«Un recul majeur» pour les locataires: c’est la fin des cessions de bail comme on les connaît au Québec | 24 heures
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«Un recul majeur» pour les locataires: c’est la fin des cessions de bail comme on les connaît au Québec

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Photo d'archives Agence QMI, Joël Lemay

Un projet de loi déposé vendredi par la ministre responsable de l’Habitation France-Élaine Duranceau pourrait mettre plus de bâtons dans les roues des locataires québécois souhaitant céder leur bail, un des seuls recours à leur disposition pour contrôler la hausse des loyers, critique Québec solidaire.

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Dans l’article 7 du projet de loi, on peut lire que «le locateur qui est avisé de l’intention du locataire de céder le bail peut refuser d’y consentir pour un motif autre qu’un motif sérieux».

À l’heure actuelle, un propriétaire ne peut pas s’opposer à ce que le bail soit cédé sauf pour de motifs sérieux, comme une crainte que le futur locataire ne soit pas en mesure de payer son loyer, expliquait à 24 heures Cédric Dussault, co-porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ).

Or, si le projet de loi est adopté et que vous voulez céder votre bail, le propriétaire pourra briser celui-ci et faire toutes les démarches pour trouver un nouveau locataire.

Le texte sera étudié à l'automne et la ministre espère que le projet de loi soit adopté avant Noël.

Pas au locataire de contrôler la hausse, dit la ministre

Si cette mesure enlève un poids au locataire qui n’a plus la responsabilité de trouver un remplaçant, cela fait en sorte que le propriétaire peut louer son logement à la personne qu’il souhaite et au prix qu’il le souhaite.

«Est-ce que le locataire, c’est le propriétaire de l’immeuble? Non. Ce n’est pas au locataire de contrôler la hausse du loyer pour la personne suivante», a répondu la ministre, France-Élaine Duranceau, lorsqu’interrogée sur cette question en point de presse par 24 heures

Elle a rappelé que la clause G du bail existe pour exercer un contrôle sur la hausse du loyer. Par cette clause, le locateur est tenu, lors de la conclusion du bail, de remettre un avis au nouveau locataire lui indiquant le montant du dernier loyer payé (daté si aucun loyer n’a été payé dans les 12 derniers mois), peut-on lire sur le site du Tribunal administratif du logement.

«Cette histoire là de cession de bail ou de magasinage de baux entre locataires, c’est une entrave au droit de propriété des propriétaires», ajoute France-Élaine Duranceau.


Comment fonctionnent les cessions de bail

Le locataire doit envoyer un avis de cession de bail incluant le nom de la personne à qui le bail est cédé, son adresse et la date de cession. Une fois le document envoyé au propriétaire, ce dernier dispose de 15 jours pour s’opposer au candidat choisi. Pour refuser une cession de bail, le propriétaire doit être en mesure de prouver que le futur locataire a déjà eu des ennuis avec d’autres locations ou qu’il est dans l’incapacité de payer son loyer, par exemple. 


Des mesures contre les évictions abusives

Le projet de loi qui tente de «rétablir l’équilibre entre les propriétaires et les locataires», selon le ministère, prévoit également des mesures sur les évictions qui font porter le fardeau de la preuve aux propriétaires.

En ce moment, un locataire qui ne répond pas à un avis d’éviction est présumé l’avoir accepté. Avec le nouveau projet de loi, sans réponse du locataire, on assumera que celui-ci refuse l’éviction.

«Le propriétaire devra alors démontrer devant le tribunal administratif du logement qu’il fait les choses dans les règles de l’art [...] en traitant de manière équitable le locataire qu’il souhaite évincer», explique la ministre responsable de l’Habitation. 

Également, les personnes qui perdent leur logement de cette façon recevraient l’équivalent d’un mois de loyer par année d’occupation jusqu’à un maximum de 24 mois. Le minimum de trois mois de compensation reste en vigueur. 

La clause F demeure

La clause F du bail, qui permet aux propriétaires d'augmenter le loyer d'un logement construit il y a moins de cinq ans comme bon leur semble, est maintenue dans le projet de loi, malgré les nombreuses critiques. Le gouvernement souhaite cependant que les locateurs fassent preuve de plus de transparence en indiquant l'augmentation maximale qu'ils pourraient imposer dans le bail.

«Les locataires vont savoir dans quoi ils s’embarquent, puis ils pourront à ce moment-là décider de signer ou pas le bail. Et si quelqu’un veut proposer des augmentations abusives, d’emblée ça va être connu», a affirmé France-Élaine Duranceau.

Les locataires en colère

Pour Véronique Laflamme, porte-parole du FRAPRU, ce projet de loi ne fait rien pour «rétablir l’équilibre entre les propriétaires et les locataires». «Il y a actuellement un très grand déséquilibre dont profitent les propriétaires dû à la crise du logement, qui s’approfondit. Il y a beaucoup d’abus constatés de toute part.»

Pour elle, le gouvernement «se soucie autant, sinon plus, des investisseurs, des propriétaires que du sort des locataires». Elle salue néanmoins «une certaine avancée» en matière d’évictions.

«C’est un recul majeur», a lancé le porte-parole de Québec solidaire en matière de logement et d’habitation, Andrés Fontecilla. «C’est un des outils les plus utilisés par les locataires pour se protéger contre les hausses abusives de loyer», a-t-il déclaré en point de presse.

De son côté, le Parti québécois «s’inquiète vivement» de la mesure concernant les cessions de bail. 

«Cette mesure rendra pratiquement impossible de céder un logement à prix abordable à autrui. Le Parti québécois déplore que la CAQ soit insensible au problème des hausses de loyer en retirant ce qui consiste l’une des seules mesures permettant de maintenir les logements québécois à des prix abordables», a-t-il réagi dans un communiqué.

Les propriétaires généralement satisfaits

Avoir une plus grande flexibilité pour refuser une cession de bail était «une demande qu’on avait depuis des années», se réjouit Marc-André Plante, directeur des affaires publiques et des relations gouvernementales de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ).

«Malheureusement, on constate depuis quelques années une occasion de marchander ou de transférer des baux à des fins lucratives pour certains locataires. Ça posait des enjeux de gestion du parc locatif, notamment au niveau de la rénovation», a-t-il ajouté.

La CORPIQ critique cependant les mesures concernant la clause G, qu’elle aurait voulu voir abolie, et que le projet de loi «rajoute un fardeau beaucoup plus grand sur les épaules des propriétaires».

– Avec la collaboration de Geneviève Abran, d'Andrea Lubeck et avec des informations de l'Agence QMI

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