Attention, humoristes féministes «en tabarnak» dans Hochelaga-Maisonneuve

Photos Ariane Famelart et courtoisie
Le milieu de l’humour au Québec est-il enfin assez inclusif? Coralie LaPerrière, Emna Achour et Joëlle Prud’homme, trois humoristes qui n’ont pas peur de se faire accoler l’étiquette de «féministes enragées», sont d’avis que non. Elles présentent vendredi le spectacle L’été des Frustrées.
L’été de Frustrées et son prélude, Le Noël des Frustrées, sont nés d’une «écœurantite», explique Coralie LaPerrière, l’instigatrice du projet et l’animatrice de la soirée d’humour.
«C’était à un moment où il y avait une épidémie de GHB, Julien Lacroix essayait de revenir sur scène, on avait l’impression que tous nos acquis étaient en train de régresser. On avait besoin d’un espace féministe, mais aussi en tabarnak», raconte-t-elle.
L’objectif de la soirée, qui aura lieu le 16 juin dans Hochelaga-Maisonneuve: «faire sortir le méchant» et offrir un «safe space» au public, précise Joëlle Prud’homme.
«Les gens qui viennent nous voir savent qu’on va faire des blagues militantes et qu’il n’y aura pas de matériel sexiste, raciste, grossophobe, transphobe et compagnie», mentionne l’humoriste diplômée de l’École nationale de l’humour depuis 2020.
Quels sont les avantages de ce genre de soirée «safe space» pour le public ?
«En général, ce ne sont pas des fans d’humour qui viennent nous voir. Ils ne sont pas abonnés aux pages des soirées d’humour ou des bars», remarque Emna Achour.
«Nous, on offre l’occasion d’aller voir de l’humour sans passer toute la soirée avec les mains agrippées dans ta chaise parce que t’entends des affaires qui n’ont pas d’allure sur scène», ajoute Coralie LaPerrière.
L’été des Frustrées, c’est l’occasion pour le public de rire de situations fâchantes ensemble dans la solidarité, explique-t-elle.
Et pour les femmes humoristes?
«Les filles en humour, on se fait souvent la blague qu’on ne se voit jamais. Parce qu’on ne nous booke jamais deux sur le même show», ironise Joëlle Prud’homme.
«On part avec une sorte de handicap et il faut prouver que t’es drôle sinon, ça y est, toutes les humoristes filles sont plates. Les gens arrivent avec des idées préconçues et s’attendent à les confirmer», poursuit-elle.
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Même l’expérience des loges peut être éprouvante.
«Je ne me suis jamais sentie en danger, mais ça arrive que toute la soirée passe et que personne ne m’ait posé une seule question. C’est lourd et ça faisait que j’arrivais sur scène déjà frustrée par quelque chose qui avait été dit sur scène ou dans la loge», raconte Joëlle Prud’homme, qui anime également «Le Show Queer».
C’est pour cette raison qu’Emna Achour se produit désormais exclusivement dans des soirées inclusives comme L’été des Frustrées.
«C’était rendu que j’arrivais cinq minutes avant mon numéro et je partais cinq minutes après. Ça ne valait plus la peine de me sentir mal toute la soirée pour 20$ et une bière. J’ai le privilège d’avoir assez de contrats pour pouvoir en vivre sans m’imposer ça. Je suis devenue artiste pour être libre, pas pour endurer un autre boys’ club», affirme l’ancienne journaliste sportive.
Est-ce que le monde de l’humour a changé ?
Le monde de l’humour post-#MeToo a changé pour le mieux? Pas assez au goût des humoristes de L’été des Frustrées.
«Ça change, mais c’est surtout que l’humour se ghettoïse. On se tient entre nous. Le milieu alternatif grandit, mais le monde de l’humour mainstream n’a pas vraiment changé depuis les années 2000», déplore Coralie LaPerrière.
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«On est plus en plus de gauchistes, mais l’argent reste dans le mainstream. En même temps, on aimerait avoir ce genre de moyens pour nos soirées, mais jamais on ne voudrait donner 50% de nos profits à une gang de messieurs riches dont on se moque dans nos numéros», précise Emna Achour.
Sa page Instagram «Pas de filles sur le pacing», montre qu’il reste encore beaucoup de chemin à faire pour que le monde de l’humour soit, au minimum, plus paritaire.
«Les réactions qu’on reçoit nous prouvent qu’il y a encore beaucoup de messieurs fâchés dans le public et dans l’industrie», plaisante-t-elle.
Joëlle Prud’homme appelle pour sa part ses collègues humoristes hommes à faire leur part, en refusant, par exemple, de participer à des soirées s’il n’y a aucune femme qui va monter sur scène.