«J’ai subi des séances d’exorcisme dès l’âge de 12 ans»: des survivants de thérapies de conversion racontent leur histoire | 24 heures
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«J’ai subi des séances d’exorcisme dès l’âge de 12 ans»: des survivants de thérapies de conversion racontent leur histoire

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24 heures est allé à la rencontre de membres de la communauté LGBTQ2+ qui ont dû subir des pratiques visant à changer leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. 

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De gauche à droite : Gabriel, Sandra et Lou

Photo : Étienne Brière / Montage : Marilyne Houde 

De gauche à droite : Gabriel, Sandra et Lou

«Je pleurais parce que je voulais que Dieu me rende hétérosexuel» - Gabriel, 29 ans  

J’ai subi des séances d’exorcisme à l’âge de 12, 16 et 18 ans.

J’ai grandi dans un milieu où être homosexuel, ce n’était pas correct, pas naturel. Ma mère fréquentait une église pentecôtiste.

Quand j’ai réalisé que j’étais gai, vers l’âge de 9 ans, je ne l’ai pas dit tout de suite. Ma mère a commencé à se radicaliser. Elle a coupé tout le monde de sa vie. Elle allait à l’église dix fois par semaine.

Celui qui gérait cette église se faisait appeler «Prophète Jean-Marie». Il venait d’arriver du Cameroun et avait une approche plus intense que l’Église pentecôtiste traditionnelle.

Un jour, j’ai dit à ma mère: «Je crois que je combats une attirance pour les hommes».

Elle m’a répondu: «Je vais t’aider, on va demander au prophète Jean-Marie de t'exorciser».

Je suis donc arrivé là, il y avait 5 diacres autour du prophète. J’avais jeûné pendant 3 jours. Comme j’étais un enfant, j’étais déjà faible. Le prophète hurlait dans mes oreilles, il essayait de chasser le démon avec ses prières.

Pendant l’exorcisme, je ne pleurais pas parce que je voulais qu’ils arrêtent, je pleurais parce que je voulais que Dieu me rendre hétérosexuel.

Je suis retourné à ces thérapies à l’âge de 16 et 18 ans. Ces deux fois-là, c’est même moi qui ai demandé de les avoir, parce que je ne me sentais pas encore «guéri». Entre-temps, j’avais fait croire à ma mère que le démon était sorti.

Finalement, j’ai fait mon coming out à 19 ans et j’ai définitivement coupé les ponts avec ma mère.

Je ne garde pas de séquelles de cette expérience aujourd’hui. Je suis bien avec moi-même, bien avec mon amoureux. Je suis content d’être gai.

Pour s’en sortir, c’est important d’avoir un bon réseau et d’avoir une bonne relation avec soi-même.

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«Elle comparait ma transition avec un suicide» - Lou , 27 ans   

Moi, j’ai vécu une tentative de conversion en contexte de thérapie. Et bien que j’étais bien outillé, j’ai un bac en sexologie, j’ai été très choqué par cette expérience. Je crois que c’est d’ailleurs encore plus pernicieux pour quelqu’un qui n’a pas de background en santé mentale ou autre.

Je vivais ma vie de lesbienne depuis l’âge de 14 ou 15 ans. À l’âge de 21 ans, j’ai amorcé une thérapie avec une psy. J’avais un bon lien avec elle, ça me faisait du bien de lui parler. Ça marchait bien, j’avais une bonne entente avec elle.

Finalement, à 25 ans, j’ai fait mon coming out trans à la suite d’une rencontre inspirante au salon de tatouage où je travaillais.

À la base, j’avais pas envie d’être trans, je ne me reconnaissais pas dans les narratifs ambiants sur les trans. Je ne suis pas super binaire, j’avais du mal à m’y retrouver. Mais cette rencontre m’a vraiment remué.

Je voulais aborder ça avec ma psy, explorer pourquoi cette rencontre m’avait autant remué.

La première fois que je lui en ai parlé, elle ne m’a pas écoutée. Elle allait ailleurs, elle changeait de sujet constamment...

Puis finalement, elle a commencé à poser plein de questions, elle essayait de me dissuader. Elle me disait que j’allais le regretter, elle me faisait culpabiliser. Elle me disait aussi que j’intellectualisais trop la question, car j’essayais de trouver des explications dans mes connaissances en psycho.

C’était vraiment insidieux, les 5 ou 6 séances sont devenues un combat.

À un moment, elle m’a dit: il faut faire attention avec les prises d’hormones, c’est comparable aux gens qui font des tentatives de suicide, puis qui se ratent... elle comparait aussi mon état à celui de ceux qui ont vécu un grave accident de voiture.

Elle me disait que je risquais de sombrer dans la dépression, que mon enthousiasme autour de ma transidentité lui faisait penser à une personne sous influence de drogue dure...

Clairement, cette psy n’avait jamais eu de clientèle trans. J’ai fini par arrêter de la voir.

J’ai failli déposer une plainte à l’ordre des psychologues, mais je n’avais pas l’énergie pour ça.

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«Mon père disait qu’il guérissait les homosexuels» - Sandra, 46 ans 

Mon père avait une église dans le village qui comptait plusieurs milliers de fidèles. Lui-même disait qu’il guérissait les homosexuels.

La thérapie de conversion qu’il organisait s’appelait L’oasis du peuple. Elle était menée par un gars qui prétendait être un «ex-gai».

J’ai vu des hommes en fin de vie, certains atteints du SIDA, venir chercher du réconfort dans ces thérapies. Ce que je trouve triste, c’est que ces gens-là étaient en fin de vie et ils se combattaient eux-mêmes...

Moi, je suis née là-dedans, avec un père ouvertement anti-gai. Même si j’étais consciente de mon homosexualité depuis très jeune, quand je voyais le traitement que ces gens-là subissaient, je savais ce qui m’attendait si je faisais mon coming out. J’étais obligée d’avoir une double vie.

À l’âge de 27 ans, je suis sortie du placard. Mon père m’a juste dit: «Tu reviendras quand tu seras guérie». Je ne suis jamais revenue.


À propos des thérapies de conversion 

C’est quoi une thérapie de conversion 

  • «Au sens de la loi, les thérapies de conversion sont des pratiques qui visent à changer l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou l’expression de genre d’une personne», explique le directeur général de la fondation Émergences, Laurent Breault.  
  • Ces pratiques peuvent s’appuyer sur la religion – ou pas – et prendre la forme de séances d’exorcisme. 
  • Depuis quelques années, on assiste au développement des «téléconversions», encore plus difficiles à mettre à jour. 

Ce que dit la loi 

  • Le gouvernement du Québec a adopté en décembre 2020 la Loi visant à protéger les personnes contre les thérapies de conversion. 
  • Les thérapies de conversion sont criminelles dans l’ensemble du Canada depuis le 7 janvier 2022 
  • Il est donc interdit de : faire suivre une thérapie de conversion à une personne, agir en vue de faire passer un enfant à l’étranger pour qu’il y suive une thérapie de conversion, faire la promotion de la thérapie de conversion ou encore, de bénéficier d’un avantage matériel provenant de la prestation de thérapies de conversion. 

Ce qu'en pensent les experts 

Les différents ordres professionnels du Québec (psychologues, sexologues, travailleurs sociaux, etc.) ont publié des avis confirmant que :  

  • Les thérapies de conversion sont inefficaces: il est impossible de changer l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou l’expression de genre d’une personne. 
  • Les thérapies de conversion sont dangereuses: elles peuvent causer d’importants préjudices corporels, moraux et psychologiques aux personnes exposées. 
  • Les thérapies de conversion portent atteinte à l’intégrité et à la dignité d’une personne. 
  • Toutes les orientations sexuelles, les identités de genre et les expressions de genre sont valides et doivent être respectées. 

Vous avez été victime d’une thérapie de conversion? 

Interligne

Montréal: 514 866-0103 

Clavardage et texto: 1 888 505-1010 

Courriel: aide@interligne.co 

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