Les friperies de Montréal achètent des vêtements de partout dans le monde | 24 heures
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Les friperies de Montréal achètent des vêtements de partout dans le monde

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Vous êtes de plus en plus à vous habiller en friperie parce que c'est moins cher, différent et plus écologique. Mais vous êtes-vous déjà demandé d’où venaient ces vêtements? On vous fait découvrir les secrets d'approvisionnement de cette industrie qui ne fait que grossir.

«Les friperies, c’est les seuls magasins où je vais. Je n'aime pas trop le fast fashion», avoue Rocio, 19 ans, croisé devant la friperie Kapara Vintage à Montréal. 

Cinq cent mètres plus loin, Maïli, 23 ans, sort du Marché Floh, une autre adresse bien connue de la rue Saint-Denis. «C’est pour ne pas contribuer au capitalisme», explique-t-elle. 

Les jeunes passent plus facilement la porte de ces magasins d’occasion que les générations précédentes et les boutiques ouvrent un peu partout. 

«L’industrie à Montréal a connu un boom en 2014 et depuis c'est de plus en plus populaire», remarque Lara Kaluza, copropriétaire de Citizen Vintage depuis 2011.

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Un secret bien gardé

Plus une ville compte de boutiques, plus il faut de vêtements d’occasion. D’où viennent-ils? On peut penser spontanément aux dons, qui constituent l’entièreté des stocks de Renaissance, du Village des Valeurs et de l’Armée du Salut. 

Pour les petites boutiques indépendantes, la question dérange. Le propriétaire de Hadio, sur l'avenue du Mont-Royal, refuse d’en dire plus au téléphone.

À Montréal, la friperie Hadio traite en moyenne 330 000 articles de vêtements de seconde main par an.

Photo Axel Tardieu 

À Montréal, la friperie Hadio traite en moyenne 330 000 articles de vêtements de seconde main par an.

«C’est secret parce qu’il y a des listes d’attente pour avoir la chance de travailler avec un bon fournisseur. On veut aussi garder l’exclusivité et les meilleurs vêtements», explique Mia Kalille, à la tête de Kapara Vintage. 

«Je passe la question», répond Samuel Hadi, propriétaire de Lazy Vintage.

Côté clients, c’est le flou; ceux à qui nous avons parlé croient spontanément qu'ils s'agit de vêtements donnés. «Principalement, c’est d’ici, ouais», pense Timothé, 22 ans.   

Pas totalement. Vos jeans Levi’s et chemises hawaïennes peuvent faire le tour du monde avant d'arriver dans votre magasin adoré.  

«La plupart des boutiques comme nous n’acceptent pas vraiment de dons», explique Samuel Hadi, dans le métier depuis dix ans. «On a, peut-être, 5% de notre stock qui vient de dons et, même là, tout ne va pas en vente.» 

Samuel Hadi dans sa boutique de la rue Ontario.

Photo Axel Tardieu 

Samuel Hadi dans sa boutique de la rue Ontario.

Dans son magasin de la rue Ontario, il nous amène au sous-sol où sont stockés plus de 30 000 «morceaux», comme il les appelle, qui seront triés et étiquetés. Une trentaine de grosses balles de 45 kg sont entreposés près de l’escalier.

«C'est comme ça que la marchandise arrive. Tout arrive mélangé, toutes tailles confondues, mais il y a plus de médium et de large.» Chaque semaine, Samuel Hadi reçoit ces sacs de vêtements compressés. 

«On trouve également des lots de vêtements neufs qu'on peut revendre. On appelle ça du dead stock. Ce sont des trucs vintage qui datent de 25 ans et plus, mais qui n'ont jamais été portés.» 

L’entrepreneur avoue avoir des fournisseurs en Amérique, en Europe et en Asie, mais n’en dira pas plus. «En fait, le vêtement, on ne sait jamais d’où il vient», résume-t-il.

Une trentaine de ballots de 45 kg entreposés dans le sous-sol de la boutique Lazy Vintage, rue Ontario.

Photo Axel Tardieu 

Une trentaine de ballots de 45 kg entreposés dans le sous-sol de la boutique Lazy Vintage, rue Ontario.

Toronto, capitale des grossistes

La plupart des boutiques vintage se fournissent donc auprès de grossistes. Au Canada, il y a une ville qui rassemble les meilleurs d'entre eux. C'est Toronto.  

Depuis 12 ans, Karolina Mysior tient, avec passion, la boutique KILOfripe sur le boulevard Saint-Laurent. Le jeudi de mai où on l'a rencontrée, elle sortait justement des vêtements d’un gros sac qu’elle est allée chercher chez son fournisseur, près de Toronto.

Karolina Mysior va, elle-même, dans des entrepôts proche de Toronto pour dénicher des pièces uniques.

Photo Axel Tardieu 

Karolina Mysior va, elle-même, dans des entrepôts proche de Toronto pour dénicher des pièces uniques.

«On y va deux fois par mois. Ça vient des industries de recyclage de textiles. Des gros entrepôts où ils trient tous les matériaux. Ils mettent le coton ensemble, le denim ensemble... Les gens qui ont des friperies peuvent venir là-bas avant que ces vêtements soient transformés et réutilisés comme matière première.»

Salim Manji est un acteur de l’ombre dans cette industrie. Il travaille dans le seconde main depuis pourtant 25 ans. Son entreprise, Manji Trading, est un de ces grossistes de Toronto. Il vend près de trois tonnes de vêtements par semaine. Un client sur cinq est une friperie à Montréal.  

«Nous achetons des vêtements à mes fournisseurs, des chiffonniers qui sont basés à Toronto, mais récupèrent leurs produits des donations de l’Armée du Salut et les autres, au Canada et aux États-Unis.»

Des dons qui atterrissent en Asie

Contactés par 24 heures, Goodwill, Renaissance et l'Armée du Salut nous expliquent qu’au bout de plusieurs semaines, une partie des dons invendus est rachetée par des entreprises qui vont recycler ces vêtements ou les revendre en grosses quantités à des friperies.  

Ce système est le même aux États-Unis où les grossistes sont encore plus nombreux. La Californie, le Texas, et la Floride sont les épicentres du secteur.

Malgré l'inflation, les friperies restent encore une bonne option pour faire des économies.

Photo Axel Tardieu 

Malgré l'inflation, les friperies restent encore une bonne option pour faire des économies.

«Une partie des vêtements donnés finissent chez des chiffonniers du monde entier», confirme Hector Santos, dirigeant de Vintage Wholesale Club, basé près de Miami, en Floride. «Ce sont d’énormes entrepôts. Des centaines de personnes y travaillent. Ils trient des tonnes de vêtements.» Les articles de bonne qualité seront revendus en Occident. Les autres iront sur des marchés d'Afrique et d'Asie ou seront recyclés.

Hector Santos dit que ses ventes au Canada explosent depuis six mois. Il y fait maintenant la moitié de ses ventes. Son stock transite par bateau du Pakistan, des Caraïbes, et d’Amérique du Sud.

Un autre grossiste américain, Thrift Vintage Fashion, nous avouera aussi que la plupart de ses produits viennent du Pakistan. D'autres pays, comme le Kenya, le Sénégal, l'Honduras et le Guatemala, sont connus pour être des plaques tournantes du tri de vêtements usagés. La main d'oeuvre y est moins chère qu'en Amérique du Nord et en Europe.

Une usine de tri de textiles au Pakistan.

Instagram Thrift Vintage Fashion 

Une usine de tri de textiles au Pakistan.

L'empreinte environnementale des friperies

Les vêtements donnés au Québec peuvent donc se retrouver à Toronto, puis au Pakistan, revenir ensuite en Floride avant d’être finalement vendus dans une friperie à Montréal. Un trajet de près de 27 000 km, soit plus de la moitié de la surface du globe. Est-ce qu'acheter en friperie, c'est si éco-responsable que ça, finalement? 

«Le transport pollue, mais comparé à Zara qui produit des millions et des millions de vêtements par année, nous, on est quand même dans le recyclage», pense Samuel Hadi de Lazy Vintage à Montréal. 

Pour Maïli, habituée des friperies, «c’est quand même écologique, parce que ce n'est pas un nouvel article». 

Si la mode est une des industries les plus polluantes au monde, c'est surtout la production qui pose problème. Selon la Banque Mondiale, elle serait responsable de 20% de la pollution industrielle de l'eau. Les 8000 produits synthétiques utilisés pour transformer les matières premières en textiles atterrissent dans des sources d’eau douce. 

Pour moins polluer, il faudrait fabriquer moins de vêtements et recycler plus ce qui existe déjà. Malgré les milliers de kilomètres que peuvent faire vos t-shirts d’occasion, acheter en friperie est sans équivoque plus éco-responsable que d'acheter du neuf. 

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