Crise du logement: un Montréalais qui veut céder son bail reçoit plus de 400 messages en 48 heures

Charles Lajoie
Charles Lajoie a annoncé sa cession de bail mercredi. En moins de 48 heures, le Montréalais a été inondé de plus de 450 messages, dont plusieurs témoignages crève-cœur qui illustrent le désespoir de ceux qui peinent à se trouver un logement à une quinzaine de jours du 1er juillet.
«Je suis une mère monoparentale, j’ai deux enfants et un bon travail[...]»: des messages du genre, Charles Lajoie affirme en avoir reçu des dizaines depuis mercredi.
«Je recevais plusieurs alertes par minute sur mon téléphone. Il y avait plein, plein, plein de gens qui me contaient leur vie pour espérer avoir le logement. Ça me brise le cœur et ça m’inquiète. Ils vont faire quoi, ces gens-là, le 1er juillet?», se questionne-t-il.
Situé dans le quartier Ville-Émard, dans le Sud-Ouest, le grand 4 1⁄2 qu’occupe le jeune homme depuis trois ans lui coûte 875$. Il va passer à 890$ le premier juillet. Un prix considéré abordable et rare pour une habitation de cette taille dans le contexte de crise du logement qui frappe actuellement la métropole.
C’est d’ailleurs la raison qui a poussé Charles Lajoie à céder son bail, plutôt qu’à le résilier.
«Je trouvais ça vraiment important de céder mon bail pour ne pas contribuer à faire monter le prix des appartements partout dans le quartier», explique-t-il.
Hausse de prix et discrimination potentielle
À l’heure actuelle, un propriétaire ne peut pas s’opposer à ce qu’un locataire cède son bail, sauf pour des motifs sérieux. Il ne peut théoriquement pas non plus augmenter le loyer du futur occupant à sa guise. La clause G du bail stipule que le locateur est tenu, lors de la conclusion du bail, de remettre un avis au nouveau locataire lui indiquant le montant du dernier loyer payé (daté si aucun loyer n’a été payé dans les 12 derniers mois).
Or, sans registre des baux officiel, il peut s’avérer difficile pour un locataire de vérifier le prix précédemment payé pour leur habitation. Comme les logements à prix abordable se font de plus en plus rare, certains locataires optent pour la cession de bail pour empêcher les hausses de loyer importantes.
La situation pourrait cependant changer si le projet de loi permettant aux propriétaires de refuser une cession de bail sans motif sérieux, déposé vendredi dernier par la ministre responsable de l’habitation et ancienne courtière immobilière, France-Élaine Duranceau, est adopté.
Les organismes de défense des locataires croit que l’adoption de la loi risque de faire grimper le coût des loyers, puisqu’il sera plus difficile de s’assurer que le propriétaire n’augmente pas drastiquement le prix du loyer d’un logement entre deux locataires.
En plus de creuser encore plus «le fossé entre les plus riches et les plus pauvres», le fait de pouvoir refuser un locataire sans raison valable risque aussi d’alimenter la discrimination, avance Charles Lajoie.
«Le fait que les propriétaires n’aient plus à se justifier, ça ouvre la porte au racisme, à la xénophobie, à l’homophobie, la transphobie, etc.», s’inquiète-t-il.
Les propriétaires généralement satisfaits
Avoir une plus grande flexibilité pour refuser une cession de bail était «une demande qu’on avait depuis des années», se réjouit Marc-André Plante, directeur des affaires publiques et des relations gouvernementales de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ).
«Malheureusement, on constate depuis quelques années une occasion de marchander ou de transférer des baux à des fins lucratives pour certains locataires. Ça posait des enjeux de gestion du parc locatif, notamment au niveau de la rénovation», a-t-il ajouté.
La CORPIQ critique cependant les mesures concernant la clause G, qu’elle aurait voulu voir abolie, et que le projet de loi «rajoute un fardeau beaucoup plus grand sur les épaules des propriétaires».
- Avec la collaboration de Geneviève Abran