Rate The Landlord: un site sur lequel les locataires peuvent noter leur propriétaire fait débat

Grâce à une nouvelle plateforme ontarienne, les locataires peuvent évaluer leur propriétaire comme on le ferait après être allé au restaurant ou à l’hôtel. Ce n’est pas la solution pour régler la crise du logement, s’entendent les associations de locataires et de propriétaires, mais plutôt le signe que quelque chose cloche.
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Né en avril de la collaboration entre deux internautes bénévoles, le site Rate The Landlord permet aux locataires de donner une note à leur propriétaire.
Les évaluations consistent en une note générale allant de 0 à 5 étoiles ainsi qu’une appréciation de critères plus précis: la sécurité et la salubrité du logement, le respect de la vie privée du locataire, la stabilité de la location et du loyer, le respect et la qualité des travaux et réparations effectués par le propriétaire. Un commentaire écrit peut aussi être ajouté à l’évaluation pour plus de détail.
Tous les avis sont anonymes, mais le site ne garantit pas l’impossibilité de remonter jusqu’aux auteurs de ceux-ci.
Bien qu’une bonne proportion des commentaires soient négatifs, des locataires se sont aussi servis de la plateforme pour encenser un propriétaire en or.
R, un des fondateurs de la plateforme ayant demandé de garder l’anonymat lors de son entrevue avec Vice, raconte que l’idée lui est venue après avoir raconté à des amis une mauvaise expérience avec un ancien propriétaire. Lorsque ces derniers lui ont ensuite fait part d’autres histoires d’horreur, il s’est mis à réfléchir à ce qu’il qualifie de «dynamique où les propriétaires ont tout le pouvoir et les locataires, très peu.»
Bien que Rate The Landlord soit basé en Ontario, près de 250 avis ont été publiés à propos de propriétaires au Québec depuis son ouverture.
La plateforme est disponible au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Australie pour le moment.
Inconfort chez des propriétaires
Rate The Landlord ne fait pas nécessairement l’affaire des propriétaires. À la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), on se dit plutôt «inconfortable» avec ce genre de plateforme d’avis.
«On ne peut pas vérifier ce qui est dit sur ce genre de plateforme, ça ne mène pas à grand-chose», s’inquiète Marc-André Plante, directeur des affaires publiques et des relations gouvernementales à la CORPIQ.
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Pour lui, ce genre de plateforme ne règle pas le nœud du problème: «la crise de la disponibilité» des logements.
Même dans le cas d’évaluation de services comme des restaurants ou des hôtels, la majorité des gens qui laissent des avis sont ceux qui ont été insatisfaits, selon le directeur des affaires publiques: «Ça va générer une atmosphère de mécontentement et de confrontation.»
«Ce qu’il faut comprendre, c’est que ce site a été créé en Ontario. Ici, les relations entre locataires et propriétaires sont encadrées par la loi, l’équilibre de pouvoir est différent», explique-t-il.
Le TAL, loin d’être parfait aux yeux de la CORPIQ, devrait miser davantage sur un processus de médiation entre locataire et propriétaire en amont, pour éviter que les situations s’enveniment et aboutissent au tribunal ou par des dénonciations anonymes, ajoute Marc-André Plante.
Parler au voisinage et aux anciens locataires serait plus efficace pour les potentiels locataires qui voudraient s’informer de la qualité du propriétaire, suggère-t-il.
Le signe d’un système défaillant pour les comités logement
Le Regroupement des comités logement et associations de locataire du Québec (RCLALQ) ne cautionne pas officiellement Rate The Landlord. Pour son co-porte-parole, Cédric Dussault, «ce n’est pas une solution qui peut remplacer la protection des locataires».
La plateforme est plutôt «l’illustration d’un manquement dans l’application des règlements et de la législation» en ce qui a trait aux droits des locataires.
Si, sur papier, il existe plus d’encadrement légal de la relation entre propriétaires et locataires, dans les faits, celle-ci demeure très inégale aux yeux du co-porte-parole: «Le TAL est engorgé et favorise les propriétaires par défaut. Même si les locataires ont des outils pour défendre leur droit, ils doivent le faire dans une position où ils ont peu de pouvoir et peuvent être victimes de pressions et de harcèlement.»
Le ras-le-bol qui a motivé l’apparition d’un site comme Rate The Landlord est le symptôme d’une inégalité systémique, comme dans d’autres cas de dénonciations anonymes, explique Cédric Dussault: «Ça ne peut pas remplacer le système de justice, mais c’est un endroit où les locataires peuvent se faire entendre et surtout partager de l’information, ce qui n’est pas toujours facile.»
Les locataires, souvent isolés, peuvent se servir du site pour comprendre qu’ils ne sont pas seuls à vivre une situation, ou que celle-ci est anormale, par exemple.
Il trouve ironique que la plateforme ne plaise pas aux propriétaires, parce qu’elle «traite le logement comme une marchandise comme une autre, ce qui est un des chevaux de bataille des associations de propriétaires.»
Le logement, cependant, n’est pas une marchandise comme les autres pour le porte-parole de la RCLALQ: «On peut décider d’aller au restaurant ou pas, mais on a toujours besoin d’un logement.»
Des listes similaires pour les locataires?
Verra-t-on la création d’un «Rate the Tenant» (évalue le locataire) prochainement? Ce processus de «liste noire» des locataires existerait déjà de diverses manières, affirme Cédric Dussault.
Les jugements au TAL sont publics et n’importe qui peut y accéder. Ces derniers sont utilisés par certains propriétaires lorsque vient le choix de choisir de futurs locataires, décrit le co-porte-parole de la RCLALQ: «Si un propriétaire voit qu’un potentiel locataire est combatif et va faire valoir ses droits aux TAL, il peut préférer l’écarter au profit de quelqu’un de plus docile.»
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De véritables black lists de locataires jugés problématiques sont déjà en circulation dans les groupes informels de propriétaires, comme les groupes privés sur Facebook, affirme-t-il.
Dans un contexte où peu de logements abordables sont disponibles, il est plus facile pour les propriétaires de discriminer un locataire sur la base de sa réputation que le contraire, conclut le porte-parole: «Même s’il a une mauvaise note sur Rate The Landlord, si le logement d’un propriétaire est le seul disponible, ça ne changera pas grand-chose.»
Une précédente version de cet article contenait une citation disant qu'il n'existe pas d'équivalent au tribunal administratif du logement (TAL) en Ontario. Bien qu'il ne soit pas en tous points similaire au TAL, le Landlord & Tenant Board s'occupe des conflits entre propriétaires et locataires en Ontario. La citation a été retirée du texte.