Cette coordonnatrice d'intimité a déjà interrompu une orgie qui n'était pas «égalitaire» | 24 heures
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Cette coordonnatrice d'intimité a déjà interrompu une orgie qui n'était pas «égalitaire»

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Né du mouvement #Metoo, le poste de coordonnatrice (ou coordonnateur) d’intimité est de plus en plus répandu sur les tournages québécois. À une exception près: les plateaux de films pornos. La professionnelle de l’intimité Roxane Néron nous raconte sa seule expérience dans l’industrie du X.

En temps normal, Roxane Néron s’assure que l’intégrité des comédiens et comédiennes est respectée lors du tournage de scènes qui impliquent de la nudité, une relation sexuelle, des baisers avec attouchement ou encore de la violence sexuelle. 

«Mon rôle, c’est qu’il n’y ait pas de surprise en arrivant sur le plateau, donc que tout le monde sache à quoi s’attendre et se sente bien, tout en s’assurant que les intentions du réalisateur sont satisfaites», explique la cofondatrice d'INTImédia, entreprise spécialisée en la matière.

Elle cite l’exemple d’une scène tournée récemment, lors de laquelle une personne courrait nue dans un champ. 

«C’est une action qui peut être extrême. Est-ce qu’on va la voir en plein pied? Est-ce qu’il va faire froid? Pourrait-elle se blesser? Il faut penser à tout ça», dit-elle.

En 2021, son expertise a été requise dans un environnement qui lui était jusque-là inconnu. Elle a reçu l'appel un producteur qui s’apprêtait à venir tourner un film pour Erika Lust, une sommité dans le monde de la pornographie féministe.

«Erika Lust a décidé de faire une production ici, au Québec, et dans les prérequis de ses productions, c’est une obligation d’avoir une coordonnatrice d’intimité sur le plateau. Je ne savais même pas que ça se faisait en pornographie à ce moment-là. Je me suis dit que c’était vraiment une belle opportunité», raconte la jeune femme. 

Orgie, lubrifiant et viagra

En entrevue à 24 heures, Roxane Néron affirme qu’il y a peu de différences entre son travail sur un plateau régulier et ce qui lui a été demandé sur le plateau d’Erika Lust. L’objectif ultime demeure la sécurité et le bien-être des acteurs et actrices. C’est la façon d’y arriver qui diffère. 

«Il y a certains besoins qui sont différents. Par exemple, on ne parle pas de cache-sexe, mais on va parler des besoins de lubrifiant. Quel type de lubrifiant les actrices et les acteurs préfèrent. II y avait des besoins de lavement anal. Dans ce cas, il faut déterminer lesquels? D’autres avaient besoin de sildénafil (viagra)», détaille-t-elle.

Certaines scènes requéraient aussi qu’elle discute avec les comédiens impliqués, afin qu’ils puissent s’exprimer en cas d’inconfort et se préparer mentalement au tournage, poursuit-elle. 

«Il y avait beaucoup d’acteurs homosexuels qui devaient performer dans des scènes de relations sexuelles hétérosexuelles. Donc, ça aussi, ce sont des sujets qui ont été abordés. Sont-ils à l’aise? Il faut essayer de trouver le contexte parfait pour qu’ils le soient [à l’aise ]», martèle la professionnelle. 

Ce qui l’a le plus marqué lors de ce tournage? «C’est l’orgie», répond Roxane Néron.

«C’était trois hommes et deux femmes. En étant sur une production d’Erika Lust, l’idée, c’est que tout soit égalitaire. Mais à un moment donné, les deux femmes faisaient des fellations et le troisième homme donnait du plaisir à un autre homme au lieu de donner du plaisir à la femme. Donc, c’était déséquilibré. J’ai donc dû arrêter la scène et parler avec le réalisateur, pour m’assurer que la scène renvoyait une image plus égalitaire», explique-t-elle. 

«Le réalisateur m’a écouté et il a finalement accepté qu’une des femmes reçoive un cunnilingus. Sur le coup, je ne m’en rendais pas trop compte, mais après je me suis dit: “Oh my god! Je suis intervenue parce que cette orgie n’était pas égalitaire!”», poursuit-elle.

Des besoins ignorés au Québec

Motivée par son expérience sur le plateau d’Erika Lust, Roxane Néron a ensuite proposé ses services à de nombreuses entreprises de production pornographique établies à Montréal. Aucune de ces compagnies n’a daigné lui répondre, affirme-t-elle.

«Les compagnies québécoises ne sont pas pantoute rendues là, de ce que je comprends. Je n’ai même pas eu de retour. Pourtant, Montréal, c’est la Mecque du porno après Los Angeles. Donc, ce n’est pas comme si le porno allait mourir [même si on ajoute une coordonnatrice d’intimité sur le plateau]. Il va continuer à en avoir, alors aussi bien que ce soit bien fait dans le respect», dit-elle.

Dans les dernières années, plusieurs abus, commis sur des plateaux pornographiques, ont été révélés dans les médias. Ron Jeremy, James Deen et Manuel Ferrara, trois célèbres acteurs X, ont été accusés d’abus sexuel lors de tournages.

Ces accusations ne semblent toutefois pas avoir amené l'industrie du film pour adulte à se questionner: Erika Lust demeure l’une des seules à faire appel à des coordonnatrices d’intimité comme Roxane Néron sur ses plateaux. 

AD4X, Productions Québec, Pegas Productions, Bellesa: aucune de ces compagnies de production porno établies au Québec n’a d'ailleurs donné suite à nos demandes d’entrevues. 

Ainsi, même si l'implantation d'un poste en coordination de l'intimité pourrait contribuer à l’essor d’une pornographie plus éthique, les compagnies établies à Montréal ne semblent pas prêtes à changer les façons de faire. Du moins, pas pour l’instant. 

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