Catherine Fournier se confie: «J’avais peur que les jurés me jugent comme moi je me suis jugée» | 24 heures
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Catherine Fournier se confie: «J’avais peur que les jurés me jugent comme moi je me suis jugée»

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Victime d’Harold LeBel, Catherine Fournier a vu son monde s’effondrer lors de l’arrestation de ce dernier le 15 décembre 2020. Ce jour-là, son nom a circulé dans les médias, générant un tourbillon qu’elle avait tout fait pour éviter. Et ce, en dépit d’un interdit de publication censé protéger son identité. 

Entre la levée de l’ordonnance protégeant son identité et la sortie d’un film documentaire du Bureau d’enquête de Québecor sur son parcours dans le système de justice, Catherine Fournier affirme être aujourd’hui en dehors de sa zone de confort.

«J’appréhendais beaucoup ce moment-là, car c’est un pan assez intime de ce que j’ai vécu», confie la femme de 31 ans en entrevue. 

«Je suis habituée à prendre la parole en public, à m’exprimer sur différentes tribunes. Mais là, je le fais par rapport à quelque chose que moi j’ai vécu. C’est une partie de ma vie plus personnelle, autant par rapport à l’agression comme telle que par rapport à mon parcours individuel à travers le système judiciaire. D’où mon sentiment de fébrilité aujourd’hui», admet-elle.  

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Le jour où tout a basculé 

Vues de l’extérieur, les cinq dernières années de Catherine Fournier ressemblent à une success story: réélection dans la circonscription provinciale dans Marie-Victorin en 2018, départ du Parti québécois (PQ) en 2019 pour mieux rebondir deux ans après à la mairie de Longueuil en 2021. 

Mais ces cinq années auront aussi été jalonnées de coups durs.  

Le premier se déroulera dans la nuit du 20 au 21 octobre 2017, quand, invitée en compagnie d’une amie à dormir chez son mentor politique Harold LeBel, la jeune femme est agressée toute la nuit par ce dernier.  

Le deuxième état de choc interviendra trois ans plus tard, le 15 décembre 2020, le jour de l’arrestation de M. LeBel.  

Ce jour-là, l’ordonnance de non-publication censée protéger son identité n’est pas respectée. Un chroniqueur révèle son nom en ondes à la télévision. 

«Il s’est passé ce jour-là l’opposé de ce que j’avais imaginé, et de comment on m’avait expliqué ce qui allait se passer», explique-t-elle encore décontenancée trois ans plus tard.   

«Je me suis sentie trahie » 

Quelques minutes après l’arrestation de LeBel, des détails permettant de l’identifier ont été publiés sur les réseaux sociaux, avant d’être repris par plusieurs médias.  

Malgré l’intervention du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) en fin de journée, le mal était fait. Toute la classe politique et médiatique connaissait désormais l’identité de la plaignante dans l’affaire Harold LeBel.  

«Je me suis sentie trahie par tout le monde, affirme Mme Fournier. Pas par les gens qui étaient des intervenants dans mon dossier. Je me suis sentie trahie par l’institution, par la machine du DPCP, par la machine de la SQ, puis par la machine médiatique.» 

Quand son nom a commencé à sortir, son père l’a appelée en pleurant. Il avait deviné qu’elle était la victime d’Harold LeBel, comme feue sa grand-mère chérie.  

«Ma famille, je trouvais que c’était inutile de leur faire vivre ça. Je n’avais pas envie de leur raconter. Finalement, ils l’ont appris de la pire façon», regrette-t-elle encore aujourd’hui.  

Surtout que c’est justement la garantie que son identité demeurerait cachée qui avait fini de la convaincre à porter plainte. Elle aura tenu 62 minutes.  

Porter plainte pour être conséquente 

«Au départ, je n’avais pas le goût de porter plainte. Je l’ai fait pour être conséquente avec mes valeurs», avance-t-elle. 

«Je m’exprime sur plusieurs tribunes depuis plusieurs années pour encourager les victimes à dénoncer. Il y avait une sorte d’ironie dans le fait que moi, je ne le faisais pas. C’est ça aussi qui m’a amenée à vouloir dénoncer, une fois que j’ai eu la garantie que mon identité pourrait être protégée.»  

Le procès, une expérience éprouvante... 

Même si la mairesse de Longueuil est habituée à parler en public, elle avoue que son témoignage lors du procès demeure une expérience éprouvante sur le plan psychologique. 

«L’agression, je ne l’avais pas racontée à beaucoup de monde, même parmi mes amis proches. Alors, devoir le faire devant des gens, devoir donner des détails...», explique-t-elle. 

Et elle avait peur que le jury juge son attitude lors de son agression.  

«J’aurais voulu me lever et me sauver. Je m’en suis voulu pour ça, d’avoir laissé ça arriver. J’avais peur que les jurés me jugent comme moi je me suis jugée.» 

D’ailleurs, Catherine Fournier n’hésite pas aujourd’hui à s’interroger sur le bien-fondé d’un procès devant jury dans ce genre de causes. 

«Alors que maintenant les juges sont formés sur ces questions-là, est-ce qu’un procès devant jury est pertinent? se demande-t-elle. Même si pour moi, ça s’est bien passé, je demeure avec le même scepticisme sur le recours au procès devant jury dans les causes d’agression sexuelle.»  

«En paix avec ma décision» 

Catherine Fournier n’avait jamais imaginé devoir témoigner devant un jury au moment où elle a porté plainte. Avoir su, elle n’aurait peut-être pas pris la même décision.  

«Un procès devant jury? Je n’avais jamais, jamais envisagé cette possibilité-là. Si je l’avais su dès le départ, est-ce que je l’aurais fait quand même? C’est une bonne question...», avoue-t-elle.  

Avec du recul, Mme Fournier sait qu’elle a fait «la bonne chose» et se dit aujourd’hui «en paix avec sa décision.» 

Avec Marie-Christine Noël 

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