaux des Coops de l’information. D’autres, comme La Presse, ont cessé le papier et misent uniquement sur le numérique. Voici comment s'est orchestrée la transition des supports ici et un peu partout dans le monde. 

À la fin des années 90, il y a à peine plus d’une vingtaine d’années, les journaux imprimés étaient considérés comme les pierres angulaires de l’information. Les lecteurs étaient nombreux et les publicités diffusées dans les pages des principaux médias rapportaient des sommes colossales aux propriétaires.  

«Avant l’arrivée d’Internet, les revenus publicitaires étaient énormes, les médias imprimaient carrément de l’argent», illustre le directeur du programme de journalisme à l’Université du Québec à Montréal, Patrick White. 

Oui, quelques personnes avaient des abonnements internet dès le milieu des années 90, et les principaux médias écrits, dont Le Journal de Montréal, La Presse et Le Devoir avaient lancé leur propre site web, mais le papier restait de loin leur vaisseau amiral.  

Au cours des années 2000, quand Facebook, Google et Twitter ont fait leur apparition et sont venus modifier la façon dont l’information était structurée sur internet, l’industrie médiatique ne s’en est pas méfié, observe Patrick White. «Les décideurs n’y ont vu qu’un effet de mode», indique-t-il. 

«Les médias n’ont pas sauté à pieds joints là-dedans, ils n’ont pas vu le modèle d’affaires, donc ils ont complètement manqué le bateau. C’est seulement vers 2010-2011 que les choses ont commencé à bouger dans les médias québécois en matière d’utilisation des réseaux sociaux. Donc ça a été très très long», poursuit-il.  

Pendant ce temps, les habitudes de consommation des lecteurs ont changé, surtout chez les jeunes. Aujourd’hui, un tiers (33%) des adultes québécois s’informent principalement sur les réseaux sociaux, une proportion qui grimpe à 50% chez les 25 à 34 ans et à 67% chez ceux âgés de 18 à 24 ans, selon les résultats d’une enquête publiée le 1er juin 2022 par l’Académie de la transformation numérique de l’Université Laval. 

Double problème avec les revenus 

On s’est donc graduellement retrouvé avec un double problème dans les médias en ce qui a trait aux revenus.  

Le premier était du côté des abonnements: les lecteurs étaient de moins en moins nombreux à prendre des abonnements papier payants, puisque la plupart des nouvelles étaient accessibles gratuitement sur internet.  

Il fallait donc que les médias se fient davantage aux revenus publicitaires, qui se sont mis à migrer vers le web. Et on arrive là au deuxième problème : les revenus de publicité en ligne ne se sont pas tous retrouvés à aller aux médias qui produisent du contenu sur leurs sites, loin de là.  

«La publicité a principalement migré du côté de Google et Facebook, qui vont chercher plus de 80% des revenus de la publicité en ligne. Donc ça fait en sorte que tout le modèle d’affaire des médias s’est écroulé», explique l’ancien directeur de l’information francophone à Radio-Canada, Alain Saulnier. 

Facebook et Google ont d’ailleurs généré environ 280 millions de dollars en revenus publicitaires avec le contenu journalistique des médias canadiens en 2020, selon les estimations de Jean-Hugues Roy, professeur à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal. 

Leurs revenus étant à la baisse, plusieurs médias ont choisi de couper leurs éditions papier, qu’ils jugeaient chères à produire et à distribuer.   

D’autres ont opté pour une stratégie différente et ont décidé de conserver leurs éditions papier comme produit principal, en exploitant les avantages de cette méthode, notamment en misant sur la publication de cartes, de tableaux ou encore de cahiers à conserver. 

Après tout, ce support reste important pour une grande portion du lectorat, qui apprécie le contact avec un produit physique, qui permet d’accéder à l’actualité sans avoir à passer par un écran et une connexion internet.  

Il y a de l’espoir 

Il faut noter que le déclin global du papier ne sonne pas la fin du journalisme, puisque les nouveaux formats numériques, comme les textes, les vidéos et les balados diffusés sur le web et les réseaux sociaux permettent aussi de transmettre de l’information de qualité.  

Le gouvernement canadien a d’ailleurs l’intention de forcer les géants du web à partager les revenus publicitaires générés par ces contenus.  

Le projet de loi C-18, qui est actuellement analysé par le Sénat, pourrait bientôt donner naissance à une loi qui les obligerait à négocier des ententes dans le but de dédommager les médias canadiens s’ils veulent continuer de republier leur contenu sur leurs plateformes, ou encore pour offrir des liens qui y mènent. 

Avec Camille Dauphinais-Pelletier 

Dates importantes de la mutation des médias au Québec  

1995 - Arrivée de l’internet commercial au Québec 

1995 - Lancement de cbc.ca et radio-canada.ca, les premiers sites de médias au Québec. 

1996 - Lancement de cyberpresse.ca par le quotidien La Presse

Janvier 1997 - Lancement du site journaldemontreal.com 

Juin 1997 - Lancement du site ledevoir.com 

Février 2004 - Arrivée de Facebook 

Mars 2006 - Arrivée de Twitter 

Octobre 2006 - Arrivée d’Instagram 

Avril 2013 - Lancement de l’application La Presse+ pour iPad 

Novembre 2014 - Lancement de l’édition tablette du Devoir 

Décembre 2014- Lancement de l’application mobile J5 du  Journal de Montréal et du Journal de Québec 

Octobre 2015 – Lancement des éditions tablette/mobile des six quotidiens régionaux membres des coopératives de l’information. 

31 décembre 2015 - Dernier numéro imprimé de La Presse publié en semaine. Le journal sera ensuite imprimé seulement le samedi. 

Septembre 2016 - Arrivée de TikTok 

Décembre 2016 – Lancement de l’application mobile du Devoir  

Octobre 2017 - Lancement de la version tablette de l’application J5 du Journal de Montréal et du Journal de Québec 

30 décembre 2017 - Dernière édition de La Presse imprimée le samedi et fin officielle de l’impression pour le média. 

25 mars 2020 - Les quotidiens régionaux appartenant à la Coopérative nationale de l’information indépendante (Le Soleil, Le Nouvelliste, Le Droit, La Tribune, Le Quotidien, La Voix de l’Est) cessent de publier leurs éditions de semaine, pour garder seulement l’édition du samedi.  

Septembre 2020 - Réduction du nombre d’éditions du journal Métro, qui passe de cinq à deux par semaine. 

Novembre 2020 - Lancement de l’abonnement payant aux éditions tablette/mobile des six quotidiens régionaux membres des coopératives de l’information. 

Février 2021 - Réduction du nombre d’éditions du journal 24 heures, qui passe de cinq à une par semaine. 

Joël Lemay / Agence QMI

Juin 2022 - Réduction du nombre d’éditions du journal Métro, qui passe de deux à une par semaine. 

Janvier 2023 - Réduction du nombre d’éditions du Journal de Montréal et du Journal de Québec, qui ne seront plus imprimés le dimanche. 

23 mars 2023 - Dernière édition papier du 24 heures

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