Il faut accuser les pétrolières d’homicide, suggère un article du «Harvard Environmental Law Review»

Faut-il accuser les pétrolières américaines d’homicide pour les tenir responsables de leur contribution à la crise climatique? C’est ce que suggèrent les auteurs d’un article publié dans la revue Harvard Environmental Law Review.
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Les entreprises de combustibles fossiles «n’ont pas simplement menti au public, elles ont tué des membres du public à un rythme accéléré, et les procureurs devraient porter ce crime à l’attention du public», arguent David Arkush et Donald Braman, auteurs de la publication.
Leur argumentaire s’appuie sur les preuves selon lesquelles les pétrolières savaient depuis aussi loin que les années 80 combien leurs produits affecteraient le climat. Celles-ci ont volontairement trompé le public, selon les auteurs.
Ces informations ont d’ailleurs déjà été utilisées dans des poursuites contre les pétrolières pour les dommages financiers liés à la montée des eaux, aux feux de forêt et aux vagues de chaleur, rapporte The Guardian.
Or, leurs efforts pour cacher les conclusions de leurs scientifiques et pour retarder l’adoption de politiques climatiques constituent un «état mental coupable» qui a causé des dommages allant jusqu’à la mort de certaines personnes, ce qui serait suffisant pour les inculper d’homicide, plaident les auteurs.
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«Lorsque l’on commence à utiliser ces termes, on se rend compte qu’il s’agit de droit pénal. Un état mental coupable causant un préjudice est un comportement criminel, et s'il tue quelqu'un, c'est un homicide», a indiqué Donald Braman, qui est aussi professeur de droit à l'université George Washington, en entrevue avec The Guardian.
Selon lui et son coauteur David Arkush, une accusation d’homicide serait plus convaincante que les amendes pour que les pétrolières modifient leur fonctionnement.
Plus facile à dire qu’à faire
Même si l’argumentaire semble solide, plusieurs embûches pourraient se mettre sur la route d’un procureur qui voudrait poursuivre une pétrolière pour homicide, alertent des experts.
D’abord, il faudrait qu’un procureur général qui a compétence à un endroit où un événement climatique extrême a causé la mort porte plainte. Il faudrait aussi qu’il soit prêt à affronter des entreprises influentes qui brassent des milliards de dollars.
Tout ça, sans compter le fait qu’il soit difficile de mettre la faute uniquement sur une pétrolière en particulier, explique Christopher Kutz, professeur émérite et directeur du Kadish Center for Morality, Law and Public Affairs à l’université Berkeley.
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«Elles sont complices des décès qui surviennent et l’article est très convaincant à ce sujet. Mais il est difficile de déterminer si une accusation criminelle peut être retenue, car leur complicité est mêlée à celle de toutes les autres [pétrolières]», a-t-il précisé.
«Un obstacle à l’établissement d’une responsabilité causale est le fait que la mort résulte d'actions diffuses d'acteurs multiples», a poursuivi Guyora Binder, professeur de droit à l’université de Buffalo, à The Guardian.
Il donne l’exemple des entreprises de l’industrie du tabac: le fait qu’il y ait plusieurs fabricants rend impossible le fait de déterminer lequel a causé tel ou tel décès.
Le professeur émet tout de même l’hypothèse que plusieurs compagnies de combustibles fossiles pourraient être inculpées collectivement, quoiqu’il serait difficile d’obtenir une telle inculpation.
«S’il s’avère qu’elles étaient toutes de connivence pour supprimer la recherche sur le changement climatique et qu’elles essayaient toutes de s’aider mutuellement à poursuivre cette entreprise, alors nous pourrions les tenir pour responsables des actions des unes et des autres», a-t-il ajouté.