Intérêts de 7,2% sur les prêts étudiants: «C’est presque un deuxième loyer»

Plusieurs anciens étudiants se sont réveillés avec une mauvaise surprise au 1er avril: les taux d’intérêt sur leurs prêts étudiants sont de retour et ceux-ci s’élèvent à 7,2%. Une situation qui plonge plusieurs diplômés dans une détresse financière, nous ont-ils témoigné. Que faire devant cette hausse? Quel impact aura-t-elle sur le plan financier? On fait le point.
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«Ce qui est le plus tannant, c’est que j’ai eu l’information de vérifier mes trucs par pur hasard, de la part d’un ami. Quand j’ai vu que mon taux était à 7,2%, j’ai écrit à ma conseillère financière», témoigne Hélène Salesse qui a étudié en génie civil. «Elle ne pouvait répondre à aucune de mes questions et m’a référé aux lignes téléphoniques d’information du gouvernement.»
«J’étais censée payer mon prêt [de 10 000$] en 10 ans [en versements de] 150$ par mois. On m’a toujours dit que ça valait la peine de le payer sur le long terme puisque les taux étaient bas, mais là je ne sais pas combien je vais payer en intérêts, je ne sais pas combien de temps ça va prendre et je ne sais pas si mes mensualités vont changer», ajoute-t-elle.
En effet, les taux d’intérêt avaient été mis sur pause pendant la pandémie pour permettre aux diplômés de souffler dans un marché de l’emploi incertain. Une situation qui a bien changé, affirme la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, en entrevue avec 24 heures.
Dans une situation de plein emploi avec un diplôme qui a une certaine valeur, «ce n’est pas compliqué de chercher un emploi et d’obtenir un salaire qui est compétitif», dit-elle.
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N’empêche que la hausse en a surpris plusieurs qui n’avaient pas prévu leurs finances en ce sens. Surtout que le taux d’intérêt est passé d’environ 3,5% avant la pandémie à 7,2% en raison, notamment, de la hausse du taux directeur visant à stopper l’inflation galopante.
C’est le cas d’Élisabeth Marais. Venant d’une famille nombreuse avec des revenus limités, l’étudiante en études internationales et en langues a commencé à recevoir les prêts et bourses de l’aide financière aux études (AFE) dès le cégep. Au début de ses études, on lui a conseillé de prendre toute l’aide qu’on pouvait lui donner vu le faible taux d’intérêt.
Une maîtrise en poche après 7 ans d’études, il lui reste aujourd’hui 20 000$ de dettes à rembourser. Le problème, c’est que les règles du jeu ont bien changé. Si elle comptait rembourser son prêt sur le long terme, elle a décidé de passer à la vitesse supérieure.
«Aujourd’hui, j’essaie de le payer en environ 4 ans à coût de 400$ par mois. C’est presque un deuxième loyer», ajoute-t-elle. Même si elle estime gagner un bon salaire, cette situation la freine dans ses futurs projets, comme celui d’acheter une propriété.
Les crédits d’impôt
Le fiscaliste et planificateur financier à la Financière des professionnels Alexandre Hunault comprend que ces taux peuvent faire peur, mais rappelle tout de même qu’il existe un crédit d’impôt qui peut alléger la hausse des taux.
Par exemple, pour une personne dont la dette s’élève à 20 000$ et qui gagne autour de 50 000$ par an, les déductions font baisser le coût réel de l’intérêt à 4,86%. Dans cet exemple, ça représente quand même des intérêts de 972$ par an qui s’ajoutent au solde du prêt, soit 81$ par mois.
«[Le solde] va descendre chaque année [en remboursant], mais c’est sûr que ça fait mal un prêt avec un taux aussi haut, ajoute-t-il. En plus, c’est qu’on ne l’a pas vue venir, la hausse, parce qu’on était en congé d’intérêt deux ans.»
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Alors, mieux vaut prendre son temps pour rembourser, ou bien le faire au plus vite?
Selon Alexandre Hunault, ça dépend de nos projets. Si on compte acheter une propriété ou bien avoir des enfants, par exemple, il vaut mieux d’accepter de payer un certain montant d’intérêts à long terme pour pouvoir économiser, investir et réaliser nos envies tout en remboursant son prêt. Il n’y a pas de réponse unique.
«Les taux vont sûrement redescendre, ils parlent même d’une baisse fin 2023, donc c’est peut-être plus momentané [...], mais ça dépend de sa tolérance au risque, parce que les taux pourraient aussi empirer, on n’a pas une boule de cristal.»
Les seuls au Canada
Les diplômés québécois sont présentement les seuls à payer de tels taux d’intérêt comme la province gère elle-même son programme d’aide financière aux études. En effet, dans les autres provinces canadiennes, le gouvernement fédéral a mis fin aux intérêts dans son programme de prêts et bourses.
Ces deux dernières semaines, le Parti québécois et Québec solidaire se sont indignés de cette situation à l’Assemblée nationale.
Le PQ demande d’ailleurs un gel permanent des taux d’intérêt. «Nous avions déposé un projet de loi en 2021 pour que l’État québécois devienne créancier, à la place des banques, de l’AFE, et puisse lui-même fixer ses propres taux d’intérêt nuls. La dernière chose dont nous avons besoin en ce moment, c’est d’engraisser les banques sur le dos des jeunes», a écrit le chef péquiste, Paul St-Pierre-Plamondon, il y a quelques jours sur sa page Facebook.
«L’endettement moyen est plus faible au Québec qu’ailleurs au Canada. On parle de 11 000$ [de dettes d’études]», répond Pascale Déry. Selon les chiffres 2020-2021 de l’AFE, pour les étudiants universitaires, l’endettement moyen augmente selon le cycle d’études, passant de 12 536$ au 1er cycle (baccalauréat) à 24 601$ au 3e cycle (doctorat).
La ministre explique que le gouvernement a décidé, de concert avec les associations étudiantes, de rendre les études accessibles en soutenant les étudiants actuels qui sont le plus dans le besoin. On peut, par exemple, penser aux frais de subsistance des étudiants qui résident chez leurs parents qui sont bonifiés de 96$ par mois et de 205$ par mois pour ceux qui ne résident pas chez leurs parents. «La suspension des intérêts sur l’AFE n’aurait pas adéquatement ciblé les gens le plus dans le besoin actuellement», ajoute Pascale Déry.