Pénurie de profs au Québec: 3 futures enseignantes nous disent ce qui ne marche pas dans nos écoles | 24 heures
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Pénurie de profs au Québec: 3 futures enseignantes nous disent ce qui ne marche pas dans nos écoles

Émilie Bernier et Charlotte Chagnon
Photos courtoisie

Émilie Bernier et Charlotte Chagnon

«Le problème, ce n’est pas tant de trouver du monde qui veulent s’embarquer, c’est de trouver du monde qui vont être capables de rester après»: alors qu'il y a une pénurie d'enseignantes et d'enseignants au Québec, on a discuté avec de futurs profs pour savoir comment elles entrevoient leur entrée dans le système.  

Charlotte Chagnon n’en doute pas une seconde: le métier d’enseignante est fait pour elle. Même si le réseau a besoin d’amour – et qu’il craque de partout –, elle est toujours aussi motivée par son choix de carrière.     

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«Je sais que ce n’est pas la réalité de tout le monde, malheureusement, mais, personnellement, c’est que du positif», raconte l’étudiante en deuxième année au bac en éducation préscolaire et en enseignement primaire à l'UQAM en parlant de ses stages.   

L’étudiante de 22 ans a bien raison: le métier de prof, ce n’est pas pour tout le monde. Une étude réalisée en 2014 le prouve que 25 à 30% des enseignants quittent la profession après un an et 50 % après cinq ans. Ce n'est pas tout. Avec la pénurie, pas moins d'un quart des enseignants en poste dans nos écoles en 2020-2021 n'étaient pas qualifiés, a souligné la vérificatrice générale du Québec dans son rapport rendu public jeudi. 

Une autre étudiante, Camille*, qui fait de la suppléance jusqu’à la fin de la présente année scolaire, remarque, elle aussi, la difficulté pour les écoles de garder leurs profs.   

«Là, je remplace un monsieur en congé de paternité, mais les élèves ont eu six remplaçants avant que j’arrive», témoigne l’étudiante qui n’a pas croisé des profs de son âge dans les écoles où elle a travaillé jusqu’à maintenant.   

Bien qu’elle soit en fin de parcours, elle pense à se réorienter.    

Photo d'archives, Agence QMI

Des profs au bout du rouleau 

Trop d’élèves dans les classes, manque de personnel pour les enfants avec des besoins particuliers et peu de soutien psychologique pour les enseignants: ce sont là quelques-uns des problèmes qu’ont observés les étudiantes sur le terrain.  

Dans les différentes écoles où elle a fait des stages ou du remplacement, Camille affirme avoir croisé de nombreux enseignants qui ont abandonné l’idée de faire mieux, tout simplement parce qu’ils n’en ont plus la force. 

«Toi, tu te brûles à faire des récups, du tutorat le soir, et c’est là qu’il y en a plein qui finissent par faire un burn-out», raconte la jeune femme.  

Elle ajoute que le métier d’enseignant peut être ingrat: ce n’est pas parce que tu es la meilleure et que tu te donnes à 110% que ça va paraître sur ton chèque de paye.   

«Ça ne devrait pas être à nous de scraper notre santé mentale, notre santé physique. Ça ne serait pas à nous de devoir compenser le système qui nous draine», regrette pour sa part Charlotte.   

Un manque de communication 

Après plus de 10 ans dans le domaine des communications, Émilie Bernier, qui est mère de trois enfants, s’est réorientée vers l’éducation par passion.  

«Je souhaitais être un modèle pour mes enfants, leur montrer que lorsque nous sommes malheureux professionnellement, il n’est jamais trop tard pour changer», confie la femme de 37 ans.  

Ce qui la frappe le plus dans le milieu de l’éducation, c’est le manque de communication. «Lorsque nous sommes en formation, la plupart d’entre nous faisons de la suppléance. Or, dans certains milieux, l’accueil du suppléant est catastrophique», explique-t-elle.    

«On est laissé à soi-même à devoir se dépatouiller avec un établissement inconnu, des pratiques qui diffèrent d’un endroit à l’autre, des enfants en réaction, etc. Ça fait en sorte que plusieurs vivent un sentiment d’échec ce qui peut ébranler grandement son sentiment de compétence en tant que futur enseignant.»  

Elle pense également qu’il est difficile de recruter de jeunes enseignants dans un domaine que l’on dépeint constamment comme «un radeau à la dérive» dans l’espace public.  

«Nous manquons de modèles publics positifs en enseignement. On rapporte beaucoup le négatif dans les médias, on parle rarement des beautés de ce métier. On met rarement de l’avant les modèles inspirants du métier», déplore-t-elle.  

Des écoles déconnectées?  

Charlotte Chagnon a finalement l’impression que l’université et certaines personnes qui gèrent le système sont déconnectées de la réalité du terrain. Elle craint même, en avançant dans sa carrière, de ne pas avoir les outils pour suivre les jeunes élèves à qui elle va enseigner. 

«Je pense que j’aurais tendance à dire que [j’appréhende] l’écart qui s’agrandit entre la réalité de terrain et les gens qui gèrent le système», affirme-t-elle. 

Elle donne comme exemple la gestion de classe, dans un monde où les jeunes ont accès aux réseaux sociaux.

«J’ai l’impression que le système ne suit pas ces changements-là, qu’il n’apporte pas le soutien nécessaire pour suivre les générations qui avancent», ajoute-t-elle.  

Une pénurie de profs inexpliquée 

Si le ministère de l’Éducation du Québec (MEQ) reconnaît qu'il y a une pénurie d’enseignants, il n'est pas en mesure d'en expliquer la cause, constate la vérificatrice générale du Québec dans son rapport rendu public jeudi. 

Le Centre de services scolaires (CSS) Marie-Victorin est le seul, parmis le CSS audités dans le rapport, à avoir répertorié les raisons évoquées par les profs avant de quitter. Plus de la moitié de ces derniers ont indiqué que la charge de travail trop lourde lorsqu'ils ont démissionné. 

Selon le rapport de la VG, le nombre d’enseignants à temps partiel a également augmenté de 27% en 2020-2021 comparativement à 2016-2017, ce qui «occasionne des changements d’enseignants répétés» et «ce qui nuit aux apprentissages et à la réussite scolaire». 

Avec les absences rémunérées des professeurs en 2020-2021, Québec aurait par ailleurs pu payer 10 500 profs de plus à temps plein. 

*Nous avons utilisé un prénom fictif pour assurer l'anonymat de la personne

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